Une troisième et « ultime » convocation a été adressée à Agbéyomé Kodjo par la gendarmerie depuis la présidentielle de février pour laquelle il a annoncé sa victoire. Si l’intéressé pourrait, comme pour les deux précédentes boycotter cette « invitation », ses avocats déplacent le combat sur le terrain judiciaire. Même si des révélations font cas de ce que l’obstination du président sortant à jeter son challenger en prison soit motivée essentiellement par la peur que les franges tribalo-hostiles de l’armée ne profitent de l’occasion. Qu’en est-il de tout cela? Éléments de réponse avec Afrika Stratégies France.
Un peu épuisé, Agbéyomé Kodjo se reposait encore quand, le 16 avril, des huissiers et gendarmes en civil lui notifient une convocation, ou plutôt, « invitation » comme le stipule le service spécial de la gendarmerie qui est à ses trousses. Depuis la présidentielle que tout porte à croire qu’il a gagnée, c’est sa troisième invitation, avec, soulignée en marqueur la mention « ultime convocation« . Le « président élu » entame des consultations, échange avec son collège de conseillers juridiques et d’avocats. Mais jusqu’à la publication de cet article, il n’a rien laissé transparaître de ses intensions, de s’y rendre ou non. Sauf que, comme nous l’avions écrit dans un papier précédent, il était évident que « la trêve ou le répit était de courte durée » car, au-delà de la haine personnelle que lui voue Faure Gnassingbé, ce qu’il convient d’appeler Agbéyomégate crée des remous dans l’armée. Ses soutiens supposés sont taxés d’être à la manœuvre de quelque chose, ses rares détracteurs dans un corps qui aurait voté majoritairement pour lui font mine de tout zèle et pendant ce temps, le président sortant craint que cette situation ne vienne créer une crispation. D’autant que si l’armée togolaise, qui s’est illustrée à travers des massacres et féroces répressions, est son principal soutien au pouvoir, Faure Gnassingbé gère un « agacement des kabyè, (ethnie du chef de l’Etat, Ndlr) » qui sont majoritaires dans la grande muette et ne supportent plus la montée en force des losso, ethnie proche. Cette guéguerre s’est accentuée depuis que les principaux postes de commandement sont tombés aux mains de l’ethnie d’un autre influent ministre, Gilbert Bawara. Une situation qui sonne d’incandescence les tensions internes. Mais en attendant, le combat commence sur le terrain juridique.
Une guerre juridique
« Je ne me sens pas trop concerné par ces affaires d’immunité » commence, l’air convaincu, Agbéyomé Kodjo. « Je suis élu chef de l’Etat, avec une immunité pus importante, à ce niveau là » esquisse celui qui est, officiellement, arrivé en 2e. S’il est confiant, c’est aussi à cause du travail que font ses avocats de jour comme de nuit. Dans un pompeux argumentaire parvenu à notre rédaction, ils dénoncent avoir été privés d’accès « à une clé Usb » au nom du principe du contradictoire, que le Procureur de la République a envoyée à leur client et qui contiendrait les charges qui justifieraient les poursuites engagées contre leur client. « Il peut se défendre sans cette clé car ses avocats sont au courant des charges qui pèsent sur lui » justifie-t-on au cabinet de la présidente du parlement, une belle dame dont la presse locale dit que « le charme n’a pas laissé indifférent le chef de l’Etat« . Ca c’est une autre affaire. Toujours est-il que dans le camp Kodjo, on s’étonne que l’assignation introductive d’instance signifiée à l’assemblée nationale pendant devant les tribunaux a pour effet de suspendre la résolution portant levée des immunités de Monsieur KODJO, et que malgré cela le Ministère public continue d’entretenir le ballet des huissiers au domicile de l’homme de Tokpli. Des sources concordantes fuitent, que Yawa Tsegan Djigbodi ne se présentera pas. Normalement, la procédure doit être, dans ce cas, suspendue en attendant le sort du recours le 28 avril. Si d’aventure le Tribunal donnait raison à Mr KODJO il faut attendre la prochaine session parlementaire pour remettre l’ouvrage à la tache si tant est que la haine de poursuivre Mr KODJO pour des faits de campagne et de revendication de sa victoire n’est pas enterrée. Personne ne comprend donc que, malgré le rendez-vous du 28, les convocations continuent à atterrir chez Kodjo, violant tous les principes du « préalable pourtant « élémentaire ! » dans toute procédure judiciaire s’emporte un conseiller juridique. Mais c’est sans compter avec l’impatience de Faure Gnassingbé à prendre sa revanche personnelle, résidus des intarissables haines qu’il voue à son challenger. Sauf qu’au cœur de tout ça, plane l’ombre en bérets, de l’armée togolaise. Considéré comme l’obélisque du système de pouvoir du président sortant, il craint que l’affaire Agbéyomé ne fasse des vagues au sein de sa machine à biceps.
L’armée, l’énigme ?
Ouvrez votre passeport togolais. Quelque soit son année. « Aharh Ahaware », ces deux noms qui sonnent comme des onomatopées de l’imprononçable sont inamoviblement incrustés en signature sur le document du voyage depuis Mathusalem. Car l’intéressé lui-même réfléchit pour se souvenir de l’année de sa nomination à la tête de documentation nationale. Si l’armée fut construite par Gnassingbé Eyadema, père de l’actuel président togolais, autour de la fibre ethno kabyè et sur la volonté de donner la baïonnette à une ethnie, présumée écartée, contre l’intelligentsia supposée aux mains des sudistes, les pions tribaux bougent. Les kabyè qui revendiquent une hégémonie « naturelle » sur l’armée supportent mal une glissade en faveur des losso, ethnie voisine mais aussi rivale. Doloma Malana dirige d’une main de fer la garde présidentielle alors que le colonel Madjoulba est le commandant de corps du très stratégique camp FIR, Agouè (au nord de Lomé). Le frère de ce dernier, Calixte, officier militaire lui aussi, tient Paris, la plus stratégique ambassade du Togo. A la documentation, Aharh Ahaware, cité plus haut. Et un autre frère est, à Kara (450 km au nord de Lomé), fief du régime, le commandant de corps du tristement célèbre Landja, sanctuaire de sécurité du régime pendant que le colonel Tchakbéra ceinture la région militaire Nord du pays. Tous ceux-là ont en commun d’appartenir à la même ethnie. Une situation qui devient agaçante pour les kabyè d’autant que l’aéroport de Lomé est aux mains du Colonel Latta, lui aussi d’une ethnie assimilée. Cet état de choses couve des tensions que Faure Gnanssingbé feint d’ignorer tant qu’il a le soutien de son chef d’Etat major général. Quand le 19 août 2017, la révolte populaire déchaine de violentes manifestations avec Tikpi Atchadam à Lomé, le président qui était à Kigali a hésité à rentrer au pays. Paul Kagamé qu’il considère comme « son mentor » lui a recommandé la prudence. Mais après un bref entretien avec le Général Katanga, le président togolais atterrit quelques heures plus tard à l’aéroport de la capitale, qui porte le nom de son père. Puis reçoit le chef d’Etat major général dans les minutes qui suivent. Si elle l’a installé le 5 février 2005 au soir dans la foulée du décès de son père, l’armée est aussi le roc d’angle dans lequel est scellé le destin « féticho-pouvoirisant » du président togolais. Sauf que, depuis quelques années, l’harmonie se fissure. Lors de la dernière présidentielle, l’armée dont le vote est secret, aurait voté selon la Dynamique Kpodzro « à 80% pour Agbéyomé Kodjo« , dans la réalité, « c’est un peu moins » nuance un membre de la Commission électorale. Si Kodjo a toujours eu de bonnes relations dans l’armée, un discours fera date. En début de campagne électorale, il adresse un message aux forces de sécurités, se présentant comme, « le futur chef des armées« . Pire encore, alors que le discours a été écrit par d’anciens officiers proches de l’ancien Premier ministre ainsi que des experts sur la question militaire, les vrais problèmes de l’armée y ont été « soigneusement et entièrement pris en compte » selon des éléments de troupes rencontrés. La nuit fut blanche pour le chef de l’Etat qui séjournait dans le septentrion. Le lendemain, pour un chef si introverti et muet, la riposte tonne, entre agacement, tremblotes de rage et mine de mépris. Gnassingbé fustige cette adresse de son rival. Depuis, une peur hante celui qui est de plus en plus perçu comme rébarbatif aux kabyè, que des franges au sein de l’armée ne s’offrent à des mouvements d’humeurs favorables à Kodjo.
Une haine personnelle
« Entre Agbéyomé et Faure, c’est avant tout une question de méfiance et de complexe » analyse un ministre en fonction. Selon lui, Faure Gnassingbé sent permanemment l’ex allié de son père comme une menace. D’ailleurs, alors qu’à la mort du père, l’ex dictateur Gnassingbé Eyadema, celui qui aura été plus de deux ans son Premier ministre rentre de l’exile français, il a été arrêté, humilié puis acheminé en prison. N’eut été l’intervention de Chirac, de Omar Bongo, Alpha Konaré Président en exercice de l’Union Africaine, et du nonce apostolique, il aurait passé, à Kara, fief du régime, plus que les huit semaines de purgatoire. Il faut rappeler que Mr KODJO fut brutalement arrêté et jeté en prison pendant 40 jours dans l’affaire des incendies qui ont consumé les marchés de Kara et de Lomé et considéré comme cerveau de cette action criminelle avant d’être blanchi. Depuis, le président le tient à l’œil. Pour les uns, Faure Gnassingbé craint « qu’un excès d’expériences et de compétences » ne lui fasse ombrage, pour les autres, il n’a jamais digéré « le fait que Premier ministre, Agbéyomé ne l’ait jamais pris au sérieux » selon les anecdotes de l’une de ses maitresses. Car célibataire à 54 ans, le président enchaîne aventures et coups d’occasions, créant ainsi un truculent gynécée dont la chaine enregistre chaque jour, de nouveaux « maillonnes », pardon, maillons. Passons ! Faure Gnassingbé n’a d’ailleurs jamais manqué aucune occasion d’humilier et de mépriser l’ancien président de l’assemblée nationale. Désormais, le souffre de ce désamour embaume une justice qui est, en bonne épicerie berbère, à la solde du clan dirigeant.
Mais jusqu’où ira ce bras de fer ? L’Eglise catholique dont Faure Gnassingbé tient en aversion les dignitaires qu’il a d’ailleurs contournés pour se rendre, avec un malicieux coup de pousse du Nonce apostolique, fin avril 2019 au Vatican et les chancelleries prônent la conciliation. Mais le président dont l’égo ne se nourrit que de victoires remportées et qui jouit en jetant son frère, Kpatcha Gnassingbé, et son ex bras droit, Pascal Bodjona en prison, ne l’entend pas de cette oreille.
MAX-SAVI Carmel, Afrika Stratégies France