La Commission électorale indépendante (Cei) affrontera sans doute son premier baptême de feu à l’issue de sa décision face à ces délicates candidatures. S’il est fort probable qu’elle les rejette, la mobilisation, trop importante, des partisans de l’ancien chef de l’Etat et de l’ex président du parlement ivoirien pourrait amplifier les manifestations dans le pays. Une situation que redoutent, à raison, les forces de sécurité, en alerte maximale dans le pays.
Alassane Ouattara, 78 ans et candidat à un troisième mandat est à Paris. Le président ivoirien devrait rencontrer, ce début de semaine, Emmanuel Macron qui, compte tenu de la délicatesse de la situation, en a longuement discuté la semaine dernière avec Macky Sall. Le président sénégalais était de passage à Paris, pour évoquer avec son homologue français, la situation explosive de la sous-région depuis que Ouattara et Condé sont candidats pour un 3e mandat et surtout, après que Faure Gnassingbé (Togo) ait forcé un 4e mandat. En Côte d’Ivoire, la situation a généré de la violence notamment au centre et à l’Ouest du pays mais aussi à Abidjan où le préfet de district a rendu sa démission. Des sources proches de Vincent Toh Bi Irié ont fait cas de ce qu’il « ne veut pas être responsable de violences éventuelles lors de la prochaine présidentielle« . L’issue que donnera la commission électorale aux candidatures de Laurent Gbagbo, 75 ans et Guillaume Soro, 48 ans,est d’autant plus délicate que lors de la dernière alternance, en 2010, le pays a connu une série de violences qui ont fait au moins 3000 morts.
Délicates candidatures
« On attendait tout sauf ça » insiste-t-on à la Commission électorale indépendante. Si Guillaume Soro a annoncé sa candidature depuis un an, il n’en est rien de celle de Gbagbo qui est toujours retenu à Bruxelles malgré l’extension de sa liberté de mouvements par la Cour pénale internationale qui travaille à son procès en appel. Le dépôt de candidature de Gbagbo aurait souffert de crédibilité puisqu’il n’a pas été fait par son parti, divisé depuis son arrestation en 2011. Sauf que Georges-Armand Ouegnin qui a remis ledit dossier à la Cei s’est fait accompagner par Michel, le fils aîné de l’ancien chef d’Etat. Il serait bien complexe de rejeter les candidatures de ces poids lourds de la politique ivoirienne. Mais elles sont frappées aussi bien par la résidence, Soro est à Paris et Gbagbo en Belgique, que par les condamnations à 20 ans de prison pour chacun par la justice ivoirienne. Aussi, pour être candidat en Côte d’Ivoire, il faut être inscrit sur la liste électorale, ce qui n’est le cas ni pour l’un, ni pour l’autre. Mais la commission électorale n’aura jamais été aussi embarrassée.
La Cei embarrassée
La Commission électorale qui ne s’attendait pas à de telles candidatures est très embarrassée. Elle avait justifié, il y a quelques jours, le retrait de la liste électorale des noms de Laurent Gbagbo et de Guillaume Soro, ainsi que deux autres acteurs importants de la vie politique. « Une décision conforme à la loi » avait tenu à préciser Ibrahime Coulibaly Kuibiert. Le président de la Cei « aura moins de facilité à défendre le rejet de la candidature de Gbagbo et Soro » selon une source diplomatique française qui a requis l’anonymat auprès de Afrika Stratégies France. Car, compte tenu du passé électoral de la Côte d’Ivoire, le pays est tenu à l’œil par ses principaux partenaires internationaux. Une situation d’autant plus délicate que par deux fois, des militants ont envahi le siège de l’institution électorale pour exiger des explications sur les différents retraits de la liste électorale. « Il s’agit d’une inadmissible injustice » selon Simone Gbagbo. L’épouse de l’ancien président qui a purgé une peine de 7 ans de prison en Côte d’Ivoire avait aussi trouvé « inexplicable » que « Laurent Gbagbo n’ait pas eu droit à un passeport » alors qu’il en a demandé depuis plusieurs semaines.
Une présidentielle suivie de près
La prochaine présidentielle est suivie de près, notamment par les ambassades des Etats-Unis, de France, de l’Allemagne et de l’Union européenne. A l’occasion de la visite privée en France de Alassane Ouattara en ce moment et lors de laquelle il s’entretiendra rapidement avec Emmanuel Macron, Gilles Huberson a exprimé ses « craintes et peurs réelles » dans une note adressée à la hiérarchie et dont Afrika Stratégies France a copie. L’ambassadeur de la France à Abidjan justifie ses craintes par les récentes manifestations et « une grande tension, perceptible dans une partie du pays« . Le diplomate français qui était en fin de mission cette année devrait probablement rester en poste pour « suivre cette présidentielle de près » selon des indiscrétions du Ministère français des affaires étrangères. Washington aussi suit la situation de près ainsi que Berlin. La Côte d’Ivoire est un solide pied à terre en Afrique de l’Ouest pour la diplomatie américaine qui s’était intensément impliquée dans la résolution de la crise de 2010.
Mais quoiqu’il arrive, ni les acteurs ni les hommes politiques ne veulent voir le pays sombrer dans la violence. La majorité des ivoiriens que nous interrogeons a encore une fraiche souvenance des événements de 2010 et veut l’éviter à « à tout prix« , ce qui n’a pas empêché les débordements de violence qui ont fait « entre 4 et 8 morts » ces derniers jours.
Afrika Stratégies France