Ces deux dernières années, des militaires ont pris le pouvoir en Guinée-Conakry, au Mali et au Burkina Faso, dans un contexte sécuritaire dégradé. Mais d’autres facteurs, notamment la grogne sociale, permettent d’expliquer le renversement des gouvernements en place.
Depuis dix-huit mois, l’Afrique de l’Ouest subit une recrudescence de putschs militaires : en Guinée-Conakry (Mamadi Doumbouya), au Mali (Assimi Goïta) et au Burkina Faso (Paul-Henri Sandaogo Damiba). Structurellement fragilisés par une mauvaise gouvernance endémique et une crise de légitimité, ces États sont en situation d’instabilité politique permanente.
Dans un environnement sécuritaire régional dégradé, marqué par des conflictualités multiformes (séparatisme, conflits communautaires, trafics, banditisme, terrorisme, etc), les rares unités d’élite composant les forces armées de chaque pays bénéficient d’un rapport de force et d’une excellente popularité leur ouvrant aisément les portes du pouvoir.
Faiblesse structurelle des armées
Économiquement fragiles, aussi bien la Guinée-Conakry, le Mali que le Burkina Faso ne disposent d’outils militaires fiables. Le mésusage des budgets alloués à la Défense lié à la corruption systémique, à la mauvaise planification budgétaire et aux pratiques douteuses dans les passations de marché public, est un facteur bloquant majeur à toute montée en puissance administrative, capacitaire et opérationnelle durable.
La plupart des unités sont donc généralement mal entraînées, mal payées, mal équipées et surtout, étrangères au moindre esprit de corps. Dans de nombreux pays africains, la stabilité du régime repose ainsi uniquement sur la loyauté, parfois chancelante, des forces spéciales et des gardes présidentielles au chef de l’État.
Ces unités sont particulièrement favorisées et disposent de cadres formés dans les écoles militaires occidentales. Très minoritaires en effectifs, elles disposent pourtant, de facto, de l’essentiel des capacités coercitives du pays. Quand elles affrontent directement les groupes armés terroristes, comme c’est le cas au Mali ou au Burkina Faso, ces gardes prétoriennes bénéficient en outre d’un certain prestige.
Dès lors, d’un point de vue purement opérationnel, la prise de pouvoir devient presque une formalité. L’image d’Épinal d’une poignée de militaires d’élite dans quelques pick-up traversant la capitale pour se rendre dans le palais présidentiel est, dans les cas ouest-africains, proche des réalités de terrain.
LES COUPS D’ÉTAT N’ENTRAÎNENT QUASIMENT PAS DE RÉSISTANCE DE FORCES RESTÉES LOYALES
Le bilan humain du coup d’État guinéen de septembre 2021, n’est que d’une dizaine de morts tandis qu’au Burkina Faso, deux décès seraient à déplorer en marge du putsch. Signe que ces coups d’État, qui se déroulent dans une temporalité très courte – une journée en Guinée, deux au Burkina Faso – n’entraînent quasiment pas de résistance de forces restées loyales.
Grogne sociale
Dans les trois cas, les putschistes ont bénéficié d’un faisceau de conditions objectivement favorables à leurs actions. Le contexte de grogne sociale au Mali, en Guinée et au Burkina Faso a donné une forte légitimité aux juntes militaires qui ont bénéficié d’un appui notable des populations urbaines.
Ainsi, au Mali, le colonel Assimi Goïta est parvenu à légitimer son premier coup d’État, en août 2020, sur la promesse de combattre la corruption. Mais aussi sur la perspective de régler la question sécuritaire, qui oppose schématiquement Bamako aux Touaregs du nord du pays et à une partie des Peuls dans le centre, largement exploitée par les groupes armés terroristes de la région (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, GSIM ; État islamique au Grand Sahara, EIGS).
C’est la raison pour laquelle la junte malienne a pu compter sur le soutien du mouvement d’opposition du 5 juin (M5) et son leader très charismatique : l’imam Mahmoud Dicko, l’un des fer-de-lance de l’opposition politique à l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta et connu pour ses prises de position résolument anti-occidentales.
Au Burkina Faso, la junte menée par le colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, qui a renversé le président Roch Marc Christian Kaboré en janvier 2022, s’est appuyée sur le même type de revendications. Le pays connaît une recrudescence d’attaques terroristes depuis 2015, menées par une pluralité de groupes islamistes, parfois rivaux, affiliés à l’État islamique, à Al-Qaïda ou indépendants (Ansarul Islam), et nourris en combattants par la marginalisation croissante de la minorité peule.
Une problématique qui se double de la prolifération de groupes d’autodéfense communautaires (majoritairement mossis), les Koglweogo, indépendants de l’État central, se chargeant eux-mêmes de la lutte contre l’insécurité pour combler les béances des forces de sécurité burkinabè, au prix de nombreuses atteintes au droit humain.
En Guinée, le colonel Mamadi Doumbouya profite de la perte critique de popularité du président Alpha Condé. Ce dernier était jugé illégitime par l’opposition depuis son changement constitutionnel controversé en 2019 et surtout son troisième mandat en 2020, à l’issue d’un scrutin vivement contesté. Le putsch du colonel, en septembre 2021, est donc accueilli favorablement par l’opposition, dont la principale figure, le leader de l’Union des forces démocratiques (UFDG), Cellou Dalein Diallo, tant la dérive autoritaire du pouvoir d’Alpha Condé était prononcée.
Un échec déjà consommé ?
Après 18 mois de transition, et malgré un soutien encore important de la population, le régime malien se retrouve de plus en plus isolé. Son bilan, et la volonté d’Assimi Goïta de s’accrocher au pouvoir au-delà de l’échéance électorale initialement fixée en février, sont de plus en plus critiqués par ses anciens sympathisants, comme l’imam Dicko. Ce dernier a aussi plus récemment critiqué la dégradation des relations avec Paris et le départ des forces françaises. L’imam n’est pourtant pas connu pour être profrançais. Mais plus qu’un alignement sur l’Hexagone, ses prises de position semblent indiquer la fin de l’État de grâce pour la junte.
En cédant aux influences russes et algériennes, le colonel Goïta a probablement signé l’échec de son régime. Car ni Alger ni Moscou, y compris le groupe Wagner, n’ont les capacités de fournir un spectre d’appui militaire, dans la région, aussi important que celui de l’opération Barkhane.
In fine, le départ de l’armée française devrait mettre en évidence les failles béantes des forces armées maliennes (Fama). Comme elles l’ont encore récemment démontré après un lourd revers à Mondoro (centre), et même si la France a récemment indiqué qu’elle continuerait à fournir un soutien aérien.
En Guinée, on note une volonté affichée du Comité nationale du rassemblement pour le développement (CNRD) d’assainir la sphère publique et l’armée à grande vitesse (mise à la retraite d’officiers supérieurs, ambassadeurs, fonctionnaires, mesures anticorruption, etc). Mais cette procédure paraît avoir plus pour but d’affermir le propre réseau du colonel Doumbouya, un passage obligé pour celui qui était jusque-là inconnu sur la scène guinéenne.
LE REFUS DE DOUMBOUYA D’ETHNICISER SES DISCOURS POLITIQUES POURRAIT CONSTITUER UNE PORTE DE SORTIE VIABLE DU FLÉAU COMMUNAUTAIRE
La stratégie de la junte semble être de disqualifier rapidement l’opposition, qui avait pourtant accueilli favorablement le coup d’État. Ainsi, Cellou Dalein Diallo (UDFG) et Sidya Touré (Union des forces républicaines, UFR) sont-ils la cible de plusieurs mesures de harcèlement (expulsion du domicile, enquête pour des faits présumés de corruption, etc). Ces mesures hostiles pourraient être perçues comme une forme de prise de contrôle prédatrice (et communautaire) de l’État.
Compte tenu de son poids politique et de son expérience d’homme d’État, il apparaît difficile de se passer du leader de l’UFDG dans le cadre d’une transition se voulant réformatrice et apaisée. D’autant que, contrairement à Alpha Condé, le refus de la junte d’ethniciser ses discours politiques pourrait constituer une porte de sortie viable du fléau communautaire pour la vie politique guinéenne.
PAR LE PASSÉ, CERTAINS PUTSCHS ONT PERMIS DE ROMPRE LE STATU-QUO : CELA A ÉTÉ LE CAS AU NIGER EN 2010
Les similitudes modales du putsch burkinabè plaident pour des effets similaires dans un futur proche. Mais l’exercice du pouvoir par la junte militaire n’en étant qu’à ses prémisses, les éléments ne permettent pas encore de se prononcer sur sa capacité à amorcer un redressement du pays.
Il ne s’agit pas ici de critiquer ces coups d’État en tant que tels qui, comme en Guinée, viennent mettre un terme à un ordre profondément inconstitutionnel. Mais plutôt de montrer qu’ils ne résoudront rien aux crises protéiformes (économique, sécuritaire, institutionnelle…) rencontrées par ces pays, et pourraient même les aggraver.
Par le passé pourtant, certains putschs ont permis de rompre le statu-quo : cela a été le cas au Niger en 2010, lorsque Mamadou Tandja a été renversé par l’armée. C’est aujourd’hui un pays relativement stable, qui a su temporiser ses relations avec ses minorités nomades (touaregs et arabes). Fiable sur le plan militaire et partenaire de confiance de Paris, le pays semble aussi avoir bien solidifié ses institutions. En témoigne l’échec du coup d’État mené en mars 2021 par… des éléments de l’armée. Un fait survenu deux jours avant l’intronisation du président Mohamed Bazoum, membre d’une ethnie minoritaire (Oulad Souleymane).