MICRONATIONS : l’Empire Romanov, la revanche tsarienne d’une monarchie russe qui se rêvait « gambienne »
L’histoire est cocasse. Une aventure mégalomaniaque de millionnaires russes qui ont voulu réinventer l’empire des tsars à l’autre bout de l’Afrique. Entre corruptions et illusions, c’est une sulfureuse danse d’utopistes qui ont parfois frôlé une certaine réalité. Créé en 2011 et revendiquant l’atoll Suwarrow dans l’océan Pacifique, l’Antarctique et 15 autres endroits, c’est en Gambie que l’empire a failli accoster. Histoire d‘une micronation obsédée par la reconnaissance internationale.
Décembre 2017. Dans un communiqué, le nouveau gouvernement gambien dément avoir signé un quelconque accord de cession d’une île au large de la Gambie à l’Empire Romanov. Quelques jours plus tôt, sur une radio Néo-Zélandaise, le chancelier, office de Premier ministre de ladite micronation avait pourtant annoncé le contraire et juré vouloir installer « rapidement la monarchie russe » aux confins de l’Afrique. Avec un investissement immédiat de 60 millions de dollars. En 2017, plusieurs allers retours entre la Russie et Banjul, la capitale gambienne. A bord d’un Jet privé qu’il loue, Anton Bakov fait partie d’au moins un de ces vols. Entre temps, nombreux de ses proches collaborateurs ont foulé le sol gambien et négocié avec les nouvelles autorités, après qu’en 2015, Bakov ait été lui-même reçu plusieurs fois par Yahya Jammeh. Le village gambien, aux rives poissonneuses, de Tanji que Bakov et ses compagnons ont visité maintes fois devrait être relié à leur Empire qui sera en pleine mer. A la suite de la volte-face du gouvernement gambien, qu’en est-il réellement de cette affaire?
Un « vrai » document devenu « faux »
Lors de sa conférence de presse de décembre 2017, le document que brandit Anton Bakov pour justifier de l’occupation imminente d’une partie des eaux territoriales gambiennes et y installer son état n’était pas totalement faux. Il n’est pas vrai non plus. En effet, plusieurs personnes dans l’entourage de Yahya Jammeh ont bel et bien conclu, avec l’approbation de l’ex dictateur, une convention qui devrait céder quelques kilomètres carrés au farfelu millionnaire russe pour y installer la monarchie dont il rêvait. Une convention a été paraphée, une date de signature officielle est prévue. Sauf que dans la foulée, Jammeh perd le pouvoir. Anton Bakov a du mal à joindre Zineb Jammeh, l’épouse marocaine de l’ex dirigeant gambien, qui a servi d’intermédiaire lors de toutes les discussions ayant abouti à l’autorisation d’installation de la fameuse monarchie russe sur une île artificielle gambienne. Entre temps, à coup de corruptions, « 5 à 7 millions de dollars ont été distribués » en pot-de-vin selon une source bien informée. Alors, le « Chancelier » n’a pas trouvé mieux que de bidouiller les documents et de faire son annonce quand bien même, il a entamé des négociations avec le nouveau pouvoir de Banjul qui y était favorable. Car, après avoir financé la campagne électorale de Jammeh en 2016, Anton Bakov était disposé à accompagner financièrement Adama Barorow. Mais l’aventure n’ira pas plus loin, même si, selon des proches de Bakov, « les négociations continuent« .
Et l’Empire dans tout ça ?
Il existe bel et bien. Et a été appelé, en 2014, » État monarchique souverain du Trône Impérial » avant de devenir dès lors l’Empire Romanov. C’est une micronation, même si elle revendique la reconnaissance officielle de plusieurs pays notamment les Kiribati, la Gambie, l’Albanie, le Monténégro, la Macédoine du Nord ou encore Antigua-et-Barbuda. Dans la réalité, les 1,8 km carrés dont se prévaut l’Empire Romanov sont partie intégrante du territoire russe. En 2012, Bakov a créé un parti politique en Russie avec pour objectif de ressusciter la monarchie. Et a su bien jonglé avec les lois d’avant la révolution de 1917 et la chute des tsars. Alors qu’il reste Premier ministre, il fait appel à Charles Emich de Leiningen, un vrai héritier direct par la branche aînée de la maison Romanov et empereur de son fictif empire. Ce luthérien se convertit à l’Orthodoxie, à la demande de Bakov, pour, comme le veut la règle d’avant la révolution, pouvoir se conformer à l’exigence religieuse pour devenir empereur. Un vrai, en cas de victoire de leur minuscule parti. L’idée n’ira pas plus loin.
Perspectives ?
En attendant, l’Empire Romanov reste une micronation, c’est-à-dire un pays qu’aucun autre état ou organisation internationale n’a reconnu. Il y a 400 micronations environs dans le monde, dont La Principauté des Baobabs et le Royaume du Soudan du Nord en Afrique. Néanmoins, l’Empire Romanov a réussi à faire accepter sa citoyenneté à Edward Snowden, le lanceur d’alerte dont le passeport américain a été annulé. Ce dernier a même reçu, à l’aéroport de Moscou-Cheremetievo où il était bloqué en juillet 2013, un passeport de l’Empire Romanov. Ces dernières années, l’Empire a disparu des médias sans qu’Anton Bakov n’ait totalement renoncé, il compte sur ses milliards pour trouver un point de chute à son état.
Il aurait d’ailleurs tenté, récemment, d’acheter des terres en Australie, en Nouvelle Zélande, en Tahiti ou encore au Lesotho. Et malgré ses millions qu’il dépense sans compter pour obtenir la reconnaissance de l’extraterritorialité de ses terres auprès des états, l’Empire Romanov restera encore pour longtemps, peut-être pour toujours, une nation virtuelle. Et se consoler d’être une micronation notablement reconnue. Pas assez pour Bakov.
Max-Savi Carmel, Afrika Stratégies France