Béatifiés vingt-deux ans après leur assassinat, les moines de Tibéhirine ont accédé à la grâce de la béatification ce samedi lors d’une célébration eucharistique à Oran. Mgr Pierre Claverie et 18 autres religieux dont les moines, tous victimes de la violence terroriste deviennent « Bienheureux », dernière étape vers a canonisation. Un symbole qui ne dissipe pas moins les mystères.
Tout commence le 26 janvier 2018, comme le veut la pratique et la tradition séculaire. A Rome, François signe de ses mains un décret de béatification, il est le seul à pouvoir le faire. Il s’agit d’un document qui couronne plusieurs années, souvent des décennies et parfois des siècles de recherches fouillées appelées « cause de béatification ». Le Pape reconnaît ainsi, en vertu de pouvoirs spéciaux que lui confère le droit canon, « que ces personnes ont pratiqué des vertus naturelles et chrétiennes de façon exemplaire ou héroïque » et méritent de fait au nom de l’Eglise, « la vénération publique du peuple de Dieu« . Ce décret précède généralement une cérémonie comme celle qui a eu lieu samedi dernier à Oran autour des moines et d’autres religieux tués par les terroristes de la guerre civile en Algérie.
Cérémonie discrète et émouvante
08 décembre dernier sur l’Esplanade de Notre Dame de Sancta Cruz. En plein air, un autel de bois improvisé et 1200 personnes autour de l’évêque d’Oran, qui réclame une minute de silence « en hommage au peuple algérien et à ses dirigeants qui ont réussi à retrouver le chemin de la paix malgré des blessures encore si douloureuses ». Chrétiennes et musulmanes ensemble si près du Cloître où repose les 7 moines. Ils ne sont pas les seuls à être honorés, 12 autres religieux accèdent par la même occasion à la grâce de la béatification. Une Maltaise, un Belge, deux Espagnols et 15 Français. Mais Mgr Vesco insiste sur des « Martyrs d’Algérie« . Il n’y a pas de nationalités dans le cœur de Dieu, il n’y a que d’hommes. L’Eglise a voulu une cérémonie de symboles pour honorer ces moines révélés depuis leur assassinat collectif, tout en rendant hommage à toutes les personnes tuées dans ces violences terroristes qui ont marqué l’Algérie des années 1990. Les négociations ont été rudes, pour obtenir des autorités algériennes que la cérémonie se tienne dans le pays selon Mgr Jean-Paul Vesco. Le Pape avait personnellement chargé l’ordinaire d’Oran des négociations pour que ce soit un « hommage de l’Eglise aux 150.000 victimes de la guerre ». Une voix forte et émue lit un message du pape François. C’est le Cardinal Giovanni Angelo Becciu. L’envoyé personnel du pape lira ensuite le décret de béatification. « Que Monseigneur Pierre Claverie et ses dix-huit compagnons, fidèles messagers de l’Évangile, humbles artisans de paix soient dès maintenant appelés bienheureux » conclura le cardinal dans un grand silence avant que la célébration eucharistique ne suive. La foule applaudira pendant plusieurs minutes, l’émotion n’aura jamais été aussi à son comble depuis la mort, en 1996 de ces religieux.
Qui sont les moines de Tibéhirine ?
Dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, les sept trappistes avaient été enlevés de leur Couvent de Tibéhirine à l’Abbaye Notre Dame de l’Atlas. Un monastère cistercien fondé en 1938. Un enlèvement revendiqué par le Groupe islamique armé (GIA) sans que la lumière n’ait jamais été faite sur cette affaire qui vient compliquer des relations déjà tendues entre Alger et Paris. Leur funérailles à Alger, le 02 juin, étaient sous hautes sécurité. Et pour cause ? Trop de doutes et de suspicions sur cet assassinat. Plusieurs enquêteurs doutent ce que ce que le GIA. Car, le gouvernement avait souhaité un enterrement précipité, ajoutant aux têtes, retrouvées seules à 4 km du monastère, du sable pour faire croire que les cercueils contenaient des corps. Avec le soutien du pape Jean Paul II, le secrétaire général des Cisterciens, Père Arnaud Veilleux insistera pour identifier les corps et mettre sur chaque cercueil un nom. Ce qui a permis de déceler la manigance. Depuis, le Vatican et l’Etat français doutent des affirmations autorités algériennes qui se sont opposées à toute enquête judiciaire. Depuis, les doutes ont amplifié la dévotion à l’égard de ces religieux anonymes dont les tombes sont devenues des lieux de pèlerinage au fil des années. « il y a plus d’Algériens qui viennent ici que toutes autres nationalités« . Leur mémoire est d’autant plus vivante qu’ils étaient chez eux à Tibihirine.
Du haut de ses 82 ans, Luc, médecin lyonnais, soignait des dizaines de malades dans la localité du couvent tandis que, s’occupant du dialogue entre chrétiens et musulmans, Christian (59 ans) avait écrit son testament un an avant sa mort. A 66 ans, Bruno qui était à Fès (Maroc) comme supérieur d’une annexe de la communauté n’était que de passage pour quelques jours à Tibihirine, la mort l’y rattrapa. A 46 ans, Christophe s’occupait du jardin qui nourrissait moines et habitants pendant Célestin (63 ans) était le chantre du monastère. Né en haute Savoie, Paul était plombier avant de rejoindre l’Abbaye où il gérait un système d’irrigation alors que Michel qui est arrivé depuis 1984 de la Loire Atlantique (France) était un cuisinier qui offrait un plan à chaque habitant venu visiter les moines. les moines étaient « des gens simples qui reflétaient Dieu » avait insisté Jean Paul II.
Quelle est la suite de la procédure de canonisation ?
La béatification n’est qu’une étape vers la canonisation qui fait, de la personne concernée, « un saint » de l’Eglise catholique. La canonisation est un processus établi par les Eglises orthodoxes et l’Eglise catholique romaine et qui conduit « à la reconnaissance officielle » d’une personne comme modèle exemplaire de vie chrétienne. Sauf qu’à la différence de la béatification, le saint ou la sainte reçoit une place dans le calendrier grégorien et l’Eglise lui dédie une date à laquelle il est liturgiquement commémoré et invoqué. Normalement, dans les prochaines années, les « bienheureux » moines deviendraient des « saints », il aurait fallu pour cela, qu’ils opèrent chacun, des tréfonds du paradis, un miracle, et cette fois-ci, dans la vie d’un vivant. La durée du processus de canonisation varie d’une personne à l’autre. Pour exemple, Jean Marie Vianney a été canonisé 66 ans après sa mort alors que Saint Jeanne d’Arc a dû attendre… 500 ans après sa mort en 1431. Béatifiée en 2003, soit 6 ans seulement après sa disparition, mère Teresa sera canonisée 13 ans plus tard. Quant à Jean Paul II qui a contribué à réduire les délais de canonisation pendant son pontificat, il n’attendra que 9 ans pour être reconnu comme « Saint » en 2014 bien que la foule criait, lors de ses funérailles « Santo subito », saint, dans l’immédiat. Avec un peu de chance les moines de Tibéhirine seront couronnés de sainteté dans quelques années. Peut-être à l’occasion du demi-siècle de leur décès, en 2046 !
Max-Savi Carmel, Paris