Le retour au pays de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé a été annoncé par le gouvernement ivoirien après leur acquittement par la Cour pénale internationale (Cpi). Après la présidentielle émaillée de violence en octobre dernier, un ministre en charge de la réconciliation a été nommé, en la personne de Kouadio Konan Bertin (Kkb). Si en apparence, les choses ne semblent pas bouger, dans l’ombre, des actions et initiatives se multiplient pour que ce processus connaisse un franc succès.
Début mai 2021 à Abidjan. Un retour inoubliable pour de nombreux opposants ivoiriens qui étaient en exile au Ghana. Avec l’accord et l’aide du gouvernement, et malgré les réticences dans son entourage, Alassane Ouattara autorise le retour de plusieurs dizaines d’opposants. Aucun d’entre eux n’a été poursuivi à son arrivée. Un accord tripartite entre le gouvernement ivoirien, l’Etat ghanéen et le Haut-commissariat pour les réfugiés (Hcr) a permis leur retour dans les meilleures conditions. Ils sont en grande majorité proche du régime déchu en 2011. Ce geste à la fois humanitaire et politique vise à réduire les tensions et à rassurer les ivoiriens avant le retour de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, acquittés fin mars par la Cour pénale internationale malgré l’acharnement de la procureure. Alassane Ouattara a aussitôt enchaîné avec des contacts et initiatives, visant à faire de la réconciliation une réussite. C’est l’une des principales missions confiées à Patrick Achi, nommé Premier ministre après le décès du très populaire Hamed Bakayoko en mars, d’un cancer foudroyant.
Le chef du gouvernement davantage impliqué
Dès l’annonce de l’acquittement et contrairement à ce à quoi s’attendaient ses détracteurs, Alassane Ouattara a fait des déclarations d’une énorme sagesse et a posé dans la foulée, quelques actes. Il a tout de suite annoncé que Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé devraient pouvoir rentrer en Côte d’Ivoire sans aucune anicroche. Il a aussi prévu que l’Etat prenne en charge les frais de déplacements et autres contraintes administratives inhérentes. Et dans son entourage, il a commencé à murir l’idée d’aides financières pour ses deux leaders pour faciliter leur insertion dans un pays qu’ils ont quitté depuis près d’une décennie. Le président ivoirien a aussitôt instruit le Premier ministre, Patrick Achi, de diriger la commission spéciale qui doit organiser leur retour et a demandé, à Kkb, ministre de la réconciliation nationale « d’en faire une priorité ». Plusieurs réunions ont eu lieu à la primature et un voyage de Patrick Achi était à l’ordre du jour avant sa brève hospitalisation mi-mai. La bonne volonté du gouvernement ne souffre donc d’aucun doute. Alassane Ouattara a, depuis la dernière présidentielle émaillée de violences du fait des appels incandescents de l’opposition et de son boycott, fait de la réconciliation une priorité alors qu’à 79 ans, l’ancien fonctionnaire international qui dirige le pays depuis dix ans, n’ira probablement pas au-delà du troisième mandat en cours. En visionnaire, il a relevé les défis colossaux de l’émergence mais aussi du développement avec l’une des économies les plus solides du continent et surtout, une réduction sensible de la pauvreté. Il devrait, pour parfaire un tant soit peu son œuvre, réussir l’enjeu que constitue la réconciliation. Il en est d’autant plus conscient que quiconque pour avoir été longtemps victime de politique xénophobe, de discours haineux et tribalistes qui ont profané l’idéal ivoirien dans les années 1990. C’est pour cela qu’il ne lésine pas sur les moyens pour faire du ministère de Kouadio Konan Bertin, une institution solide et crédible, d’où son renforcement avec la cohésion sociale.
Kkb fait ce qu’il peut
Le ministère de la cohésion sociale a longtemps été aux mains d’une proche du président Ouattara, Mariatou Kone. Mais lors du dernier remaniement, ce portefeuille stratégique a été ajouté à celui initial de la réconciliation nationale. Depuis, les consignes ont aussi été données pour que le chef du gouvernement intègre l’urgence de donner les moyens à ce ministère pour permettre à Kkb, longtemps enfant pauvre du gouvernement, de prendre de l’ascendance. Il le faut d’ailleurs à ce pragmatiste de 52 ans pour réussir sa périlleuse mission. Après les violences de la dernière présidentielle, le gouvernement a ramené très vite la sécurité et le calme mais aussi a entamé des discussions discrètes avec les principaux leaders de l’opposition. Dans un pays comme la Côte d’Ivoire dont 5 millions de ses enfants sont hors du pays, une tournée auprès de la diaspora ivoirienne s’impose au ministre de la réconciliation, candidat malheureux à la présidentielle du 31 octobre 2020. Il doit associer à ce pharaonique projet, toutes les filles et tous les fils du pays et intégrer dans le processus leurs préoccupations pour que les vieux démons ne se réveillent pas alors que la Covid-19 fait planer le doute sur une croissance de 6,5% escomptée pour 2021. Mais une chose est certaine, Kkb est déterminé et prend à cœur sa mission. Il travaille ardemment, pour le retour rapide de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé.
Gbagbo et Blé Goudé impatients
Le retour au bercail de ces deux tribuns est un facteur déterminant dans le maintien de la stabilité mais aussi pour le retour définitif à la paix. Alors qu’ils auraient pu être inquiétés par la justice de leur pays qui a condamné chacun d’entre eux à 20 ans de prison, Gbagbo et Blé Goudé devraient regagner la Côte d’Ivoire sans problème et y mener, s’ils le souhaitent, leurs activités politiques. Même s’il est aussi vrai, que pour la plupart des ivoiriens, un retour en politique de Gbagbo « peut raviver les vieux démons ». A 75 ans, le seul président socialiste du pays qui a quelques soucis de santé doit avant tout se battre pour unir sa famille politique, divisée en deux et celle biologique éprouvée par de longues années de détention du patriarche. Charles Blé Goudé, quant à lui, devrait patienter pour avoir son passeport alors que son mentor en dispose « d’ordinaire et de diplomatique » depuis décembre 2020. L’ancien leader des Jeunes patriotes se dit « prêt à tout moment » et espère avoir ses documents de voyage sans délai. Le gouvernement n’a d’ailleurs aucune raison de l’en empêcher. Plusieurs sources concordantes font cas de contacts de haut niveau entre l’ex pensionnaire de La Haye et le pouvoir ivoirien. Blé Goudé n’a d’ailleurs pas démenti cette information.
Si, à côtés des succès et exploits dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la sécurité, de l’économie et du développement, Alassane Ouattara réussit la réconciliation, il pourra, en 2025, fin de son mandat en cours, s’offrir un repos mérité et partir un jour, la conscience en paix.
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