En six décennies, elle s’est imposée comme la Conférence épiscopale la plus influente d’Afrique. Active sur divers fronts, la Cenco s’est construite une renommée à toute épreuve dans un pays ravagé par la guerre, la criminalité et la corruption. A 20 mois de l’élection présidentielle, les regards se tournent vers cette institution qui a sauvé le Congo in extremis en 2018.
L’image est encore dans toutes les mémoires. Nous sommes fin décembre 2018 et le cardinal Laurent Monsengwo donne une conférence de presse, entouré de plusieurs évêques congolais. L’archevêque de Kinshasa annonce l’accord de la Saint Sylvestre. Pour la première fois dans l’histoire du pays, indépendant de la Belgique depuis 1960, l’alternance intervient par les urnes. Pour en arriver là, il a fallu la détermination de la puissante Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), qui a usé de ses solides relations à l’Organisation des Nations unies (ONU) mais aussi de pressions internes, à travers une forte et constante mobilisation des catholiques.
Si la prochaine échéance électorale n’est prévue que pour 2023, elle est déjà dans tous les esprits. D’autant qu’en octobre dernier, le président Tshisekedi a nommé son propre candidat à la tête de la commission électorale – longtemps dirigée par un prêtre catholique. Dans ce contexte, quel rôle la Cenco pense-t-elle encore jouer ?
Dans le bureau de Mgr N’Sholé
Secrétaire général de la conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), Mgr Donatien N’Sholé n’a pas beaucoup de temps. Entre la visite d’une délégation du Saint-Siège fin janvier et de nombreuses rencontres avec des acteurs politiques, l’infatigable prélat de 58 ans travaille en permanence sur la stratégie de l’Eglise pour la prochaine présidentielle. « Nous devons nous adapter aux difficultés pour faire avancer les choses » confie-t-il d’emblée à Dimanche, dans ses bureaux de Gombé, quartier administratif. « Nous ferons sans doute des actions plus importantes et dans un champ plus élargi« , livre-t-il. Le prélat évoque d’ailleurs la « possibilité de mener le combat cette fois-ci avec les protestants » regroupés au sein de l’Eglise du Christ du Congo (ECC).
Il voit dans le choix récent du pape François de le nommer « chapelain » du pontife « une sorte de soutien à l’engagement sociopolitique de l’Eglise« . Car l’institution confessionnelle qui a déployé pas moins de 41.000 observateurs lors de la dernière présidentielle est devenue un élément incontournable de la vie politique. En s’imposant comme la principale actrice de l’éducation, de la santé et de la lutte contre la corruption dans un pays où 2/3 de la population vit sous le seuil de la pauvreté, l’Eglise est désormais sur tous les fronts. Et cela grâce à la très célèbre Cenco qui fête cette année les 60 ans de sa reconnaissance par le Vatican, en 1962.
« Une mission prophétique et donc politique »
A Lindonge, dans le quartier populaire Musoso, les bureaux du cardinal Fridolin Ambongo ne désemplissent pas. Diplomates, acteurs de la société civile, journalistes et hommes politiques y défilent. « C’est la preuve qu’il y a de quoi s’inquiéter« , concède Sr Augustine. Car pour la religieuse, « quand ça va mal, c’est vers l’Eglise que l’on se tourne« . Depuis la désignation du candidat de Tshisekedi à la tête de la commission électorale, l’opinion craint que la prochaine présidentielle ne se passe pas bien. Mais l’Eglise évite de mettre de l’huile sur le feu. « Nous prenons acte de ce choix« , se contente de répéter Fridolin Ambongo. Pour le cardinal de Kinshasa, il n’y a aucune raison que « l’Eglise s’éloigne de sa mission prophétique » que le successeur de Monsengwo interprète comme « fortement sociale et politique« . Un avis largement partagé par le clergé. En même temps, ils sont de plus en plus nombreux à craindre « que l’Eglise finisse par s’éloigner de sa mission mère » – une inquiétude qui alimente les récurrentes réflexions du prêtre et professeur de philosophie, Jean Baptiste Malenge. Mais en attendant, qu’elle le veuille ou non, cette institution construite autour de personnalités qui l’ont marquée depuis 1960 aura un rôle indéniable dans la crise politique que connaît le pays. « Aucun doute là-dessus« , tranche l’abbé Freddy Kiauzitu, chancelier adjoint du diocèse de Kinshasa.
C’est donc un sacré défi qui attend la Cenco. Après six décennies, elles se trouve à la croisée des chemins. Invitée à ne pas perdre de vue la vocation première que rappelle le pape François – « être parmi les pauvres » et surtout « porter la Bonne Nouvelle« . Elle est aussi appelée à jouer un important rôle sur le terrain politique.
De notre envoyé spécial, Max-Savi Carmel
Source : Cathobel
Les quatre archevêques
Une tradition non écrite voudrait qu’au bout de 3 archevêques créés successivement cardinaux, le siège métropolitain concerné soit « cardinalice ». Kinshasa en a connu quatre depuis l’indépendance du pays et le très virulent cardinal Joseph Malula. En engageant un bras de fer contre la politique d’authenticité de Mobutu qui voulait faire disparaître les prénoms chrétiens, le premier cardinal congolais (qui donnera le ton du combat contre la dictature) passera par quelques années d’exil à Rome. A sa suite, son successeur ne lâche pas prise face à l’une des pires dictatures d’Afrique. Frédéric Etsou Nzabi Bamungwabi est arrivé au milieu de l’année 1990, celle de l’avènement du vent de la démocratie ayant engendré les conférences nationales dans de nombreux pays du continent. Sociologue mesuré et pragmatique, le cardinal Etsou forme, grâce à la Commission Justice et Paix, à travers les campagnes d’éducation civiques et électorales, la pépinière de jeunes catholiques qui seront vite intéressés par la politique. Mais le plus marquant d’entre eux reste Laurent Monsengwo. Doué et expérimenté, il a compris que le combat de l’Eglise ne sera un véritable succès que s’il est porté par le Saint-Siège. Sa proximité avec Benoit XVI (qui le fait cardinal en 2010) et sa complicité avec François (dont il est membre du conseil restreint des cardinaux) l’y aideront beaucoup. « Il est la meilleure chose qui soit arrivée à l’Eglise de tous les temps« , avoue Narcisse Londolé, universitaire catholique. Depuis, Fridolin Ambongo marche dans ses pas « sans forcément lui ressembler« , comme le constate le jeune prêtre Freddy Kiauzitu, « chacun ayant sa personnalité« . Le chancelier adjoint du diocèse de Kinshasa pense, comme la plupart des Congolais, que « l’archevêque est un rempart moral contre les dérives politiques« . Et pour la prochaine présidentielle prévue en 2023, le capucin de 63 ans, habile et politique, aura son mot à dire. |