Mary-Noël Niba : « Ceux qui cherchent leur voie en Afrique la trouvent »
Dans son dernier documentaire « Partir », qui sortira officiellement fin janvier 2020, la réalisatrice d’origine camerounaise Mary-Noël Niba évoque la subtile question du retour des immigrés africains qui ont tenté leur chance en Europe, pensant qu’ils y trouveraient l’eldorado. Désenchantés, heurtés par la dure réalité de l’exil, certains y ont tout perdu et tentent aujourd’hui de se reconstruire. Dans le contexte actuel, où des milliers de jeunes du continent se ruent vers la mer pour atteindre les côtes européennes, ce film, qui lève le voile sur un tabou dont personne ne parle en Afrique, rentrer étant synonyme d’échec et de honte, est plus que bienvenu pour rappeler que l’Europe n’est pas la seule option pour construire son futur.
Mary-Noël Niba, qui a effectué des études en sciences et techniques des métiers de l’image et du son, en France, à l’université d’Aix-Marseille, a débuté sa carrière professionnelle comme réalisatrice de magazines télé puis directrice de production à la télévision publique camerounaise. Celle qui a décidé de créer en 2008 sa propre société de production, Luman communications, y réalisant de multiples films comme « Le dos de la veuve », a également contribué à la formation de nombreux jeunes réalisateurs de son pays. En 2005, elle décide de venir s’installer en France pour rejoindre son conjoint qui est nommé rédacteur en chef de la version anglaise de RFI. Mary-Noël Niba a aussi travaillé pour la chaîne France 24 comme réalisatrice et pour l’organisation internationale de la Francophonie comme coordinatrice avant d’intégrer en 2010 l’ambassade du Cameroun, où elle est responsable des relations publiques.
Qu’est-ce qui vous a motivé à réaliser un film comme « Partir » ?
Au départ, ce n’est pas l’idée du retour en soi qui m’a poussé à faire ce film mais les terribles conséquences que l’exil peut engendrer chez ceux qui ont décidé de tenter leur chance à l’étranger. Autour de moi, au Cameroun, j’ai constaté qu’après des désillusions en Europe beaucoup sont rentrés mais ils sont souvent mis au banc de la société. De plus, quand je me suis installée en France, j’ai découvert les images de ces Africains qui meurent par milliers en mer méditerranée et on n’en parle simplement comme des fourmis qu’on peut écraser. Une situation qui m’a révoltée. J’avais ainsi besoin de comprendre ce phénomène migratoire de masse qui va en grandissant chaque année. D’autant que dans les médias en Afrique, on ne parle pas de ce fléau qui existe depuis les années 90, pourtant. Je me suis souvent posée cette question : « Comment pouvez-vous partir là-bas en laissant tout ce que vous avez de bien ici ? » On a tant de belles choses en Afrique. J’ai vu des familles entières où des membres partis rejoindre l’Europe sont décédés sur la route de l’exil et personne n’en parle, comme s’il s’agissait d’un tabou, car il y a un sentiment de honte, lié à la peur du regard des autres ou encore d’être pointé du doigt et jugé négativement. Tout cela provoque d’énormes souffrances dans les familles et parfois même leur éclatement. J’ai aussi vu des gens vendre leur maison, leur voiture pour se procurer de faux papiers qui sont hors de prix pour pouvoir se rendre en Europe ! En faisant ce film, je voulais ainsi briser la loi du silence et recueillir les témoignages de ceux qui sont rentrés après avoir tenté l’aventure en Europe, qui s’est révélée par un échec. Je me suis dis, ils peuvent ainsi être les porte-parole de tout une société et pourront peut-être soigner d’autres qui ont vécu les mêmes affres de l’exil qu’eux. Je pense que tout le monde peut découvrir le monde mais pas au péril de sa vie.
Quel est le principal message que vous souhaitez que le public retienne de ce film?
Ceux qui cherchent leur voie en Afrique la trouvent. Voilà le principal message que je veux transmettre aux jeunes. Il faut que tous comprennent que même en Afrique si vous ne travaillez pas dur vous ne pouvez pas vous en sortir. Nos pays sont des terrains vierges si on ne se décide pas à les développer qui d’autre va s’en charger ? Chacun doit en être conscient en Afrique. Le manque d’estime de soi cause beaucoup de dégâts chez les Africains. Il faut qu’on apprenne à comprendre qui nous sommes. Beaucoup de jeunes pensent, en effet, qu’en traversant l’Atlantique, ils vont se sublimer, se faire un nom ou encore devenir important. Pour eux, tant qu’ils n’ont pas franchi les portes de l’Europe ils ne valent rien. Mais rejeter son pays c’est se rejeter soi-même ! C’est la raison pour laquelle je suis convaincue qu’il faut éduquer les populations africaines sur l’estime de soi. Il faut qu’on apprenne à nos enfants à se battre, en leur répétant inlassablement que ce sont des gagnants et qu’ils sont le futur du continent. Ce concept de « winner » qu’inculpent les Américains à leurs enfants, en leur disant depuis tout petit, « tu es né pour gagner », nous devons aussi l’appliquer et l’adopter au sein des sociétés africaines.
Pourquoi selon-vous, la question du retour des immigrés provoque un si profond malaise aujourd’hui encore?
Il faut beaucoup de courage pour rentrer et affronter le regard des autres mais aussi des membres de sa famille. Toute la difficulté est là. Certains veulent rentrer mais les membres de leurs familles leur en empêchent, en les incitants à rester car ils envoient les euros qui leur permettent de vivre une vie meilleure. De plus, une fois de retour, il faut qu’ils apprennent à s’intégrer sinon ils sont rejetés par les leurs. Donc, le plus dur c’est de rentrer car l’Europe est comme un champ de bataille. Une fois que vous avez mené cette guerre, à un moment donné il faut retourner dans votre pays avant de devenir prisonnier en territoire européen. En y réfléchissant de plus près, tout cela donne l’impression que les Africains considèrent leur propre pays comme l’enfer ! Ca en dit long sur l’image qu’ils ont de leur continent et les frustations qu’ils vivent au quotidien…
A la fin de vos études en France, vous avez fait le choix de rentrer au Cameroun. Pourquoi le retour était si important pour vous?
Après avoir effectué mes études en France, en effet, contrairement à beaucoup de mes compatriotes, j’ai pris la décision de rentrer au Cameroun. Pour moi, il était primordial de rentrer parce que je voulais absolument être utile à ma patrie. Le fait de me dire que le pays avait besoin d’éléments comme moi me permettait de me sentir importante. Sans compter que j’avais le soutient de mes parents qui m’ont aussi incité à rentrer, en me rappelant que le pays qui m’a tant donné avait besoin de moi. J’ai débuté comme réalisatrice à la télévision nationale où j’ai travaillé bénévolement puisqu’au départ je n’avais pas de salaire. Je travaillais avant tout pour rendre service à mon pays, c’est ce qui importait à mes yeux. Voyant mon travail acharné et mon dévouement, un des responsables de la télévision a finalement décidé de m’embaucher officiellement.
Selon-vous, en quoi votre film peut contribuer à la sensibilisation des plus jeunes en Afrique sur les dures réalités de l’immigration?
Le film peut contribuer à sensibiliser les jeunes sur les réalités de l’exil à mon avis car ce n’est pas un film de fiction mais il s’agit bien d’un documentaire qui raconte la réalité. D’ailleurs j’ai même incité les protagonistes dans le film à devenir des ambassadeurs et à continuer à parler aux jeunes qui veulent tenter à tout prix de se rendre en Europe sans réfléchir aux conséquences. Pour les principaux protagonistes, ce film a aussi été comme un médicament pour eux, il leur a en quelque sorte rendu leur dignité. Lors de notre première projection au Cameroun, en juillet dernier, au Festival « Les Ecrans noirs », où nous avons obtenu le prix du meilleur film, à Yaoundé, des gens venaient me voir en me disant : « J’ai l’impression que c’est mon histoire qui a été racontée ». En attendant, le film continue son bout de chemin. Nous sommes actuellement en train d’organiser la sortie en France, dans les salles, et nous réfléchissons aussi à le projeter dans plusieurs pays africains. L’immigration cause beaucoup de dégâts dans les sociétés africaines. Pour moi ce film est une espèce de thérapie qui permet de susciter le débat sur cette question.
Propos recueillis par Assanatou Baldé, Afrika Stratégies France