TRIBUNE : Togo, AMK, adios !
Agbéyomé Mensah Kodjo. Tu es mort ! Après un court malaise. Tôt ce matin. Mort comme meurent les gens. J’ai toujours cru la mort si lointaine, ne frappant, par pudeur pour moi, que loin de moi. Loin de chez loin. Et quand elle tape ainsi à ma porte, à la nôtre, dans l’insoumission des doutes, dans la fragilité de l’exil, dans la palpitation de notre vulnérabilité, de la vulnérabilité, j’en doute. Puis elle crie fort. Je savais que de la vie, on n’en sort jamais vivant, mais je t’imaginais résistant, résistible, même face à la mort. A force de te voir vivre si bruyamment, je t’ai cru parfois, immortel. Comme si tant que tu vis, Kodjo, la mort reste vaincue. Au moins lointaine. Plutôt improbable. Je l’ai vécue à travers d’autres. Elle t’a fauché de ta haute silhouette. Sans crier gare.
Agbéyomé Mensah Kodjo est mort. En exil. Comme si dans le pacte inaudible et silencieux avec Mgr Kpodzro, tu devrais le suivre. On a souvent raillé ta présumée versatilité, je n’ai jamais douté de ta stridente loyauté. Ce combattant de 20 ans ton aîné pourtant est parti dans des conditions similaires, loin de tout. La mort étant un éloignement dans les limbes, y être emporté dans l’exil est un double éloignement. Eprouvante solitude pour le bon vivant que tu fus. Tu incarnes un courage invincible, une obstination déterminée. Tu as sans doute eu tes égarements, en politique comme dans la vie. Mais depuis la dernière présidentielle où j’ai eu l’honneur de diriger la communication de ta campagne, tu es resté digne. Parfois incompris de nous tous, droit dans ce que, de bottes, il te restait. Tu es mort.
Je me souviens encore, après avoir raccroché avec Reckya Madougou, ancienne garde des sceaux du Bénin et conseillère de Faure Gnassingbé à l’époque, il y a trois ans, et qui m’annonçait ta mort, tu m’as appelé dans la foulée. « Outre-tombe » blaguais-tu, insistant pour qu’on en fasse un non-événement. Là, tu es mort, pour de vrai, pour de bon. Et que tu le veuilles ou pas, on en fera un événement. D’ailleurs, toute ta sacrificielle vie fut un long événement dont les commentaires échappaient à ton bon vouloir.
Tu voulais mourir à Tokpli, dans ta belle et coquette maison, après avoir été président du Togo, pour réparer, ce que directement ou indirectement, tu as contribué à construire. Tu ne seras pas président, tu auras juste été digne. Je ne sais pas s’il vaut mieux être digne que président, j’aurais voulu te poser la question. Et tu répondrais de ta voix rendue rauque par quelques « crachantes » insistances que lui impose le tabac, « je veux rester digne ». Tu serais resté digne, jusqu’à la mort. Tu as résisté aux alléchantes propositions pour le rester.
Et ce soir, sinon depuis les profondeurs de la nuit dernière, Mgr Philippe Kpodzro t’aurait dressé la table de la Félicité Céleste, buvant au Calice éternel. Je ne sais pas s’il y a du tabac dans le hall d’attente de Saint Pierre, mais je parie qu’on y rit, aux éclats, comme tu aimes le faire pour camoufler tes doutes. Saint Pierre avalait peut-être quelques bouffées de la pipe romaine, pipe à laquelle tu as toujours préféré des cigarettes, jusqu’à ce matin, casser la pipe. Point de doute là-haut, même si en apprenant ta mort ce midi, j’en ai douté. Je doute d’ailleurs encore, un peu, tu es mort. Comme d’autres avant toi, comme nous tous après toi. A bientôt!
Max-Savi Carmel, Le Mans, 03 Mars 2024.