Les 13 pays issus des blocs français de l’Afrique occidentale et équatoriales et le Cameroun sont indépendants depuis 62 ans. Mais la déliquescence des systèmes de santé, la défaillance de l’éducation, la recrudescence des coups d’états militaires, l’extrême fragilité des économies malgré la croissance confortable, l’explosion de l’inflation et les régressions démocratiques font douter parfois de l’utilité des indépendances. Et beaucoup en arrivent à regretter le départ du colon.
Fin juin, aux frontières espagnoles de Melilla, du côté marocain, un véritable massacre. Deux mille subsahariens ont tenté de franchir les barrières, la police marocaine a ouvert le feu, plusieurs dizaines de personnes tuées, quelques centaines de blessés. Venus essentiellement de Côte d’Ivoire, du Cameroun, du Sénégal ou encore du Mali, ils veulent rejoindre l’Europe. Chaque année, en moyenne 3500 personnes meurent dans la Méditerranée en tentant de rallier l’Europe, soit près d’une dizaine chaque jour. Le taux de chômage et de sous-emploi touche en moyenne près d’un jeune (de 21 à 35 ans) sur deux. Les statistiques, très faibles, liées au chômage ne prennent souvent en compte que les personnes sans emplois et pas celles qui, ayant une formation de sociologues, se livrent à l’agriculture ou à la conduite de taxi moto par exemple. Il est difficile d’expliquer à ces jeunes migrants que leurs passeports cantonnent dans l’hémisphère sud que sortir du giron français en 1960 en devenant ivoirien, burkinabé ou congolais était mieux que de rester « français ».
Faillite démocratique
Jusqu’en 1958, la France disposait de deux grands blocs géographiques au sud du Sahara, l’Afrique occidentale française (Aof) avec Dakar comme capitale et l’Afrique équatoriale française (Aef) basée à Brazzaville. Les deux donneront naissance à 13 pays indépendants dès 1960 auxquels s’ajoute le Cameroun. 62 ans après, quatre de ces 14 pays sont sous le contrôle de juntes militaires arrivées par un coup d’état (Burkina Faso, Guinée Conakry, Mali, Tchad) ; 5 sont sous des dictatures systémiques (Cameroun, Congo, Gabon, Mauritanie, Togo), la Centrafrique est un état presque néant, pris en étau entre tensions internes et tribalistes. Longtemps démocratie modèle, le Bénin est devenu une violente autocratie alors que la Côte d’Ivoire a connu, en 2020, une inquiétante reculade de l’état de droit. Le Sénégal est en constante dictatorisation, le Niger se cherche entre sa première alternance et sa stabilité. La perspective démocratique est donc un flagrant échec alors qu’au lendemain des fortes croissances, les économies sont presque stagnantes, toutes éprouvées par la pandémie de covid-19 pendant que la corruption n’a jamais cessé de les étouffer. Bref, sauf quelques pays qui se sont illustrés dans la construction de grandes infrastructures (Sénégal, Côte d’Ivoire, Bénin notamment), le chômage est resté endémique, l’éducation en déphasage avec le marché de l’emploi et la santé en ruine. La quasi-totalité de ces dirigeants se soignent en France, en Suisse, à Singapour ou à Dubaï et les possibles alternances sont compromises par les mandants illimités, récentes et pernicieuses pathologies qui n’écartent que quelques-uns de ces pays. De la faillite démocratique découlent de nombreux autres maux et fléaux qui minent aujourd’hui ces ex colonies françaises où, depuis l’Elysée, le président français tire toujours et à loisirs, les ficelles.
Indépendances décadentes
Le 1er août, c’est l’indépendance du Bénin. Dans la foulée, plusieurs autres pays africains comméreront leur souveraineté nationale et en quelque sorte la faillite du rêve français d’un empire tropicale. La Côte d’Ivoire le 7 août, le Tchad le 11 août, le Congo le 15 août et deux jours plus tard, le Gabon. En 1960, la quasi-totalité des pays issus de l’ancien giron français en Afrique a accédé à la souveraineté nationale. 62 ans plus tard, quel bilan fait-on de nos indépendances ? Quelles perspectives offrent à leur jeunesse ces jeunes étatsfrancophones du sud du Sahara ? Des questions se posent et même si les élites évitent celle délicate de l’utilité de l’indépendance, de plus en plus de personnes se demandent si rester dans une communauté de destin ou une posture de départementalisation vis-à-vis de l’Hexagone n’aurait pas été bien meilleure ? Les indépendances africaines et notamment francophones ont été un phénomène de mode plutôt contagieux qui a fait que, sans s’y préparer comme cela se devait, la plupart des pays ont accédé à la souveraineté en 1960. La mémoire trop fraiche des violences, mépris et humiliations liées à la colonisation n’a pas facilité un processus consensuel de passation de charges, qui intègre un accompagnement administratif, organisationnel et surtout économique. Des parcelles hétéroclites de savanes et de mangroves sont devenus des états, pourvu d’avoir un drapeau et un hymne national. Les plus chanceux avaient quelques dizaines de kilomètres d’accès à la mer, certains se sont retrouvés portés par de larges espaces désertiques avec en vue aucune vision ni perspective que les querelles intestines qui engendrent vite les putschs militaires et une ethnocentralisation des pouvoirs. La déstabilisation de ces petits états souvent provoquées par les anciens acteurs coloniaux n’a laissé aucun répit à ces pays fragiles. Une autre voie n’était-elle pas possible ?
Antilles françaises
Le Kpendjal est une préfecture du nord du Togo, à 600 Km de Lomé, la capitale. Elle n’a qu’un accès aléatoire à l’eau potable. Madouri, principale ville et présumée chef-lieu est encore en phase d’électrification. Une phase accélérée par les attaques terroristes qui s’enchainent dans la localité. Comment comprendre, sinon accepter que tout un département n’ait pas d’électricité, encore moins de l’eau portable sans qu’il ne soit un nid pour les terroristes ? La précarisation sociale et l’impression d’abandon rabougrissent les relents patriotiques et favorisent toute forme d’extrémisme dont le terrorisme islamique. Beaucoup de localités, souvent de plusieurs milliers voire dizaines de milliers d’habitants sont, en Afrique francophone, sans accès à l’eau et/ou à l’électricité. Parfois la maternité la plus proche est à plus de 100 Km, et si elle existe, elle ne dispose que de quelques boulets de coton, plaquettes illisibles de paracétamols avec des dates d’expiration disparues et quelques burettes de mercurochrome, bref de quoi aggraver les statistiques en termes de mortalité infantile. L’Afrique aurait dû envisager une progressive autonomisation sinon un statut d’Outre-mer. Pas seulement pour le passeport vermeil que cela garantit avec l’accès à 179 pays sans visa mais aussi du minimum vital, de l’accès aux soins et de l’éducation de bien meilleure qualité. Il est certain que les Antilles françaises ne sont pas traitées comme la Métropole, mais c’est déjà beaucoup mieux que l’abyssale précarisationdans laquelle s’enfonce chaque jour un peu plus des dizaines de millions d’Africains. Les indépendances ont remplacé les sorciers blancs, paternalistes aux méthodes infantilisantes par des indigènes complexés, impitoyables et barbares. Le système n’a pas changé, il s’est empiré, c’est la lanière qui a changé de main. Conséquence, les coups se sont faits plus rapides, plus intrépides et plus létaux. Il y a de quoi, pour la jeunesse africaine aujourd’hui, regretter n’être pas resté « français ». Maudites indépendances !
MAX-SAVI Carmel*
*MAX-SAVI Carmel est journaliste en France et originaire du Bénin. Il est Directeur de la rédaction d’Afrika Stratégies France.