Guillaume Soro est le seul candidat déclaré, mais des noms sont dans toutes les têtes à Abidjan. Le ticket Bédié-Gbagbo, Mamadou Coulibaly, Pascal Affi Nguessan ou encore dans le camp présidentiel, au cas où le président sortant ne se présenterait pas, un dauphin dans la majorité. Si une partie de l’opinion craint le retour des vieux démons, les ivoiriens veulent, dans leur majorité, tourner la sombre page des violences électorales. Premier des 6 articles du Spécial Côte d’Ivoire d’Afrika Stratégies France. Reportage !
Le mois d’octobre est le plus arrosé de cette année à Abidjan. Des journées entières s’enchaînent sous le poids de l’eau qui éprouve chaque jour, un peu plus, la résistance des vertigineuses canalisations qui longent les multiples nouvelles voies de la capitale économique. La Côte d‘Ivoire semble définitivement en paix et malgré la pluie, les maquis d’Adjamé et les restaurants huppés de la Zone 4 ne désemplissent pas. Dans les magasins de Macory, la société de consommation ne se serait jamais autant illustrée. Tout semble normal dans un pays où Gbaka (vieux bus collectifs de transports entre quartier populaires, véritable débrouille à l’ivoirienne), Wororo (taxis collectifs) et Télé-taxi (supposés à compteur) se croisent et se dépassent. Autour d’une nouvelle présidence en construction, chef d’œuvre de l’architecte français Pierre Fakhoury, des buildings surgissent de terre au Plateau. Un peu plus loin, la Baie de Cocody présage d’un féérique espace de plaisance à la Saint-tropez, projet conjoint du Roi Mohamed VI et du président Alassane Ouattara. Comme si, dix ans après la guerre civile de la dernière alternance, le pays est engagé sur la voie de l’avenir et de l’émergence. Une émergence que symbolisera la Tour F, la plus culminante d’Afrique avec plus de 280 mètres de hauteur, elle-même en construction au cœur d’Abidjan et devant coûter pas moins de 264 milliards CFA. Mais cet ensemble de grands travaux dépend aussi de l’issue de la prochaine présidentielle qui occupe tous les esprits. En Belgique, Pascal Affi Nguessan, en Espagne, Guillaume Soro en Crush party et sur le terrain, le Rassemblement des houphouëtistes pour le développement et la paix (Rhpd) qui a donné le coup d’envoi d’une géante machine à gagner à Yamoussokro ce samedi pendant qu’à Daoukro, Bédié multiplie des rencontres et appels téléphoniques, priant pour que Gbagbo, en liberté conditionnée à Bruxelles, ne rentre pas de sitôt. Car entre les deux hommes, un accord tactique et non écrit prévoit que le Sphinx soit soutenu par le Fpi-Gbagbo au cas où ce dernier ne rentrera pas au pays à temps. Mais à une année du scrutin, rien n’est joué d’autant que malgré les supputations, le président sortant n’a pas encore dit son dernier mot.
Soro déjà en orbite
Troubadour. « Retenez bien ce mot » insiste, ironique, l’ex rebelle à l’hôtel Ciscar de Valencia, provoquant des éclats de rire dans la salle. Il faisait une allusion moqueuse aux flatteurs du Rhdp. Soro a été le premier candidat annoncé, dans la foulée, en mars, de sa rupture avec la majorité. Depuis son départ du camp présidentiel, Guillaume Soro aligne meetings nationaux et tournées internationales et ne manque aucune occasion de s’attaquer à sa famille politique d’hier. Samedi, il était en Crush party à Valencia. Depuis la ville espagnole, il harangue une salle moins pleine que celle où eut lieu la Crush party de la capitale française en août dernier. La stratégie Soro ? Prendre de l’avance et s’imposer comme, il aime le dire en cercle restreint, en « candidat naturel » d’une Alliance d’opposition qui peine à se concrétiser. Car au fond, chaque leader, quelque soit son rang, « tient à être candidat » selon une députée proche de l’ancien président du parlement ivoirien. Mais à Abidjan, son passé le suit, « il pense qu’on a oublié la rébellion ? » se demande, embarrassée, Angela. Cette vendeuse de nourriture à Yopougon a perdu, en 2002, son père au début de la guerre, ce qui a contraint sa famille à quitter Dimbokro pour Abidjan. Mais Issa Sangaré indexe « son impatience« , le trouvant « trop pressé« . L’intéressé lui-même résume tout, « Alassane m’a pris le tabouret, je prendrai le fauteuil » rigole-t-il lors de meetings dans le nord du pays. En attendant, agacé par la méfiance de la communauté internationale, celui qui dit avoir été inquiété par la police espagnole à la demande d’Interpol a encore du chemin. Il se pose en résistant qui a tenu tête à une police européenne alors qu’il sait bien qu’aucun policier ne serait reparti sans lui si l’objectif était de l’appréhender. Car la victimisation semble bien lui marcher, il en mord à grandes dents. A Abidjan, plus de doute dans les esprits, « il est définitivement candidat« . Et plusieurs discrets sondages réalisés par son propre camp lui assurent « entre 7 et 11% » de l’électorat au premier tour, ce qui est loin de le décourager.
Le Rhpd concocte sa machine
Samedi à Yamoussoukro. Un important séminaire de préparation a rassemblé les coordinateurs régionaux du Rhdp autour de Adama Bictogo. Objectif ? Mettre la troupe en ordre de bataille. En comptant, comme sait le faire la majorité présidentielle qui a remporté les dernières élections régionales, sur les comités et leaders de base. La création en vue de 16.000 comités de base et la récente création de la cellule locale électorale pour chaque localité confortent la stratégie de base du parti. Le mot d’ordre, « amplifier la présidence du parti dans chaque petit coins et recoins du pays » claironne Adama Bictogo. Pour l’occasion, le directeur exécutif du Rhdp s’est fait entouré d’autres piliers du système notamment les ministres Adjoumani (Agriculture), Mamadou Touré (Jeunesse et emploi des jeunes) ou encore Danho Paulin (sports). En tout une vingtaine de ministre dont Anne Ouloto (Environnements et développement durable) plus de 150 députés et 79 sénateurs. Sans compter de multiples maires et conseillers régionaux. Une véritable messe pré-électorale. Ce séminaire a d’ailleurs pris fin, sur une décision symbolique comme la construction prochaine du siège du parti dans la capitale administrative du pays, berceau de Houphouët Boigny dont le parti est l’héritier. Décision très applaudie par l’assemblée. La plus grande innovation de cette rencontre est le statut de E-militant avec l’obtention, en ligne, d’une carte de membre et surtout, des réunions et meetings qui devraient se faire, sur le net. Une manière aussi d’attirer les plus jeunes. Mais le parti d’Alassane Ouattara doit encore attendre début mai et l’investiture de son candidat, le président sortant pouvant encore briguer la magistrature suprême. Sauf que plusieurs signes font penser qu’il se choisira un dauphin. Avec le récent remaniement ministériel qui maintient en bonne position les proches de l’actuel premier ministre et la désignation des membres du bureau central qui confie l’appareil à ses proches, Gon Coulibaly est perçu comme l’élu. Discret et batailleur, il est perçu comme « une force tranquille que camouffle l’humilité ». Actuellement, loin de Yamoussoukro, Gon Coulibaly qui a déjà prévu une immense tournée à Man (Ouest) enchaîne missions et audiences entre Lyon, Marrakech et Washington comme s’il attend, secrètement, la bonne heure. Mais il sera sans doute dans la capitale administrative de la Côte d’Ivoire dans quelques semaines. Rendez-vous est pris pour le 06 décembre afin de rendre un géant hommage au père de la Côte d’Ivoire décédé le 7 décembre 1993 dans cette même ville. Une manière de ratisser large, notamment auprès des Ivoiriens, très nombreux, qui restent attachés à Félix Houphouët-Boigny, premier président du pays, dès l’indépendance en 1960.
Bédié et consorts mijotent
A 85 ans (86 en 2020), Henri Konan Bédié n’a qu’une seule obsession, revenir au pouvoir. Mais compte tenu d’un récent accord non écrit avec Laurent Gbagbo, « le mieux placé » d’entre eux sera le candidat commun de leurs deux organisations qui ont déjà organisé, ensemble, un grand meeting à Abidjan. Sauf qu’à La Haye, Blé Goudé qui se dit « héritier de Laurent Gbagbo » avec qui il a été détenu à la Cour pénale internationale (Cpi) espère la candidature de son mentor. L’ex ministre de la jeunesse qui vient de lancer un parti politique est très hostile à Bédié et ne s’en cache pas. Et au cas où Laurent Gbagbo sera relaxé par la justice internationale, tout risque d’être bouleversé par sa candidature, très souhaitée par ses proches à laquelle s’oppose sa seconde épouse. Nady Bamba préfère le voir dans la posture de patriarche qui « donne des conseils à la jeune génération« . L’ancienne journaliste pense peut-être à Blé Goudé pour qui elle ne cache pas son admiration. Une autre surprise qui peut surgir dans l’opposition, c’est Mamadou Coulibaly. Ancien cadre du Fpi, l’ancien président du parlement ivoirien est très présent sur les réseaux sociaux où son discours anti-Ouattara séduit une partie de la jeunesse. Son opposition au franc Cfa, monnaie régionale, en fait une star de l’anticolonialisme. Il pourrait ne pas rater la course présidentielle d’autant que des militants de Liberté et démocratie pour la république (Lider) l’y excitent. Mais l’imprévisible Affi Nguessan qui aurait voulu « rencontrer Gbagbo sans conditions » n’écarte pas d’être de la course. Ce qui aura pour effet de fragiliser, ne serait-ce que de quelques points, l’opposition radicale qui, entre Soro et Bédié, se cherche un leader. Mais comme dans la plupart des pays africain, les égos reviennent au galop.
Les ivoiriens veulent éviter à tout prix la guerre. Une inquiétude qui replace la jeunesse au cœur du processus d’autant que les jeunes semblent de plus en plus préoccupés par la présidentielle. Surtout, l’immense classe moyenne née de la politique en cours qui, comme Emma, » veut pouvoir continuer ses affaires dans un contexte politique rassurant ». Une chose est certaine, la communauté internationale qui a accompagné la reconstruction du pays ne lâchera rien. Le Pape François qui vient d’envoyer un nouvel ambassadeur dans le pays a déjà, en marge de la messe d’ordination épiscopale de Mgr Paolo Borgia le 5 octobre, demandé au nouveau nonce apostolique de « faire de la paix et du rapprochement des peuples une priorité sans prendre position dans le débat public« . Une mise en garde qui ne rappelle pas seulement que le Souverain pontife suit la Côte d‘Ivoire de près mais aussi les divisions des évêques lors de la crise de 2011 sur la position de la conférence épiscopale.
MAX-SAVI Carmel, Envoyé spécial à Abidjan, Afrika Stratégies France