Au pouvoir depuis 1994, l’ANC enregistre le pire score électoral de son histoire. Il paye des années de gestion calamiteuse du pays.
Cyril Ramaphosa était présenté comme « la dernière chance » du Congrès national africain (ANC) pour sauver ces élections. Le chef de l’État, visage souriant imprimé sur toutes les affiches électorales, a passé le mois d’octobre sur les routes sud-africaines à faire campagne au nom de son parti. En vain. Avec seulement 46 % des voix à l’échelle nationale contre 54 % en 2016, l’ANC subit son plus gros revers électoral. Seize points ont même été perdus depuis les municipales de 2011 (62 %).
Surtout, l’ANC échoue à obtenir la majorité dans la plupart des métropoles sud-africaines. Ses résultats sont en chute libre à Johannesburg (-10 %), Pretoria (-7 %), ou encore au Cap (-7 %). Même Durban (-14%), bastion de l’ANC dans la province du KwaZulu-Natal, échappe à son contrôle avec un résultat sous le seuil de la majorité (42 %). « C’est un message sans ambiguïté qu’envoient les électeurs […] Les gens sont déçus par l’ANC », reconnaît le parti dans un communiqué. Et de citer la longue liste des griefs : lenteur à s’attaquer à la corruption, incapacité à assurer l’accès aux services de base et à gouverner correctement les municipalités.
Nouer des alliances
Le parti de Nelson Mandela devra se résoudre à nouer des alliances pour espérer gouverner par coalition. Un système qui avait joué en sa défaveur en 2016. En ralliant plusieurs petits partis, l’Alliance démocratique (DA), première force d’opposition, avait notamment mis la main sur Pretoria et Johannesburg. La razzia pourrait s’avérer encore plus importante si l’opposition fait bloc contre l’ANC.
Avec 30 % des municipalités en ballotage, « la politique des coalitions risque de devenir la clé des scrutins à l’avenir », analyse André Duvenhage, professeur en sciences politiques à l’université du North-West. « Ce n’est pas du tout dans notre culture ou notre histoire politique, on a besoin d’apprendre », poursuit-il.
La multiplication des coalitions résulte d’une baisse générale des voix enregistrées par l’ANC et la DA. Elle s’explique aussi par une fragmentation du paysage politique. Ce scrutin a vu s’affronter 325 partis et 1 500 candidats indépendants sur 95 000. Des déçus des grandes familles politiques qui veulent faire entendre leur voix autrement. « Voter pour les petits partis affaiblit la DA, ne jouons pas avec le feu », tentait de décourager John Steenhuisen, leader du parti dans un spot de campagne.
Discours anti-immigration
La DA est devenue une pépinière à dissidents. Trois de ses anciens porte-drapeaux ont bataillé contre elle lors de ce scrutin. Mmusi Maimane, ancien leader du parti devenu le défenseur des partis indépendants avec son mouvement OneSA. Patricia de Lille, maire du Cap (DA) de 2011 à 2018 et en concurrence avec GOOD, son nouveau parti. Et surtout, Herman Mashaba, maire de Johannesburg DA entre 2016 et 2019 et sensation politique de ce scrutin avec ActionSA, créé en 2020. À Johannesburg, il se place en troisième position avec 16 % des voix.
« Herman Mashaba est devenu un politicien de premier plan, il va influencer la nature des coalitions », prévient André Duvenhage. Cet entrepreneur jouit d’une certaine popularité liée au succès de ses produits pour cheveux « Black Like Me ». « Les gens le voient comme quelqu’un qui n’a pas besoin d’argent, qui ne va pas en voler car il a déjà son propre empire », résume la politologue Asanda Ngoasheng. C’est aussi son discours anti-immigration qui fait mouche auprès d’une population qui se sent en concurrence avec une main-d’œuvre étrangère, alors que le chômage atteint les 34 %. À Soweto, ActionSA récolte 21 % des voix, selon l’analyste Dawie Scholtz.
LES PERSONNES QUI SONT LOYALES À L’ANC ONT PRÉFÉRÉ NE PAS VOTER DU TOUT EN GUISE DE PROTESTATION
Concentré sur quelques villes, ActionSA ne pèse pas lourd à l’échelle nationale et n’est pas en mesure de déloger les Combattants pour la liberté économique (EFF). Le parti de Julius Malema gagne deux points à l’échelle nationale et confirme sa place de troisième parti sud-africain (10 %). Le commandant en chef Malema s’est dit « très heureux » de voir le rival ANC sous la barre des 50 %.
Le très fort taux d’abstention ne réjouit en revanche personne. La participation ne dépasse pas 45 % parmi les 26 millions d’électeurs enregistrés. « On note une apathie électorale depuis 2019, explique Paul Berkowitz de l’ONG The Third Republic. Le citoyen ordinaire souffre. Ce doit être un sentiment de futilité, de rejet, qui alimente cette apathie électorale. » Le dégoût de la politique a contaminé ce scrutin. « Même les personnes qui sont loyales à l’ANC ont préféré ne pas voter du tout en guise de protestation plutôt que de se tourner vers un parti d’opposition, relate Asanda Ngoasheng. Ces élections ne sont qu’un tir de sommation, avant le chaos qui verra l’ANC ne plus obtenir sa majorité habituelle à l’échelle nationale. »
Afrika Stratégies France avec Jeune Afrique