Avec trois nouveaux prélats élevés récemment au cardinalat par François, l’Afrique compte une trentaine de cardinaux dont seulement 17 sont électeurs sur environ 125 au total. Si elle connaît la plus grande augmentation de catholiques dans le monde et concentre à elle seule 18% de fidèles, elle n’a encore connu aucun pape. Alors que l’actuel souverain pontife a 82 ans, quelle chance pour l’Eglise catholique d’avoir un Africain qui succède à Saint Pierre ? Légitime question à la réponse périlleuse, sinon hasardeuse. Quelques tentatives d’essai.
Août 2014. Lors d’une conférence de presse en marge d’une visite en Corée du Sud et dans l’avion qui le ramène, François évoque sa mort possible et sa démission éventuelle, estimant vivre encore » deux ou trois ans » avant de rejoindre » la Maison du Père !« . Une déclaration qui avait, en son temps, alimenté la polémique encore que depuis plus de 60 ans, le pontife argentin n’a qu’un seul poumon à la suite d’une opération intervenue dans ses 20 ans. Il est probable que s’il vit au-delà des 85 ans, l’actuel vicaire du Christ démissionnera bien avant. Il est inimaginable de voir un Jésuite s’accrocher au trône comme l’a fait Jean Paul II, même au plus faible de sa forme physique. L’avenir de l’Eglise se joue sans aucun doute en Afrique où en 2017, le nombre de catholiques a augmenté de 2,5% contre à peine 0,95% pour sa rivale de l’Amérique portée par le sud du continent. Quant à l’Europe, elle a frôlé la croissance presque nulle pour se stabiliser à + 0,1%. Mais ce ne sont pas les fidèles qui font le Pape. S’il est chef spirituel de 1,350 milliards de personnes, une petite poignée de 120 cardinaux en moyenne élisent le Pape. Pour espérer accéder à la tête de l’Eglise romaine, l’Afrique a besoin, non pas de plus de catholiques mais de cardinaux.
Comment est élu un Pape ?
Le Pape est élu lors d’une réunion secrète appelé conclave. Il a lieu dans les semaines qui suivent la mort ou la démission (la dernière en date est celle de Benoît XVI) d’un souverain pontife et rassemble les cardinaux papabili (papables en italien), soit 125 à ce jour. Il s’agit notamment de princes de l’Eglise âgés de moins 80 ans, l’âge au delà duquel on est ni électeur, ni éligible. Mais un conclave est précédé de la congrégation générale. Consacrée aux préparatifs des funérailles du Pape défunt et aux questions de succession, elle est une sorte de campagne électorale, présidée par le Doyen du sacré Collège (assemblée des cardinaux) au cours de laquelle des cardinaux peuvent prendre la parole. Constituée du cardinal camerlingue (l’actuel est l’irlandais Kevin Farrell, nommé à ce poste par François le 14 février 2019) et de trois autres tirés au sort, la Congrégation particulière gère les affaires courantes du Saint Siège pendant la vacance de pouvoir et joue le rôle de commission électorale. L’élection proprement dite débute entre 15 et 20 jours après la mort du pape ou sa démission. Tous les cardinaux électeurs logent au Vatican et les votes ont lieu dans la chapelle Sixtine. Si en 1271, un conclave a duré des mois au point de mobiliser les habitants de Rome à forcer la main aux cardinaux, les trois derniers n’ont duré qu’entre deux et trois jours. L’élu doit rassembler deux tiers des voix et les scrutins ont lieu 4 fois par jour (2 matin, 2 après midi) et l’heureux élu doit accepter sa désignation. Une fumée blanche annonce le choix du nouveau chef de l’Eglise qui fait sa première déclaration dans la foulée. Trois soutanes de différentes tailles sont prévues pour qu’il apparaisse en blanc alors que la couleur cardinalice est le rouge ou le noir. Le cardinal protodiacre (l’actuel est l’Italien Renato Raffaele Martino) annonce l’élection du Pape au monde.
Quelle chance pour les cardinaux africains
Dieudonné Nzapalainga a beaucoup de chance d’accéder au trône. A 52 ans, il pourra participer à 2 ou 3 conclaves avant ses 80 ans. Prêtre de la Congrégation du Saint Esprit depuis 1998, évêque depuis 2012, il n’a été élevé au cardinalat que seulement 4 plus tard, battant tous les records. Mais le fait d’être religieux et non diocésain est un léger handicap ainsi que la méconnaissance qu’il a de la Curie Romaine (gouvernement de l’Eglise). Mais l’archevêque de Bangui aura le temps d’apprendre et les défis de réconciliation et de contribution de la paix pour lesquels il aura été fait cardinal sont encore immenses dans une Centrafrique fragilisée. Berhaneyesus Demerew Souraphiel, 71 ans aurait eu beaucoup d’atout si l’archevêque d’Addis-Abeba n’était pas de rite oriental. Une improbabilité d’autant que cette obédience, bien que catholique est minoritaire et la majorité de rite romain ne lâchera pas le siège apostolique. A 73 ans, l’archevêque d’Abidjan a toutes les chances. Membre de la congrégation pour l’évangélisation des peuples, Jean-Pierre Kutwa est discret et influent. Homme de réseaux, il est très apprécié en Afrique et en Europe. Robert Sarah, 74 ans, est néanmoins l’africain le mieux parti pour être le prochain pape. Rigoureux et de bonne renommée, l’ancien archevêque de Conakry peut compter sur les réseaux traditionnalistes américains très hostiles à François qui ont déjà promis œuvrer pour l’arrivée d’un pontife proche de leur tendance. Le préfet pour la Congrégation du culte divin et la discipline des sacrements peut compter aussi bien sur l’Afrique que sur une partie de l’Amérique latine où il entretient de vieilles amitiés. Du haut de ses 73 ans, l’archevêque de Ouagadougou est pénalisé par son introversion naturelle et son obsession à ne pas se mettre en avant. Philippe Ouédraogo est un inclassable qui aura peu de chance si un conclave intervenait dans les trois prochaines années. Le ghanéen Peter Kodwo Appiah Turkson était l’un des mieux partis jusqu’à une déclaration incohérente qu’il a tenue en plein Vatican. Mais il reste sérieusement dans la course, sa relative jeunesse, 70 ans, étant un atout. John Njue aurait eu toutes ses chances si sa contribution à une campagne contre la vaccination dans son pays ne l’a pas classé dans le camp des extrêmes. Né en 1944, l’archevêque de Nairobi est critiqué pour ne s’être pas suffisamment impliqué dans les diverses crises politiques que son pays a connues. A 75 ans, l’archevêque d’Abuja est très influent et écouté par la Curie. John Olorunfemi Onaiyekan peut compter sur le vaste réseau laissé au Vatican par son compatriote, le très respecté Francis Arinzé. Jean Zerbo, premier cardinal malien a bénéficié du désir du Pape de renforcer le dialogue avec l’islam au détriment de s’être imposé par son charisme. Désiré Tsarahazana est l’un des plus influents de l’océan indien. Ce malgache de 65 s’est rapproché du Pape François à l’occasion des préparations de la visite de l’évêque de Rome début septembre.
Le Cap verdien Arlindo Gomes Furtado pourra, à 69 ans, compter sur son âge pour se préparer pour d’autres conclaves et à 78 ans, le sud africain Wilfrid Napier paraît bien âgé ainsi que le mauricien Maurice Piat, même âge, pour succéder à un autre pape élu à plus de 75 ans. Idem pour le soudanais Gabriel Zubeir Wako.
En tête des statistiques pour le nombre de catholiques et devant en compter plus de 40% d’ici 50 ans, l’Afrique est encore loin du siège romain. Mais le dynamisme de son église, jeune et fervente, lui garantit un avenir glorieux, sans doute quand, acculé par les scandales, la papauté ne serait plus qu’un lointain monarchisme, isolé et dépassé.
MAX-SAVI Carmel, Paris, Afrika Stratégies France