TOGO : Une diplomatie sahélo-centrée aux dessous de grande conquête
Partenaire privilégié d’Israël et par ricochet de la droite américaine au détriment de la France, le Togo veut réajuster sa diplomatie africaine en la concentrant sur le Sahel. Objectif ? Créer une forte influence régionale et rentrer dans une dynamique de coopération avec Paris sur cette zone sensible et fragile à la fois. Conséquence ? Le renforcement de la présence militaire togolaise au Mali et un rapprochement stratégique entre Lomé et Bamako. Option risquée pour Robert Dussey. Pro-Israël invétéré et proche des évangélistes trumpistes des Usa, le ministre togolais des affaires étrangères a longtemps revigoré la diplomatie togolaise grâce à un subtil équilibre entre Washington et Tel-Aviv. Depuis, ce philosophe qui continue de publier des ouvrages, son dernier chef-d’œuvre, « Un destin tragique », se tourne vers le Sahel.
La vidéo, qui a suscité des commentaires, souvent moqueurs, sur les réseaux sociaux à Lomé explique en partie un redéploiement de la diplomatie togolaise. On y voit le président ivoirien, dont c’était l’investiture mi-décembre faire des blagues avec ses homologues présents. Sur Faure Gnassingbé, il évoque « un jeune doyen ». En réalité, totalisant 15 années au pouvoir, le président togolais est le plus ancien chef d’Etat de l’Afrique occidentale. A seulement 55 ans. Faure Gnassingbé a suivi la chute de Blaise Compaoré, le Caïd du Sahel mais aussi la fragilisation de son autre parrain, Alassane Ouattara à la suite d’une présidentielle ensanglantée le 31 octobre dernier. Avec le départ prochain de Issoufou, la fragilisation du ghanéen qui n’a été réélu que grâce à des fraudes massives observées ici et là, le « jeune doyen » peut se muter, subtilement, en patriarche. Et pour cela, une forte influence de sa diplomatie dans le sahel, maillon faible lui permet à la fois d’avoir un mot à dire sur l’essentiel des questions politiques mais aussi de devoir discuter de l’avenir de cette zone sous forte insécurité avec Paris. Du coup, une présence à la fois militaire mais aussi diplomatique du Togo s’impose, ce qui justifie en grande partie des mouvements entre Bamako et Lomé, mais aussi entre Ouagadougou, Niamey et la capitale togolaise.
Une base arrière diplomatique
Faure Gnassingbé, qui devrait se rendre à Bamako cette année a déjà reçu les deux têtes de l’exécutif malien. Mi-novembre 2020, le président togolais reçoit son homologue malien. Bah N’Daw a été reçu comme un chef d’Etat. Depuis, les deux hommes s’appellent régulièrement d’autant que Bamako a demandé à Lomé de renforcer sa présence militaire. Pour les autorités maliennes, « le contingent togolais est discipliné, organisé et très professionnel ». Avant de quitter Lomé, le président de la transition malienne s’est rendu au Centre d’entraînement des opérations de maintien de la paix (CEOMP), mitoyen au Camp d’Adidogomé, nord-ouest de la capitale togolaise avant de conclure son voyage. Pendant son séjour de deux jours, N’Daw s’est entretenu trois fois avec le président togolais, signe d’une proximité entre les deux hommes. Un mois plus tôt, Robert Dussey s’est rendu à Bamako pour une active visite de travail. Le ministre des affaires étrangères du Togo, à l’initiative de ce réajustement diplomatique a obtenu du chef de l’Etat qu’il reçoive le bras armé de la transition. Fin décembre, le colonel Assimi Goïta profite d’une tournée régionale pour aller remercier le parrain togolais. Depuis, le Sahel (Mali, Burkina Faso et Niger) est devenu une priorité pour Faure Gnassingbé. Le président togolais entend, en Afrique, « être le plus sahélien des non-sahéliens » et ne s’en cache plus. Comptant sur les bonnes relations qu’il entretient avec Adjoavi Sika Kaboré, l’épouse togolaise du président burkinabé. D’ailleurs, profitant des funérailles de la mère de la première dame du Faso, à Lomé, le chef de l’Etat togolais a dépêché une forte délégation de haut niveau. Une manière de préparer son séjour la semaine suivante à Ouagadougou. Dans la foulée, Faure Gnassingbé passe à Niamey, rencontre son homologue sortant, Issoufou mais aussi laisse un soutien financier à Mohamed Bazoum, dauphin désigné de ce dernier, peu avant la présidentielle nigérienne. Un coup de main qui espère de la gratitude en retour, dans sa conquête du Sahel.
Forte présence militaire dans la foulée du retrait français
La France organise le départ progressif de son contingent notamment au nord du Mali. Paris travaille, discrètement à la fin de la force Barkhane qui sera progressivement remplacée par des forces nationales et africaines. Une option qui donne un coup de pousse à la stratégie que pilote, pour son mentor, Robert Dussey, « s’imposer au Sahel ». Si en juillet 2019, ce dernier a obtenu de l’Elysée l’accord de principe d’une visite officielle du président togolais qui n’a jamais eu lieu, finalement, il pense qu’un positionnement au Sahel rend son pays incontournable. Et y travaille ardemment. Si, à cause de sa prudence face à la covid19, l’ancien religieux franciscain est resté à Lomé pendant le périple nigero-burkinabé du chef de l’Etat togolais, il a minutieusement préparé le terrain dans une région devenue sa passionnelle zone de prédilection. Le Togo devrait profiter du retrait progressif des forces françaises pour occuper le terrain. Récemment d’ailleurs, Lomé a commandé 20 nouveaux blindés Marauder pour ses militaires au sein de la Minusma, force onusienne présente au Mali. Pour réaliser une telle commande auprès de la société sud-africaine Paramount Group, le gouvernement togolais a obtenu, pour les 4 prochaines années, une dotation de 700 milliards Cfa (1,07 milliards d’euros) auprès du parlement pour la grande muette. Une bonne garantie financière pour l’armée togolaise, souvent accusée de répressions disproportionnées dans sa mission de maintien d’ordre. Mais c’est le prix à payer pour imposer les Forces armées togolais, très prisées au sein des forces onusiennes, dans de nouveaux enjeux sahéliens.
Faure Gnassingbé crée sa zone d’influence
Derrière la stratégie, plusieurs facteurs déterminants. Faure Gnassingbé, grâce à la nouvelle constitution togolaise, peut rester au pouvoir jusqu’en 2030. Il bouclerait ainsi un quart de siècle au pouvoir. Il prépare ainsi la prochaine décennie, au cours de laquelle, il pourrait compter sur le départ inévitable d’Alassane Ouattara pour devenir, dans les faits, le vrai « jeune doyen ». Il pourra ainsi, grâce aux Sahel, doper l’influence de son pays dans le concert des Nations. Malgré le départ Donald Trump dont Robert Dussey est si proche, il sera le premier ministre africain reçu au Secrétariat d’Etat, et le réseau transatlantique de Reckia Madougou, une conseillère du président togolais, le pouvoir de Lomé pourrait toujours compter sur des ramifications au sein des Démocrates. Des contacts ont été, dans la foulée de la défaite républicaine, vite engagés dans ce sens. Devenu le « jeune doyen », le président togolais devrait retrouver de l’influence, au sein de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest. Même si, la contestation de sa victoire par Agbéyomé Kodjo et le maintien de ce dernier hors du pays obscurcissent sa crédibilité. Un autre défit auquel le président togolais fait face de la manière forte, une option qui pourrait se retourner contre lui.
MAX-SAVI Carmel, Afrika Stratégies France