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TOGO : Agbéyomé Kodjo, le bâton de l’alternance ?

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A 65 ans, l’ancien Premier ministre togolais y croit dur comme fer. Choisi par le très respecté prélat Philippe Kpodzro comme candidat unique de l’opposition après de longues tractations et consultations, il devrait faire face à Faure Gnassingbé, président sortant le 22 février prochain. Si l’opposant historique Jean Pierre Fabre qui n’entend pas se retirer, 18 autres personnes ont annoncé leurs candidatures. Mais compte tenu de son parcours, de ses réseaux, de ses indéniables compétences mais aussi de ses subtilités de stratège et de la situation particulière actuelle du Togo, l’ancien président du parlement peut-il faire l’affaire ?

31 décembre 2019. En marge d’une conférence de presse, Mgr Kpodzro annonce que selon lui et résultant de ses longues consultations, la personne la mieux placée pour battre Faure Gnassingbé, 53 ans, est Agbéyomé Kodjo. Quelques semaines plus tôt, des fuites en forme de rumeur dans les médias locaux et sur les réseaux sociaux ont avancé ce nom, fragilisant un tant soit peu l’effet de surprise escompté. Dans la foulée, l’actuel président de la commission sécurité et défense à l’Assemblée nationale a entamé des rencontres avec les principaux leaders de l’opposition et la société civile mais aussi, avec d’autres évêques. Si des attaques se sont multipliées à son encontre depuis l’annonce, sa compétence pour le poste, son parcours d’homme d’Etat, son immense expérience et sa capacité à assumer sa victoire ne font aucun doute. Bien au contraire, la diaspora togolaise le perçoit comme une porte de sortie d’autant que dans la plupart des pays de la sous-région, l’alternance n’est intervenue qu’avec d’anciens barons de régime défunts. Sénégal (Sall), Burkina Faso (Kaboré), Mali (IBK) et plus proche, le Bénin (Talon) en sont les exemples les plus illustratifs. Mais l’éternelle pathologie des égos ressurgit alors qu’avant l’opposition qui n’a jamais essayé un ancien du système au pouvoir pouvait en faire l’opportunité plus que jamais. D’autant que fragilisé par de nombreux scandales, des frustrations à l’interne, des législatives et municipales frauduleuses et une crise sociopolitique en 2017, Faure Gnassingbé qui rempile pour un 4e quinquennat à la suite des quatre décennies de pouvoir de son père, peine à convaincre.

Essai

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Sollicité par plusieurs mouvements proches de son parti politique, l’ancien Premier ministre n’a pas su résister. Alors qu’il n’a pas été candidat lors de la dernière présidentielle en 2015, il n’entend pas louper l’opportunité de 2020. Pour cause, l’opposition traditionnelle a été fragilisée dans l’opinion à cause de ses extrêmes et de son radicalisme mais aussi et surtout, en forçant un troisième mandat, Faure Gnassingbé s’est mis à dos une population qui ne supporte plus le diktat de la dynastie Gnassingbé depuis plus d’un demi-siècle. S’il est vrai que le passé de baron du régime peut paraître, sur l’échiquier politique togolais comme « suspect », il est évident que dans aucun pays de la sous-région, l’alternance n’a été possible avec un opposant historique ou encore, un radical. Cela devrait être le bon argument pour convaincre une opposition qui a été fragilisée par de nombreuses querelles internes, les conflits de leadership et l’éclatement de son symbolique regroupement qu’est la C14 (rassemblement de 14 partis réduit aujourd’hui à 4). Essayer Agbéyomé Kodjo n’est pas que donner une chance à quelqu’un qui peut rassurer tous les camps d’arriver au pouvoir mais aussi éviter d’user des mêmes procédés en espérant une issue différente, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Jean Pierre Fabre, l’incontestable populaire opposant a déjà pourtant, perdu par deux fois face à Faure Gnassingbé. Sans doute pas, faute d’avoir gagné. Mais plutôt faute de pouvoir arracher le pouvoir face à la ribambelle militaire et à un système vieux d’un demi-siècle dont il ne connait que trop peu les rouages et autres secrets. Par quelle alchimie pourra-t-il, s’il gagnait cette fois-ci, jouir du pouvoir ?

Exception

Le Togo vit une situation d’exception. Depuis 1967, un clan s’est illégalement, appuyé sur la force militaire, les coups bas et la répression sanglante, installé au pouvoir. Au bout de 5 décennies, c’est tout un système qui est en place avec ses ayants droits et ses ramifications. Ces dernières années, le Togo a enchaîné, au gré des informations média, des scandales de détournements de deniers publics ainsi que de malversations diverses sans qu’aucune disposition ne soit prise. Et pour cause, la caste des « intouchables » existe et est entretenue par Faure Gnassingbé. Comment créer un choc pour l’alternance sans rassurer ces hommes et femmes qui ont construit toute une vie sur des privilèges indûment accumulés ? Comment y parvenir sans avoir un discours qui rassure une armée qui a, tout au long de l’histoire, enchaîné des massacres et autres crimes et à qui le président actuel garantit l’impunité ? Son passé proche du pouvoir, son expérience et surtout ses contacts dans toutes les couches en font un candidat idéal dans un pays où la fragmentation des voix a toujours ruiné les chances de l’alternance. « On ne peut pas être président au Togo sans une profonde connaissance du système qui nous dirige » avait martelé Mgr Kpodzro, des propos pertinents qui confirment la posture de l’ancien directeur général du Port de Lomé. Il n’est sans doute pas le meilleur candidat face à Faure Gnassingbé mais il est certainement le mieux indiqué dans la marmaille actuelle pour gagner et jouir du pouvoir. Mais pour y arriver, sa nature baroudeur, ses bons réflexes, sa force de persuasion et de conviction, ses nombreux contacts dans l’armée, la sympathie qu’il suscite auprès de certains modérés cadres du pouvoir ne suffiront pas. Le soutien de Jean Pierre Fabre qui peut se targuer d’une popularité certaine est indispensable.

Déterminé

Sa détermination est ce qu’il affiche le plus. Sans doute liée aussi à son parcours et à une enfance des plus rudes. Né dans une famille modeste, sinon pauvre, il ne doit son salut qu’à son envie d’aller le plus loin possible. Brillantissime élève, brillant étudiant, il a failli louper de peu sa bourse.  » N’eut été le professeur Gogué qui a insisté pour que je désiste par écrit, j’aurais abandonné ma bourse pour aller à Poitiers  » se souvient celui qui doit aussi sa soif de l’illimité à son feu père. « Il voulait que j’aille le plus loin possible, même s’il n’a pas eu la chance de l’école » rend-il hommage à celui qui est décédé alors qu’il était en exil. Agbéyomé Kodjo, ce n’est pas que la prison à deux reprises au Togo, c’est aussi l’exil politique, pendant trois longues années à Paris. Tout cela a forgé le tempérament d’un homme qui n’a plus peur de rien et qui apparaît, aujourd’hui encore, le seul à pouvoir faire face aux situations les plus difficiles. Ses contacts à tous les niveaux de l’armée, sa proximité avec l’Eglise catholique et sa chaîne de contacts dans la sous-région sont ses forces. Maitrisant mieux que tous les opposants le système dont il fut un acteur clé jusqu’au début des années 2000, Agbéyomé Kodjo entretient de bonnes relations avec des barons. « Surtout, il n’est pas tribaliste » chuchote un baron, kabyè, ethnie du chef de l’Etat, majoritaire dans le septentrion et à l’égard de laquelle une forme de mépris et de complexe de supériorité sont nourris dans le conscient sudiste. Kodjo peut aussi compter sur ces centaines de personnes à qui il a été de tout secours pendant qu’il était au pouvoir. « Quand tu montes, fais toujours attention à ceux qui sont montés avant toi et qui descendent » aime à répéter celui qui n’oublie pas non plus ceux qui sont sous l’arbre et n’ont pas eu le privilège de le monter. Sa générosité est une marque de fabrique qui résiste, malgré les périodes de vaches maigres que la vie ne lui a point épargnées.

Mobilisateur

Depuis sa désignation comme candidat unique, au lieu de répondre aux attaques dont certaines ont été des plus rudes, il s’acharne à rassembler. Rencontres avec Brigitte Adjamagbo, brève visite à Paul Apévon Dodji, courte audience avec Dr Dosseh, respectée force de la société civile, il ne lâche aucune occasion. Car pour lui, « c’est une victoire collective » et dans son organigramme de pouvoir, chacun aura sa place. Pour sa campagne, ce travailleur fou et grand constructeur a un bilan. Lève tôt, couche tard, cet économiste est aussi un bosseur hors pair. C’est aussi ce qui a caractérisé toute sa carrière, de cadre d’entreprise mais aussi de directeur général du Port autonome de Lomé où il a multiplié des initiatives et projets. Le Terminal du Sahel, l’Ecomarine, la modernisation du Port ont été la résultante de sa vision audacieuse et de son enthousiasme mitterrandien à faire tout en grand. Jeune ministre de la jeunesse et des sports dans les années 80, son sens du travail et son inépuisable combativité en ont fait un instrument central de l’ancien régime, celui de Gnassingbé Eyadema pour lequel il a travaillé jusqu’à ce que sa soif de justice sociale et son impatience pour la démocratie ne l’emportent. On peut à raison lui reprocher un rapprochement récent avec le régime. Mais c’est mal connaître Agbéyomé Kodjo qui a juste voulu en faire une stratégie pour intégrer la machine qu’il a contribué à construire, pour l’exploser de l’intérieur car pour lui, « l’avenir du Togo passe par le départ de Faure Gnassingbé, quelque soit le prix« . Dans une situation comme celle du Togo, aucun extrémiste ne peut être un recours judicieux pour la stabilité du pays. Aussi, ne faudrait-il pas un profil rassurant ? Celui d’un homme qui peut parler à tout le monde ici et ailleurs. Le concours certes de Jean Pierre Fabre est fondamental car entre l’agneau et le chat, à défaut du chien, mieux vaut choisir le félin pour la chasse. « Il ramènera au moins quelques souris » comme le clame l’adage bantou.

L’opposition togolaise est à la croisée des chemins et même s’il souffre de quelques imperfections, Agbéyomé reste encore le seul qui, face à Faure Gnassingbé à qui il a appris les premiers pas en politique, saura s’arroger sa victoire. Mieux vaut essayer une risquée perspective qu’une routine mortelle dont on connaît l’issue… 32% pour Fabre, 64% pour Faure Gnassingbé.

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