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BURKINA FASO : Face à la récurrence du terrorisme, le patriotisme à l’épreuve de la peur

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Les attaques et menaces terroristes se font récurrentes dans le pays où le nombre interne de déplacés a franchi la barre, fin octobre, de 500.000. Si à Ouagadougou et dans ses environnements, la vie paraît relativement normale, nul ne perd de vue la précarité de la trêve, alors que chaque jour, en province, les attentats s’enchaînent. A un an de la présidentielle, l’exécutif est critiqué pour son inefficacité. Voyage au cœur d’un pays où le regain de patriotisme ne suffit plus pour arriver à bout de la peur. Reportage !

Quelques heures avant notre départ du Burkina Faso, ce 28 octobre, un attentat a fait 16 morts, exclusivement des civiles

Ouagadougou. La poussière n’aura jamais autant régné en fin du mois d’octobre. Cette année, pas une goutte de pluie alors que les premières précipitations sont attendues depuis de nombreuses semaines. Sur l’avenue N’Krumah, la peur est fortement ressentie. D’ordinaire bouillant de monde, la plus célèbre avenue du pays est presque vide. En face de l’emblématique hôtel Splendid qu’une partie de sa clientèle a abandonné depuis les attentats terroristes qui l’ont ciblé en janvier 2016, un autre hôtel est à l’abandon. A quelques pas, le Capuccino ne lâche pas le dernier souffle de la résistance. Terrasse vide, ce lieu de rencontre d’expatriés occidentaux, ensanglanté par les mêmes violentes attaques est presque l’ombre de lui-même d’autant que dans les mémoires, il rappelle de très douloureux souvenirs. A Taxi Brousse, populaire maquis ivoiro-burkinabé juste à côté, la vie semble néanmoins normale. Les belles-de-nuit ont repris service et la prostitution, considérée comme un crime et en partie visée par les terroristes a repris droit de cité. Des attentats ? La simple évocation fait ressurgir les angoisses chez Merveine qui a dû se cacher sous des tables pour échapper aux balles. Assise un peu plus loin et espérant le premier client de la journée, Charlotte, 29 ans, ne veut plus en parler. « Oublions tout ça et vivons » s’époumone Aminata, un autre témoin. « Oublier et vivre!« , un mot d’ordre que tous ignorent d’autant que les attaques se font récurrentes. Et en face, le pouvoir, dépassé, ne semble pas savoir à quel saint se vouer au point où, l’Etat major de l’armée, attaqué en 2018, deux ans après le Capuccino, a dû déménager. Un acte qui donne une impression de victoire aux djihadistes à un an d’une présidentielle où la sécurité occupera tous les débats.

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La psychose gagne une partie du pays

2 mars 2018. Cette date est devenue inoubliable au Burkina Faso. Un véhicule s’explose devant  l’ambassade de France. Simultanément, un autre pénètre au sein de l’Etat major puis de s’explose alors qu’une réunion militaire du G5 Sahel devait y avoir lieu. Le bilan ? 24 morts selon les français, 16 selon le gouvernement burkinabé. Une chose est certaine, au moins plus de 70 blessés. Deux ans et demi après, la peur de nouveaux attentats est dans toutes les têtes, d’autant qu’aucune présence dissuasive de l’armée n’est visible. « C’est un choix du gouvernement » selon Lassina Sawadogo qui y voit une manière de « ne pas paniquer les populations, ni donner raison aux terroristes« .  Ouagadougou est une capitale qui compte une demi-dizaine de camps militaires, ce qui ne suffit plus pour rassurer les populations. « On a l’impression que l’armée n’a pas assez anticipé » constate Lassina Sawadogo. Journaliste à la télévision nationale, il se souvient d’ailleurs des attaques de l’Etat major. « J’étais au bureau quand un déchainement de sifflements de balles nous est parvenu » avance, un brin d’angoisse à la gorge, celui qui boucle déjà une décennie au service sportif de la chaine publique. D’ailleurs, la Radiodiffusion télévision du Burkina (Rtb) est non loin de l’Etat major et de l’ambassade de France.  Même si aujourd’hui, la sécurité a été largement renforcée avec des portes et par endroits des murs blindés pour protéger la représentation diplomatique française, la télévision publique n’a bénéficié que d’un renfort militaire et pire, l’Etat major à déménagé, ce qui n’est pas de nature à rassurer. « C’est comme une désertion » s’amuse Théophile Somé qui travaille à quelques pas des anciens édifices militaires.

Et si la capitale semble en paix, la psychose s’empare chaque jour un peu plus des régions les plus fragiles. Au Centre-nord du pays, à Titao comme à Pissali (nord), de nouveaux camps d’accueil surgissent de terre. Et la ministre de la solidarité n’est pas rassurée. Marie Hélène Laurence Llboudo qui insiste sur « une situation humanitaire loin de s’améliorer » craint même que le nombre des déplacés ne dépasse 650.000 avant la fin de l’année. Et pour cause, chaque semaine, quelques terroristes débarquent dans une localité pour annoncer une descente prochaine. Paniquées, les populations prennent la tangente vers d’autres villes plus sûrs.

L’ombre de Compaoré plane

Des voix s’élèvent de plus en plus pour demander le retour de Blaise Compaoré. L’ex dictateur chassé du pouvoir en 2014 essaie de rependre depuis peu le devant de la scène. Depuis son exile doré d’Abidjan, il a envoyé 3 lettres successives à ses militants, remettant en doute le leadership d’Eddie Komboigo à la tête du Congrès pour la démocratie et le progrès (Cdp). Sur le registre de terrorisme, l’ancien président est aperçu dans l’opinion comme un rempart. « Avec lui, il n’y avait pas de terrorisme » s’emporte Paul Battiono qui a perdu un proche dans de récents attentats. Tout comme lui, ils sont de plus en plus nombreux à penser qu’un accord avec Compaoré pourrait calmer les djihadistes. « Certains pensent que l’ancien président payait les terroristes pour ne pas attaquer le pays » lance Lassina Sawadogo qui dit ne pas y croire. « Mais toujours est-il que beaucoup pensent que c’est parce que Kaboré ne paierait pas la rente que les terroristes se vengent » ajoute-t-il, sceptique. Mais dans l’opinion nationale, point de doute, « sur le plan de la lutte contre le terrorisme, Compaoré est meilleur« . Un constat que le journaliste nuance. « Le régiment de sécurité présidentiel (Rsp) faisait tout, était sur tous les fronts » selon Sawadogo qui pense que cette omniprésence justifie en partie l’idée que Compaoré était meilleur. « Pourquoi ne pas penser le contraire ? » se demande un membre du gouvernement que nous avons pu rencontrer. « Peut-être que des proches de l’ancien président sont aujourd’hui derrière les terroristes » insinue ce proche de Marc Kaboré, pour qui, « il ne faut rien écarter« . Et tous les regards se tournent vers la Maison d’arrêt et de corrections des armées (Maca) où séjournent, dans l’enceinte du Camp Sangoulé Lamizana, les généraux Gilbert Diendéré et Djibril Bassolé, deux proches de Compaoré, tous deux impliqués dans la lutte contre le terrorisme. Ils ont d’ailleurs pu être régulièrement en contact avec des terroristes dans les discussions de libération d’otage dont l’ex dictateur avait fait sa chasse gardée pour garder la sympathie des occidentaux.

Les grandes religions se liguent contre le terrorisme

A l’archevêché de Ouagadou, le Père Ouédraogo se contente d’explications au téléphone.  Le directeur de communication de l’archidiocèse évoque « un sujet délicat et sensible » avec Afrika Stratégies France pour justifier le fait que « le cardinal ne veut ni aborder le sujet, ni recevoir des journalistes« . Paul Dah, prêtre diocésain et en charge de la communication de la conférene des évêques, lui, insiste sur « la solidarité et le regain de prières » déchaînés par les attaques. D’ailleurs, les leaders religieux se sont mis d’accord pour « une communication concertée » selon l’archevêché. Ce qui n’empêchera pas El Hadj Topsoba de nous entretenir longuement. Le président de la Ligue islamique pour la paix au Faso préfère résister « par la solidarité », assurant avec vigueur que « la barbarie n’arrivera pas à bout de la solidarité entre les religions« . Il se réjouit même du soutien entre les religions et invite ses compatriotes à « rester unis » d’autant que l’opposition et la société civile multiplient des critiques à l’encontre du gouvernement. « Il est vrai que le gouvernement donne l’impression de ne pas y arriver à bout » selon Lassina Sawadogo qui pense que « le problème est plus complexe que ça » et que le changement de ministres de défense et/ou de sécurité « n’y changeront rien« . En attendant, les grandes religions notamment musulmans, chrétiens et animistes sont appelés à aider au renforcement de la paix. Un appel que répète le président Kaboré, catholique pratiquant qui ne manque aucune messe de dimanche à la Cathédrale de l’Immaculée Conception de Ouagadougou.

Si l’opposition trop dispersée peut être une chance pour le président sortant à un an de la présidentielle, Zéphirin Diabré jure que « le gouvernement est très impopulaire et Kaboré ne peut que perdre le scrutin ». Le chef de file de l’opposition, poste institutionnel, dit « être prêt pour 2020 et dispose de la bonne machine à gagner » dans une interview à publier plus tard.  Marc Kaboré, pourtant salué pour sa politique d’infrastructures, peine à juguler l’insécurité. Et la question de terrorisme sera le cœur de la campagne. Le président compte, pour convaincre au moment venu, sur Chérif Sy, son ministre de la défense et Rémi Fulgence Dandjinou, le truculent porte-parole d’origine béninoise. « Ils savent aller au four… » chuchote-t-on dans les coulisses de la majorité où l’incertitude gagne chaque jour, un peu plus de terrain.

MAX-SAVI Carmel et Brice Kodjo, envoyés spéciaux, Afrika Stratégies France, à Ouagadougou

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