Adrienne Ntankeu qui vit entre la France et le Cameroun d’où elle est originaire est à la tête de l’association Anida, quelle a fondé pour lutter contre les discriminations faîtes aux albinos. Malgré les affres et préjugés qu’elle a subis en raison de son albinisme, elle ne s’est jamais laissée abattre et considère au contraire sa différence comme une force. Passionnée par la mode, celle qui a longtemps évolué dans le milieu du mannequinat a également créé sa propre marque de vêtement, ADINA, et organise régulièrement des défilés à Paris.
La vie n’a pas été tendre avec Adrienne, mère de trois adolescents, mais elle a osé prendre son envol et déployer tout son potentiel en décidant de fonder son association Anida et sa marque de vêtement ADINA. Originaire du Cameroun où elle a grandi jusqu’à l’âge de cinq ans, elle est ensuite envoyée en France par ses parents qui acceptent mal son albinisme. « J’ai dû vivre avec une famille qui m’a maltraitée à cause de mon albinisme, me poussant à m’enfuir. J’ai même dû demander mon émancipation à l’âge de 16 ans afin de me prendre moi-même en charge car les adultes ne savaient me faire que du mal donc j’ai dû devenir moi-même la première adulte bienveillante envers moi », confie-t-elle. Dès qu’elle reprend sa vie en main, elle trouve très vite sa place au sein de la société en travaillant par exemple pour l’administration française comme fonctionnaire avant de décider de s’engager pour défendre et soutenir toutes les personnes atteintes d’albinisme comme elle. Aujourd’hui, elle se déplace régulièrement au Cameroun pour mieux soutenir cette cause sur le terrain, tout en travaillant sur le développement de sa marque de vêtement.
Comment est née l’association Anida ?
Je pense qu’Anida est demeurée longtemps dans mon inconscient après un séjour au Cameroun pendant mon adolescence. J’ai vu une grande différence entre ma situation que je croyais catastrophique et celle des albinos au Cameroun qui vivaient dans des conditions précaires. J’ai appris instinctivement à oublier mes problèmes pour pallier aux leurs, j’ai appris à donner ce que j’avais à d’autres qui n’avaient rien du tout, et j’ai compris la chance que j’avais et dont j’étais peu consciente. Bien plus tard au cours de ma vie de fonctionnaire, un reportage diffusé à la télé m’a bouleversé ainsi que mes collègues. Il montrait les sévices et les meurtres commis sur les albinos. Après la prise de conscience et les larmes, je me suis dit que je devais intervenir. Je ne savais pas dans quoi je m’embarquais mais je ne pouvais continuer à vivre sereinement. Il fallait une réponse à un tel acte afin que cela cesse et se sache. Anida fut ma réponse !
Quels sont vos objectifs et actions ?
Anida a pour mission la sensibilisation sur l’albinisme car notre association a en effet un rôle d’information et d’action. Ces deux pôles se manifestent donc à travers des campagnes de sensibilisation où des kits d’hygiène sont distribués avec notamment des crèmes solaires, des lunettes de soleil et tout le nécessaire pour la peau ultra-sensible des albinos. Nous organisons dans le même élan des expositions photos afin de montrer l’albinisme sous son plus bel apparat, démystifiant ainsi la vision populaire. Nous organisons aussi des conférences avec des experts qui expliquent de façon scientifique ce qu’est l’albinisme qui relève surtout de la science et des gênes. Tout cela a grandement contribué à modifier la perception de l’albinisme même si beaucoup reste à faire.
Vous avez aussi créé votre marque de vêtement. Quel en est le concept ?
Ma marque ADINA a pour idée générale de faire ressortir le meilleur de chacun. Un vêtement qu’on porte représente une idée de soi qu’on véhicule. Alors cela exige de montrer le meilleur de soi et cette idée peut nous aider à l’incarner réellement. C’est du développement personnel par la mode. D’autre part nous vivons une ère de mixité culturelle et cela est transcrit dans le choix des matières issues de plusieurs continents et d’une bonne dizaine de pays. Vous pouvez trouver mes créations sur ce site boutique.anida.fr
Vous avez présenté vos créations lors d’un défilé dans les rues de Paris en juin dernier. Pourquoi était-ce si important pour vous de vous exprimer à ciel ouvert ?
Le streetfashionshow est venue de mon envie d’aller exprimer dans la rue, mes idées, ma vision du monde, mes combats et mes passions. Bien entendu la date a été choisie peu après la journée de l’albinisme pour que l’un des messages forts soit porté à ce moment-là. Le choix de le faire dans la rue est un juste retour des choses car la rue, inspire, crée, milite et est vivante. Je voulais rendre à la rue, toute la vie et la force qu’elle me donne.
Comment s’est déroulée la préparation de cet évènement d’envergure ?
Pour préparer cela, j’ai eu la chance d’être entouré par un collectif d’artistes, nommé Artvolution, qui m’a accompagné dans la production de cet évènement. C’est d’ailleurs ainsi que nous avons choisi le black and white, un restaurant lounge dans le 18ème arrondissement de Paris, comme point de départ de notre défilé. Il a fallu préparer les mannequins (plus de 30), leur expliquer leur mission du jour car tout était top secret et ceux-ci ne l’ont su qu’au moment d’aller défilé dans les rues. Hormis les initiés, personne ne savait ce qui se tramait. Nous sommes donc allés dans le métro et avons rejoint en fanfare la station châtelet pour un premier show sur la Place du Châtelet, puis nous avons rejoint la Place Saint-Michel à pied où nous avons effectué un second défilé avant de finir notre tournée au métro château-d’eau pour un ultime passage. L’ambiance était festive, artistique, chaleureuse et nous avions des pancartes avec des messages forts. Au-delà de la portée de l’évènement, c’est l’une des plus belles aventures humaines que j’ai jamais vécues avec des gens incroyables, humains, simples et pourtant si talentueux. J’ai hâte de recommencer !
Qu’est-ce que la journée internationale de l’albinisme depuis sa création vous a apporté ?
Symboliquement c’est important car cela place l’albinisme au cœur du débat. Cela permet à tous de nous voir d’abord comme des êtres humains car avant cette date on pouvait avoir l’impression qu’on pouvait tuer impunément les albinos sans que personne ne s’en émeuve. C’est le fruit d’un long combat et une petite victoire pour notre cause. Toutefois pour être sincère je ne suis pas certaine qu’il y ait moins d’exactions sur les albinos depuis l’instauration de la journée mondiale. Ceux et celles qui commettent ces actes n’en ont sûrement cure et continuent d’agir impunément. Par contre, cela a permis de mobiliser l’opinion publique sur l’urgence de la problématique.
Selon-vous, comment peut-on mettre concrètement un terme aux discriminations que subissent les albinos ?
Pour que cela arrive, il faut une concordance de choses et d’événements. L’une d’entre elle est bien sûr une plus forte sensibilisation et information de la population sur cette question. C’est indispensable pour éviter les amalgames et les superstitions. Une personne informée est une personne consciente et elle est moins susceptible d’être responsable d’actes d’ignominie. D’autre part si ce problème existe, c’est aussi à cause d’un écosystème défaillant dans lequel la population est majoritairement vulnérable. Ce qui fait parmi tous les maux qui minent les gens, le sort des albinos n’est bien sûr pas prioritaire tout comme pour les gouvernements qui bien que conscients font mine de ne rien voir. Si l’écosystème devient plus favorable à la population, alors les minorités dont les albinos auront un espace d’expression plus large et seront moins discriminées.
Propos recueillis par Assanatou Baldé, Afrika Stratégies France