En cette année 2019, les astres ne semblent pas très favorables aux dictateurs africains, en l’occurrence ceux qui avaient échappé, in extremis, au printemps arabe en 2011. Après l’Algérie où Bouteflika, le président figurant, a été contraint par la rue de démissionner, c’est le tour du Soudan, où Omar El Béchir, suite à une forte pression de la rue, a été destitué cette même semaine par ses frères d’armes. Depuis, le Congo, le Tchad, le Gabon, la Guinée équatoriale… Les regards se tournent vers d’autres cieux.
La succession des événements aura été trop rapide et téléscopique. Arrivé au pouvoir après le coup d’Etat militaire de 19989, Omar El Bechir, le président soudanais a été destitué par ses frères d’armes. Après trente années de règne sans partage à la tête du Soudan, le désormais ancien homme fort de Khartoum, a été emporté par un soulèvement populaire. Ainsi donc, l’armée a écouté la voix de son peuple. Ayant pris en main la gestion du pays dans la foulée le Général Awad Benawf cèdera sous la pression de la rue à un autre officier, Abdel Fattah al-Burhane, plus consensuel qui a ouvert les concertations avec les partis politiques et s’impatientent de laisser le pouvoir aux civils. Pendant ce temps, sur les réseaux sociaux et dans les médias locaux, d’autres despotiques sont indexés. Paul Biya (Caméroun), Théodoro Nguéma (Guinée équoatoriale), Denis Sassou Nguesso (Congo), Idriss Bedy (Tchad), Faure Gnassingbé (Togo) et même Ali Bongo qui, bien que très diminué par un AVC, s’accroche mordicus.
La fin des hommes forts ?
Sur le continent, l’aspiration légitime des peuples à la démocratie et à la liberté est plus que jamais si fort que les autoritarismes les plus tenaces ne résistent plus. En d’autres termes, quand vient l’heure des peuples déterminés, les dictateurs autocrates finissent toujours par perdre la main. Les peuples algérien et soudanais l’ont montré de fort belle manière cette semaine. Ils sont venus à bout de leurs dirigeants dictateurs et restent vigilants face aux militaires qui sont sensés assurer la transition. En Algérie, Abdelaziz Bouteflika n’a que trop joué la figuration à la tête de l’État et ce, depuis des années. Malade, c’est son clan qui des années durant était aux manettes. Il s’agit de parents, d’une bande de copains et de coquins, qui contrôlent tout et laissant la grande majorité des Algériens végéter dans la pauvreté et la jeunesse sans perspective en dépit d’énormes richesses du pays. Il est évident que Bouteflika, le héros de la guerre d’Algérie aspirait à être le président à vie. C’est d’ailleurs à cette fin que le 12 novembre 2008, le parlement acquis à sa cause, avait voté, à mains levées, la modification de la Constitution pour supprimer la limite de deux mandats, afin de permettre au gérontocrate de continuer à briguer de nouveaux mandats. Alors même trois ans plus tôt, le 26 novembre 2005, il avait subi sa première hospitalisation en France. Des scénarios qui se répèteront.
Le 27 avril 2013, Bouteflika est, de nouveau, admis à l’hôpital du Val-de-Grâce, à la suite d’une attaque cérébrale. Trois mois plus tard, c’est un homme en fauteuil roulant qui rentre en Alger. Paralysé du côté gauche, son état de santé n’a fait que se dégrader. Grabataire, ses apparitions sont de plus en plus rares et les rumeurs vont bon train. «Les services de sécurité manipuleraient à leur guise le chef de l’État gâteux ; le Président ne serait plus qu’une ‘marionnette’ aux mains des militaires». Mais sa fragilité ne l’empêchera pas de briguer un nouveau mandat en 2014 et de se faire réélire toujours avec des scores très élevés. Cette usure, voire cette confiscation du pouvoir n’est pas forcément du goût des Algériens. Perplexes, ils hésitent entre la reconnaissance envers l’homme de la concorde civile, l’apitoiement pour le dernier des héros de l’indépendance et, pour certains, la honte devant le spectacle de cette «momie» à la tête de l’État, comme le mentionne Libération.Bouteflika va donc profiter pour asseoir son pouvoir.
El-Béchir, un bilan au rythme des crimes
Les Soudanais avaient longtemps supporté jusqu’à ce qu’interviennent le triplementdu prix du pain. Ils avaient enfin trouvé le bon prétexte pour investir les rues et exigé le départ du président Omar El Béchir. Suite à la pression difficile à contenir, Omar El Béchir a été déchu par ses frères d’armes qui le détiennent encore dans un lieu secret. Pour mémoire, Omar el-Béchir est visé par deux mandats d’arrêt internationaux émis par la CPI en 2009 et 2010 pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre qui auraient été commis au Darfour entre 2003 et 2008 au moins. Depuis, il nargue la communauté internationale, effectuant tous ses déplacements en toute qui étude sur le continent. Le lieutenant-général Abdulfattah Al-Burhan Abder Rahaman a été nommé, vendredi 12 avril, président du Conseil militaire de transition (CMT), la junte qui a pris le pouvoir la veille après la destitution forcée de Omar El-Béchir, sous la pression de la rue. Seulement le délai de deux ans, n’est pas satisfaisant pour les Soudanais qui veulent une transition très courte et la transmission du pouvoir aux civils.
Conséquences d’une scission
La grande république du Soudan a cessé d’exister de puis l’indépendance proclamée de la République du Soudan Sud, chértienne et non arabe. Non seulement cette souveraineté a scindé le pays en deux Etats voisins, mais elle a aussi changé la donne économique de Khartoum. Depuis 2011, année de la création de la République du Soudan Sud, le pouvoir du président soudanais Oumar El Bechir s’est amoindri et sa capacité à relever les défis économiques du pays, a faibli. Le pétrole qui constituait la principale ressource du Soudan, trouve les ¾ de ses gisements chez le voisin du Sud. Avec la scission du pays depuis huit ans, les populations soudanaises ont ressenti le coût élevé de la vie avec une hausse du prix des denrées de première nécessité et la baisse de leur pouvoir d’achat et une monnaie fragilisée. Conséquences, la dévaluation de la monnaie locale qui a découlé d’une forte inflation des prix de certaines denrées ont poussé les populations à descendre dans la rue. C’est le cas du pain dont l’augmentation du prix a provoqué un grand soulèvement populaire parti des régions agricoles, avant d’atteindre la capitale. Et d’amener l’armée à destituer le président de la République. Sauf que, héritier du grand vase de l’or noir, le Soudan du Sud peine tout de même à retrouver la stabilité. Il y a quelques jours, la dernière chance a été donnée à cet Etat par le Vatican où le pape a reçu président et rebelle pour une retraite. Espérant que la paix ne revienne très vite.
Tchad, Congo, Guinée équatoriale, Togo, une mise en garde aux dictatures ?
Abdelaziz Bouteflika et Omar El Béchir ne seront certainement pas les derniers à connaître cette déchéance. Ces autres présidents accrocs du pouvoir, qui tripatouillent les constitutions pour s’éterniser (Paul Biya, Idriss Deby, Teodoro Obiang Nguema, Denis Sassou Nguesso), doivent commencer à réfléchir à leur fin. Faure Gnassingbé (Togo) fait face à des colères grondantes dans son pays depuis 2 ans. Ali Bongo (Gabon) qui, comme Gnassingbé, a tout simplement confisqué le pouvoir après la mort de son père revient d’un périlleux Accident cardio-vasculaire qui l’a handicapé profondément. Il ne faut donc pas penser que ça n’arrive que chez les autres. Qui aurait cru que le très puissant Blaise Compaoré qui a soufflé le chaud et le froid pendant des années au Burkina Faso, s’enfuirait vers la Côte d’Ivoire voisine ? Ces chutes de dictateurs peuvent ouvrir la voie à un mousson tropical à l’image du printemps arabe qui a avalé à plusieurs tyrans maghrébins. Une chose est certaine, la bravoure conséquente de l’armée soudanaise donnera des idées à d’autres officiers sur le continent. Une bonne issue peut être pour la démocratie.
Frédéric NACÈRE, Dakar, Afrika Stratégies France
Almami CAMARA, Dakar, Afrika Stratégies France