L’Abidjanaise, l’Aube Nouvelle, ou encore le Ditanyè et Debout Congolais, plusieurs hymnes nationales ont été écrites ou mises en musique par des religieux. Mgr Pierre-Marie Coty, l’un d’entre eux vient de plonger la Côte d’Ivoire dans le deuil en passant de vie à trépas à 93 ans. Occasion pour Afrika Stratégies France de revenir sur ces hommes de Dieu qui ont offert à leur pays ces inoubliables péans patriotiques alors que la moitié des pays francophones en ont laissé le privilège à des colons.
C’est un communiqué de la Conférence des évêques catholiques de la Côte d’Ivoire qui a annoncé vendredi 17 juillet le décès de Mgr Pierre-Marie Coty. L’Evêque émérite de Daloa avait 93 ans. Un deuil d’autant plus dévastateur que la Côte d’Ivoire accompagnait, le même jour, à sa dernière demeure, Amadou Gon Coulibaly. Le Premier ministre ivoirien a été arraché brutalement à l’affection populaire alors qu’il était le candidat désigné de la majorité présidentielle pour le scrutin prévu fin octobre. A travers le décès du prélat, le pays n’a pas perdu qu’un évêque qui aura dirigé pendant 30 ans le diocèse de Daloa (Centre-Ouest) mais aussi le parolier de son hymne nationale,l’Abidjanaise qui a été, dans la foulée, mise en musique par Pierre-Michel Pango, un autre prêtre catholique. Tout comme Mgr Coty, une bonne dizaine de religieux ont écrit les textes et/ou composé la musique de ces chefs-d’œuvre musicaux qui ont puisé une partie de leur sonorité tropicale dans le nationalisme ambiant du lendemain des indépendances.
Du Bénin au Burundi
Plus qu’on ne le pense, des hommes de Dieu se sont ainsi immortalisés en participant à l’écriture ou la composition de l’hymne nationale de leur pays. Cela va de soi d’autant qu’à la fin des années 50 et au début de celles 60, les clergés locaux et les écoles catholiques ont fourni aux Etats africains, nouvellement souverains, leurs premiers intellectuels. Parmi eux, quelques poètes, de bons musiciens dont plusieurs jésuites qui, poussés par la fierté nationale, se sont mis à l’œuvre. Dans une grande partie des pays africains (Centrafrique, Niger, Tchad, Gambie…), l’honneur a été laissé aux colons ou à des aventuriers le plus souvent dits « passionnés de l’Afrique ». Dans certains cas, comme la Côte d’Ivoire, Félix Houphouët Boigny a lancé un concours national pour choisir les bonnes paroles parmi une dizaine de propositions. Mgr Pierre-Marie Coty l’a vaillamment remporté même si une polémique s’en suivra après, lui associant Mathieu Vangrah Ekra comme co-auteur. Depuis, le prélat s’en est offusqué, dénonçant un plagiat de la part de l’homme politique. Au Burkina Faso, Thomas Sankara a demandé à l’Abbé Robert Ouédraogo de mettre en musique des paroles que l’ancien président révolutionnaire a écrites avec Patrick Gomdaogo Ilboudo. Au Congo, Simon-Pierre Boka a proposé d’écrire la première hymne nationale en 1960. Joseph Kasa-Vubu, le premier président du pays a accepté tout de suite l’idée. En 1971, Mobutu Sésé Séko a demandé au même prêtre jésuite et chercheur en théologie pastorale d’écrire la nouvelle hymne, la Zaïroise. Du côté du Bénin, tout est allé naturellement. « L’hymne nationale est une affaire de clercs » ironisait Hubert Maga, premier président du Dahomey, futur Bénin. La version de l’Aube nouvelle soumise par le Père Gilbert Dagnon est tout de suite approuvée. Idem pour le Burundi où Jean-Baptiste Ntahokaja, prêtre lui aussi, préside un collège d’auteurs pour aboutir au Burundi Bwacu (Burundi aimé).
Entre nationalisme et « loyauté » à l’égard de la France
Herbert Pepper. Le nom ne vous dit peut-être rien mais il est, à lui seul, le compositeur des hymnes nationales du Sénégal et de la Centrafrique. Dans les deux cas, ce sont des chefs d’Etat, Léopold Sedar Senghor pour le Sénégal et le très éphémère président Barthémy Boganda pour la Centrafrique, qui ont écrit les paroles. Mais dans les deux situations, associer l’auteur-compositeur breton est un clin d’œil à la France avec laquelle les nouveaux dirigeants africains ne veulent pas couper tous les ponts. C’est un peu le cas au Congo Brazzaville où deux français (Jean Royer et Joseph Spadilière) ont procédé à la mise en musique de la Congolaise. C’est un peu le cas du Tchad où le Tchadien Louis Gidrol a dû s’associer au français Paul Villard. Seuls quelques rares pays ont opté pour une initiative « nationale et authentique ». Le Burkina Faso, le Bénin et surtout le Mali ont confié le projet à des nationaux. Au Togo, la même personne, Alex Casimir Dosseh est à la fois l’auteur des paroles et de la mise en musique de la « Terre de nos aïeux » qui sera ajusté ensuite par le français François-Julien Brun. Ce dernier fut le chef musique de la Garde républicaine en France pendant un quart de siècle. Si la Guinée a choisi une musique traditionnelle du très célèbre Keïta Fodéba, elle a tout de même fait appel au français Jean Cellier pour la mise en musique. Sur ce qui est du nom, beaucoup de pays francophones se sont, là encore, inspirés largement de la France. C’est le cas trop palpable de la Côte d’Ivoire qui, à l’image de la Marseillaise, a préféré l’Abidjanaise. La Tchadienne, la Congolaise, la Nigérienne sont aussi restées dans le même style.
Des relents « colonialistes » ressurgissent
Niger. Cas exceptionnel. Maurice Albert Thiriet, né en 1906 dans les Yvelines en France est l’auteur des paroles de la nigérienne. Mais la mise en musique, là encore, a été l’œuvre de deux autres français. Robert Jacquet et Nicolas Abel François Frionnet. 60 ans après, Issoufou Mahamadou a décidé d’en modifier certaines paroles. Le président nigérien s’agace du thème « reconnaissants » utilisé pour remercier le colon «De notre liberté nouvelle ! ». Ce chef d’Etat décomplexé, qui a promis quitter le pouvoir à l’issue de son second mandat a demandé à son Premier ministre de présider un « Comité National chargé de réfléchir sur l’hymne National du Niger ». D’ici 2021, le Niger adoptera la nouvelle version de son hymne, avec quelques modifications par rapport à celle actuelle. Une situation qui pourrait inspirer d’autres cas sur le continent.
En attendant, la Côte d‘Ivoire rend hommage au père de son hymne national. La conférence épiscopale n’a pas encore communiqué le programme des obsèques de Mgr Coty mais Alassane Ouattara a déjà rendu hommage à un homme qui écrit avec le pays son histoire. Gilbert Dagnon (Bénin), Robert Ouédraogo (Burkina Faso), Simon-Pierre Boka (Congo Kinshasa) ou encore Jean-Baptiste Ntahokaja (Burundi), des prêtres auront trempé dans l’encrier pour écrire de nombreuses hymnes nationales en Afrique francophone. Comme une alléchante contribution du spirituel au temporel.
MAX-SAVI Carmel, Afrika Stratégies France