AFRIQUE/Elections: Toutes les mêmes -frauduleuses, violentes, mortelles- inutilement…
Un Chef d’Etat en exercice, ou un régime au pouvoir, qui rempile, avec l’irréversible certitude d’être réélu, au bout d’élection contestée, envers et contre des soulèvements populaires susceptibles d’être bestialement réprimés dans le sang. Cela s’appelle une Présidentielle à l’Africaine. Ou toute autre élection en tenant lieu sur le continent. Le Cameroun est en pleine récitation de ce scénario, nul ne peut prédire l’issue des résultats annoncés pour le 22 octobre. Pendant ce temps, la RD Congo est au creux de la vague des protestations, dans la perspective de la Présidentielle de décembre 2018, et le Togo demeure tournoyé par le tourbillon des antagonismes induits par des processus électoraux imminents. Les malédictions des scrutins à problèmes s’enchainent et se ressemblent sur le continent noir, le film des joutes électorales de ces dernières années le confirme. C’est à croire que l’Alternance politique et la Démocratie sont des valeurs non-grata en Afrique.
Des élections truquées, fraudées et gangrénées d’irrégularités au bénéfice des Présidents candidats à leur propre succession, ou dans des cas exceptionnels, à la faveur de leur dauphin, l’Afrique en raffole. Et sur le continent noir, les Présidents de l’ancienne époque ou leurs descendants, bien enracinés au pouvoir depuis plusieurs dizaines d’années, semblent bien décidés à faire perdurer la tradition, malgré le vent de la démocratie qui, avec grand espoir, avait soufflé sur les pays sous les Tropiques au début des années 90.
Le Cameroun est actuellement dans l’œil du cyclone, la Présidentielle à un tour du 7 octobre 2018 est littéralement contestée par la quasi-totalité des candidats de l’opposition ; ceux-ci par voie de recours introduits à Elections Cameroun (Elecam), la structure organisatrice de ladite élection, réclament l’annulation de tout ou partie du scrutin : l’invalidation intégrale exigée par le candidat Joshua Osih du Social Democratic Front (SDF), principal parti de l’opposition camerounaise ; l’annulation partielle demandée par le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun(MRC) qui conteste les résultats dans 6 des 10 régions du pays . En retour Elicam oppose une fin de non-recevoir aux recours, son directeur général Erik Essoussé soutient au contraire que « l’élection s’est passée de manière régulière, le dispositif est solide, il est fondé sur les lois et les règlements en vigueur ». Dans la foulée Maurice Kamtole candidat du MRC, s’autoproclame vainqueur. Et face à toute cette agitation, le silence sourd de Paul Biya, le Président vieil homme de 85 ans, incrusté au pouvoir depuis 36 bonnes années, et qui brigue un 7e mandat. L’octogénaire ne s’embarrasse pas, sa victoire semble gravée dans le marbre. Son impériale sérénité lui vient sans doute d’une machine électorale acquise à sa cause, et une armée à solde, prête à se déchaîner sur les populations que l’envie de la révolte et de la contestation prendrait de descendre dans les rues pour crier leur ras-le-bol. Adviendra que pourra, les morts par dizaine, par vingtaine, le pouvoir sera conservé.
Le scénario est idéal, typiquement africain, il n’a de différence d’un pays à un autre que quelque particularité.
En République Démocratique du Congo, le Président Joseph Kabilan’est plus en lice certes, mais l’élection présidentielle de décembre 2018 s’embourbe dans l’engrenage des contestations. Là aussi, l’opposition se heurte à l’hostilité du Président de la commission électorale à qui elle reproche un comportement incommodant et dédaigneux à l’égard de ses candidats. Félix Tshisekedi, Vital Kamerhe, Martin Fayulu ou encore Freddy Matungulu, auxquels s’ajoutent Jean Pierre Bemba et autres Moïse Katoumbi deux figures de poids dont les candidatures ont été rejetées ; ces ténors de l’opposition Congolaise récusent la machine à voter d’origine coréenne, estimant qu’elle s’avère l’instrument d’une fraude massive. La scène politique congolaise bouillonne d’excitation, le régime interdit une marche de protestation prévu le 26 octobre. Une atmosphère très chargée qui pourrait s’embraser si l’on n’y prend garde. Joseph Kabila contraint de renoncer à briguer un 3e mandat, grâce notamment aux nombreuses pressions actionnées de l’intérieur dupays, renforcées sur le continent par l’action de ses pairs africains, et dopées à l’internationale par les grandes puissances. Mais le fils successeur de son père président, reste encoreau gouvernail pour baliser la voie à son dauphin Emmanuel RamazaniShadary, son joker désigné dont la redevabilité sera de garantir l’impunité à son mentor, une fois arrivé au pouvoir. Et pour cela, il vaut la peine de manœuvrer, quitte à corrompre le dispositif électoral, histoire de s’assurer un départ paisible du pouvoir.
C’est le schéma inverse pour l’autre fils de Président, le Togolais Faure Essozimna Gnassingbé qui lui reste arc-bouté sur le fauteuil présidentiel, ses hommes s’activent autour de lui, rivalisant de stratégies et de combines politiques pour le maintenir au pouvoir. Après la centaine de morts, comme révélé dans le rapport produit par le Regroupement des Jeunes Africains pour la Démocratie et le Développement (REJADD) et le Réseau Africain pour les Initiatives de Droits de l’Homme et de Solidarité (RAIDHS), surune année de répression des marches pacifiques déclenchées par la coalition des 14 partis politiques en août 2017 ; le régime Rpt-Unir refuse la rétroactivité de la limitation du mandat présidentiel qui devrait priver Faure Gnassingbé de la quête d’un 3e mandat en 2020. Et malgré la facilitation de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest qui a réussi à mettre d’accord les acteurs politiques togolais autour d’une feuille de route de sortie de crise, l’Inteligencia gouvernementale, procède par une lecture entre les lignes des recommandations pour, avec l’aide d’une Commission électorale nationale souveraine qu’elle tient en laisse, poursuivre de façon cavalière le processus électoral vivement critiqué par l’opposition, qui elle aussi peste contre le Président de la Commission électorale, et réclame une personne neutre à la tête de la Céni. Le bras de fer reste serré, et le ciel togolais fendu de cumulonimbus, faisant planer la menace de coups de tonnerre sur le processus de sortie de crise.
L’Afrique somme toute malade de ses élections qui s’organisent dans le désaccord et l’antagonisme. En août 2018, Ibrahim Boubakar Kéita est réélu au Mali, après un premier tour émaillé de violences et un second sous haute surveillance.
Fin juillet 2018, Emmerson Mnangagwa succède à Robert Mugabé à la tête du Zimbabwé, il entérine sa victoire en faisant usage de violence sur l’opposition contestataire dont le siège du parti a été bouclé, en plus des manifestations réprimées dans le sang, les forces de l’ordre ayant tiré à balle réelle sur la foule faisant au moins 6 morts
Que dire du Kenya et de la réélection de Uhuru Kenyatta. Après un premier scrutin, celui du 8 octobre 2018 dont le taux de participation affichait 79%, annulé par la cour suprême pour cause d’irrégularités. Ce n’est à l’issue du second boycotté Raila Ondinga l’opposant charismatique, et qui voit la participation de 38% de votants que le président en exercice se voit reconduit à la tête du pays. Bien évidemment, affrontements et violences sont passés par là.
Il ne fait donc pas de doute, l’alternance politique et la démocratie peinent à opérer une véritable pénétration en Afrique, celle noire pour l’essentiel. Les rarissimes exemples de réussite sont à rechercher du côté anglophone du berceau de l’humanité, le Ghana ou encore le Botswana qui voguent sur le vagues paisibles d’acquis démocratiques, de la bonne gouvernance et du progrès social.
L’Afrique francophone, elle, persiste à ramer à contre-courant, avec ses gouvernants imbus des délices du pouvoir. Ceux d’entre eux, à l’instar dePatrice Talon du Bénin, dont les pays avaient fait quelques pas en avant, sont tentés de rebrousser chemin.
Toute cette réalité pousse à s’interroger par rapport à ce concept universel de la démocratie ; est-ce lui qui ne convient pas à l’Afrique ? Des régimes dictatoriaux, à l’image de celui incarné par feu Gnassingbé Eyadéma du Togo, avaient au début des années 90, défendu que la démocratie soit adaptée aux réalités africaines.Et ces mauvais élèves font tout pour ne pas l’intégrer. Conséquence, leur système de gouvernance est un goulot d’étranglement pour leurs populations qui sont non seulement privées de libertés, mais en plus sont maintenues dans la grande misère et dans la pauvreté mortifère. Si au moins, pendant qu’ils invoquent le diable pour rester éternellement au pouvoir, ils font du bonheur de leurs peuples et de leur nation la priorité des priorités, en déployant une véritable politique de développement intégral, le débat pourrait être nuancé. C’est bien le rwandais Paul Kagamé qui semble l’avoir bien compris !
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