S’il apparaît, compte tenu de la mobilisation suscitée par sa candidature, comme le favori de l’opposition avec Jean Pierre Fabre, Agbéyomé Kodjo est aussi celui qui travaille le plus à la transparence du processus électoral enclenché. Il met en place une plateforme à cet effet et un système de centralisation des résultats dans deux pays voisins. Mais cela ne suffit pas, prévient-il, face « à un régime qui a fait de la fraude un dogme électoral ». L’ancien Premier ministre appelle les autres candidats de l’opposition à se mobiliser avec lui pour affronter Faure Gnassingbé sur la question de la transparence. « On ne lâchera rien » insiste l’ex président du parlement togolais lors d’une interview accordée à Afrika Stratégies France et Tribune d’Afrique, deux publications de Afrika Stratégies Group (Asg). Lecture !
A quoi sert-il d’aller à une élection où Faure Gnassingbé dispose de 15 membres sur 17 à la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) et de l’intégralité des membres de la cour constitutionnelle ?
À l’évidence, des manœuvres tendancieuses sont entreprises afin de [nous] pousser sur l’improbable voie du boycott. Pour autant, nous ne sommes pas dupes et ne tomberons pas dans le piège politique qui semble être tendu. Soyez assuré de ce que toutes les forces politiques issues de l’opposition togolaise sont déterminées et mobilisées pour l’avènement de l’alternance au Togo en 2020. S’agissant de la CENI, il va sans dire que son réaménagement systémique ainsi que celui de ses démembrements en vue d’une représentation équilibrée en son sein, de l’ensemble des acteurs du paysage politique national procède du bon sens élémentaire. S’agissant de la Cour constitutionnelle, quoiqu’incomplète, les membres de cette plus haute juridiction de l’ordre judiciaire togolais doivent questionner leur conscience et leur probité pour savoir si en sincérité, ils disent le droit, rien que le droit et tout le droit au nom du peuple togolais. L’opposition politique togolaise prise en l’ensemble de ses composantes représentatives et la majorité présidentielle, doivent pouvoir se parler franchement, de bonne foi, en responsabilité, et devant l’histoire, pour remédier aux « arrangements entachés de fraude récurrente » qui crispent notre pays. C’est pourquoi, toutes les initiatives et démarches de tous les acteurs de la société civile togolaise tendant à exiger plus de transparence en toutes les étapes opérationnelles du processus électoral enclenché « à marche forcée », seront regardées avec notre plus grand intérêt. Le socle commun d’objectif à atteindre et qui devra lier l’ensemble des formations politiques issues de l’opposition togolaise, ainsi que toutes les associations de la société civile togolaise est l’alternance politique au Togo en 2020 !
Comment concrètement ?
Nous avons d’ores et déjà entamé des consultations de fond ainsi que des discussions substantielles avec les autres candidats issus de l’opposition. Nul ne me fera objection de ce qu’au rang de l’opposition politique, nous sommes six candidats à être issus de l’opposition républicaine. Dès lors, l’infatigable républicain que [nous] sommes poursuivra vaille que vaille et de bonne foi, les négociations avec chacun des candidats de l’opposition, car il faut maintenant que l’opposition politique togolaise se soustrait à la ritualisation qu’elle pratique tous les cinq (5) ans, de la chronique de sa défaite annoncée. Devant l’histoire, devant les togolaises et les togolais éprouvés et fatigués, nous avons le devoir, nous avons l’obligation de mettre un terme à la regrettable cristallisation négative du débat politique au sein de l’opposition politique togolaise relativement à un [candidat unique de toute l’opposition] pour l’élection présidentielle, car elle (la cristallisation négative) est intrinsèquement inféconde et dépourvue de pragmatisme. Par ailleurs, aller « à marche forcée » à une élection de cette nature et de cette importance d’ avec une Cour constitutionnelle intentionnellement amputée en sa composition de deux de ses membres, renvoie du Togo une désastreuse image atypique.
Pensez-vous que les autres vous écouteront ?
Nous estimons qu’au sein de la classe politique issue de l’opposition togolaise, il nous incombe désormais de rationaliser nos rapports en hauteur, en responsabilité et en cohérence car les légitimes et normales divergences consubstantielles au débat politique démocratique et républicain ne sauraient être instrumentalisées et manœuvrées au détriment des intérêts supérieurs de la Nation qui commande la seule et unique stratégie politique qui vaille est l’union des forces vives de la Nation pour le changement.
À défaut, c’est le statu quo qui prévaudra s’agissant de la charge la plus haute fonction de la gouvernance politique du Togo.
Comment évoluent vos consultations avec l’opposition ?
Le contenu de nos discussions de fond tracera les lignes communes et les engagements politiques s’y rattachant. Sachant que le gouvernement reste arc-bouté sur ses manœuvres habituelles ainsi que sur sa constante mauvaise foi, seul un engagement résolu relativement je le répète au socle commun d’objectif à atteindre et qui devra lier l’ensemble des formations politiques issues de l’opposition togolaise est sur la table ! Sans finasserie, ni jérémiades ni ego démesuré. Songez donc ! L’union européenne et le système des Nations-Unies n’y seront pas, la société civile est écartée, aussi, il fut organisé par la CENI une sorte de cooptation complaisante des observateurs qui seront présents sur le terrain. En tout état de cause, les résultats devront être proclamés bureau de vote par bureau de vote, le code électoral ne l’interdit pas. Il s’agit en l’espèce, d’un point focal vers lequel doivent converger la mobilisation et la totale détermination de toute l’opposition togolaise et de toutes les associations de la société civile togolaise afin que pour le scrutin du 22 février, les suffrages exprimés par les électrices et les électeurs soient intégralement et authentiquement respectés.
Il y a aussi la question de la publication par les médias
Les médias et toute personne témoin du décompte doit pouvoir publier les résultats sortis des urnes en image ou sous toute forme quelconque que les moyens modernes de communication permettent pourvu que ce soit conforme à la réalité des chiffres. Les médias n’ont pas l’obligation d’attendre la CENI, ils devraient pouvoir relayer en temps réel les résultats affichés dans les bureaux de vote après les décomptes.
Tout cela suffit-il pour la transparence ?
Non. Nous travaillons à installer notre système de décompte. Il nous permettra de rassembler tous les chiffres et les sondages sortis des urnes au soir du scrutin afin de pouvoir disposer de chiffres confortés avant minuit. Nous y travaillons avec des experts français, africains et américains. Je ne peux pas en dire plus au stade actuel.
Vous bénéficiez de nombreux ralliements. N’est-il pas temps de discuter avec Jean Pierre Fabre pour une candidature concertée ?
J’ai toujours été ouvert à cela. N’oubliez pas que le MPDD est une formation politique d’essence socio-libérale, ouverte à la concertation politique, ouverte à la société civile et encline au compromis politique qui circonstanciellement transcende les clivages partisans. Je ne fais pas de ma candidature une obsession, je veux voir l’alternance au Togo le mois prochain et ceci s’avère hautement réalisable. Je reste ouvert à une rencontre face à face entre Fabre et moi.
Pouvez-vous compter sur la communauté internationale ?
Oui. Tout le temps. Elle n’est acquise à personne. Il suffit que les Togolais votent massivement pour l’alternance et on saura gérer la suite. J’entame d’ailleurs dans quelques jours une tournée diplomatique. Permettez-moi de ne pas en dire davantage pour l’heure.
On insiste sur votre passé, est-ce que Agbéyomé Kodjo a changé ?
La question n’est pas de savoir si j’ai changé ou non. Je regrette certains actes et certaines positions qui ont pu nuire à l’unité de l’opposition. J’en ai tiré toutes les leçons. À cet égard, je n’ai de cesse de demander pardon aux Togolais. Mais considérez que ma personne n’est pas un enjeu, regardez devant, regardez la situation de notre pays, regardez la détresse des populations. Par ailleurs, puis-je vous rappeler que l’histoire du Togo retiendra qu’en 2002, alors que j’occupais l’important poste de -Premier Ministre- donnant libre cours à mes convictions démocratiques, j’avais fait publier dans la presse nationale une Tribune que j’avais intitulée : -Il est temps d’espérer-. Cet acte à tout le moins hardi à l’époque, signa ma démission, ma descente aux enfers et je m’exilai en France. Voyez-vous moi, j’ai eu à l’époque, le courage et l’audace de poser à visage découvert et en fonction, un acte politique fort en privilégiant mes convictions démocratiques à une ambition politique, à des privilèges de fonction ou à un confort matériel. Chacun devra utilement s’en souvenir. En l’état, convenez de ce que je suis crédible politiquement.
Propos recueillis à Lomé par MAX-SAVI Carmel, Afrika Stratégies France