10 janvier. Jour férié au Bénin où depuis bientôt trois décennies, cette date est dédiée au culte vodou. A 6000 kilomètres dans l’Alsace, le Château vodou trône à Strasbourg. A la fois un musée mais aussi un sanctuaire de rencontre qui a accueilli près de 30.000 visiteurs en 5 ans. Ce qui dénote d’un retour à la source et aux racines, un intérêt pour le monde invisible qu’incarne le vodou. Une religion qui entretient mythes et fantasmes, secrets et soupçons. Avec l’avènement des religions importées, notamment le christianisme, le vodouisme est devenu presque un cercle d’initiation tourné vers le bien être et la pharmacopée traditionnelle. Les plantes ont pris progressivement le dessus des sacrifices. Ce qui a favorisé dans plusieurs pays comme le Bénin, une cohabitation entre l’animisme en général et les autres religions, au point où, en face de la seule basilique du pays, règne le Temple des pythons, une divinité locale à Ouidah. A l’occasion de la fête du vodou, Afrika Stratégies France donne la parole à Adeline Beck. Diplômée de Sciences Po Strasbourg en Politique et Gestion de la Culture, cette percussionniste française et danseuse africaine à ses heures est depuis 2014 administratrice du Château Vodou. Une si belle interview.
Il y a un lien fort entre le Bénin et le vodou. Le 10 janvier c’est la fête nationale du vodou là bas. Quel lien existe-t-il entre le Musée et le Bénin ?
L’histoire du musée est forcément très liée à celle du Bénin et celle du royaume du Dahomey. La collection installée dans le musée, appartenant à Marie-Luce et Marc Arbogast est originaire du Togo, du Bénin, du Ghana et du Nigéria. Il est donc évidemment nécessaire pour l’équipe de rester en lien avec ces pays et notamment le Bénin. Le vodou est une culture riche dont nous sommes loin de connaître tout les tenants et aboutissants. Continuer à étudier son histoire, ses spécificités est un incontournable pour le Château Vodou. L’équipe du musée se rend ainsi régulièrement au Bénin pour poursuivre les recherches sur les œuvres qui constituent ses réserves. Nous avons encore beaucoup à apprendre et à découvrir sur chaque pièce, son utilisation dans les rites, ses ingrédients, les paroles magiques qui l’entourent, la pharmacopée traditionnelle… c’est une culture assez secrète et basée sur l’oral, les anthropologues et historiens ont encore de nombreux mystères à lever ! Proposer de l’émerveillement, ouvrir des portes sur d’autres cultures, être passeur de mémoire et pilier de découvertes : le musée est chargé de nombreuses missions et tente au quotidien d’offrir une expérience unique à chaque visiteur.
Conserver et pouvoir présenter ce patrimoine en Europe est précieux. Notre souhait est de faire disparaître les clichés qui entourent cette philosophie de vie et présenter à nos visiteurs une culture pratiquée par des millions de personnes, très vivante, positive et à l’esthétique particulière. Au Château Vodou, nous souhaitons établir des partenariats entre les artistes, photographes, danseurs, vidéastes, comédiens, chercheurs, enseignants qui le souhaitent. Nous essayons au quotidien de faire vivre le vodou dans nos murs en proposant des évènements qui permettent de partager le vodou autrement : au travers d’ateliers plastiques, de concerts, de visites à thèmes et d’expositions temporaires. Pour le 10 janvier, fête du vodou au Bénin, nous organisons un temps fort au musée. Cette année nous lançons ce jour là la programmation culturelle 2019 et nous installerons un Legba (un vodou très populaire au Bénin, Ndlr) au rez de chaussée du musée. Il était jusqu’à présent non visible pour les visiteurs et nous souhaitons désormais le présenter à la vue de tous.
Comment vous définissez le vodou ? Comme un culte, une culture ou carrément autre chose ?
Le vodou c’est un peu tout cela. C’est un moyen de tisser des liens entre le monde visible et invisible. C’est une religion née et pratiquée en Afrique de l’Ouest au Bénin, Togo, Ghana et Nigéria et qui s’est exportée dans de nombreux autres pays. Aujourd’hui encore très actif, il a su mêler à ses propres croyances et ses propres représentations celles du christianisme, de l’islam et de l’hindouisme. Vodou fait référence au monde invisible. Par analogie, il désigne toutes les entités qui habitent le monde invisible : l’inconnu, l’incompréhensible, l’insaisissable. Plutôt que de chercher à expliquer le mystère de l’origine et de la création, le vodou s’intéresse au fonctionnement des forces à l’œuvre dans le monde et accorde pour cela une grande importance au culte des ancêtres. Le monde se compose alors d’un monde visible et d’un monde invisible. C’est une culture qui encadre de manière complète les moments de la vie humaine.
Comment est née l’idée d’un musée vodou ?
Le Château Vodou est l’aboutissement de la passion de Marc et Marie-Luce Arbogast pour l’Afrique, qui combine une curiosité pour les savoirs traditionnels, la chimie et une collection de toute une vie. C’est un musée privé. A leurs 20 ans, Madame et Monsieur Arbogast ont pris un vol pour l’Afrique, qui sera le premier d’une longue série. Lors de leurs voyages ils ont pu participer à des cérémonies impressionnantes et ont aussi testé l’efficacité des pharmacopées traditionnelles, dont les secrets parvinrent plus d’une fois à les sortir d’affaire. L’art de guérir est souvent associé à un pouvoir mystique, dont témoignent justement les objets vodou qu’ils ont commencé à collecter dans les années 1960. Bon nombre de ces objets furent acquis au cours de ces voyages. D’autres auprès de marchands européens. Aujourd’hui, il leur importe de partager leur passion pour le continent africain et ses objets avec le public, à commencer par les habitants de leur ville natale, Strasbourg. Pour cela, ils ont acquis en 2008 un château d’eau désaffecté de la fin du XIXe siècle afin qu’il soit rénové et transformé en musée.
Plusieurs années après sa création, quel bilan faites-vous de ce Château Vodou ?
Le musée est une réussite. Il entre dans sa 5ème année de vie et nous avons pu accueillir plus de 27 700 visiteurs ! L’équilibre financier reste cependant compliqué et cela nous inquiète pour l’avenir. Notre association fonctionne en auto-financement, nous n’avons que très peu de subventions publiques. Mais nous gardons un réel plaisir à faire vivre les fétiches au quotidien et à conter leur histoire. L’an dernier l’équipe a monté sa première exposition temporaire sur la place de la femme dans le vodou, des prêtresses et des divinités féminines. Aujourd’hui nous n’avons qu’une hâte : c’est de réaliser une nouvelle exposition à thème pour 2020 ! En 2018 encore, nous avons accueilli des visiteurs de plus de 131 nationalités différentes. Le défi d’ouvrir nos portes à un large public, de tous âges et toutes nationalités est en passe d’être réalisé !
Comment est né le besoin d’un tel musée et de quelle utilité est-il aujourd’hui pour les pays sanctuaires du vodou (Bénin, Haiti, Ghana, Nigeria…)
Nous pensons que ce musée est une vitrine et fait rayonner cette culture à l’international, dans une capitale européenne. C’est aussi la chance de participer au développement des recherches scientifiques autour du vodou, de créer un dialogue entre nos continents et de bénéficier d’enrichissements des uns par les autres et vice versa. Nous travaillons régulièrement avec des professeurs et enseignants béninois, médecins, guérisseurs et hounons (prêtres vodou, Ndlr). Nous observons également un intérêt fort de la part de la diaspora haïtienne, brésilienne, qui vient visiter le musée pour un retour aux sources, aux origines.
Pensez-vous que le culte vodou peut apporter quelque chose de concret au développement de l’Afrique notamment des pays vodouisants ?
Le vodou est selon moi un support intéressant pour aborder de nombreux sujets et en tirer des enseignements. Du point de vue de la pharmacopée et des vertus des plantes les connaissances des bokonos et guérisseurs sont vastes. En Europe on voit actuellement un souhait de retour aux sources de ces médecines dites « parallèles », mais beaucoup a été perdu. Concrètement le vodou est une école de la diversité et promeut des valeurs primordiales de tolérance. Le vodou parvient à évoluer, à vivre « dans son temps », tout en restant une tradition. C’est fascinant et cela n’empêche pas le progrès. Il n’est pas obscurantiste.
Quel peut être l’avenir du vodou dans le monde avec la vague de sécurisation et de moins de foi qui caractérise notre époque ?
Il me semble que le culte vodou a encore de beaux jours devant lui. En effet comme je le disais précédemment c’est une religion très vivante, qui s’adapte aux évolutions du temps malgré le fait que c’est un patrimoine historique de plusieurs siècles. Il est donc assez facile d’imaginer qu’elle continuera à s’adapter. Je crois même qu’il y a un retour vers celle ci, notamment au Bénin, face aux religions arrivées plus tard dans cette aire géographique. La tolérance qui existe dans cette culture explique peut être cela. C’est peut être également cette période de questionnement sur la morale et les croyances qui entraine un retour vers la divination du Fa et ses apports ? En tous les cas nous espérons contribuer à notre petit niveau à sa survivance et sa protection.
Comment fonctionne le musée au quotidien ?
Il est ouvert en visite audio-guidée du mercredi au dimanche, de 14H à 18H et tous les jours, sur réservation pour les groupes de plus de 8 personnes (enfants ou adultes). Un médiateur est alors à leur disposition pour une visite guidée commentée. Régulièrement nous organisons des nocturnes guidées ainsi que des visites thématiques tous les 3ème dimanches du mois. Un moyen d’approfondir ses connaissances et de revenir au musée. Plus d’informations sur : www.chateau-vodou.com
Propos recueillis par Yasmina Fadhoum,
Afrika Stratégies France