La polémique enfle en Allemagne depuis une semaine : en marge d’une manifestation du mouvement islamophobe Pegida, un policier en civil s’en est pris à des journalistes de télévision venus filmer la scène. Ces derniers ont ensuite subi un long contrôle de police. Depuis, l’Allemagne s’interroge sur les liens entre la police de ce Land de l’Est de l’Allemagne et l’extrême-droite.
- Pegida, la police saxonne et la liberté de la presse
Jeudi 16 août, 17h40. La scène se passe en marge d’une visite d’Angela Merkel à Dresde, dans la Saxe. Plusieurs centaines de personnes – des militants de l’AfD (extrême droite) et des membres du mouvement islamophobe Pegida – viennent manifester leur hostilité à la chancelière, crier des slogans racistes et scander leur sempiternel «Merkel muss weg», «Merkel doit partir». Une scène tristement banale, surtout lorsque la chancelière se rend dans ces villes de l’Est où l’extrême droite est très présente – le score de l’AfD dans la Saxe lors des dernières élections fédérales fut de 27%, un record national.
C’est alors que des journalistes de la télévision publique ZDF sont pris à partie par des manifestants sur l’air, comme de coutume dans ce genre de manifestations, de «Lügenpresse» – terme qui signifie «presse menteuse», et qui fleure bon le IIIème Reich puisque les nazis l’utilisaient volontiers pour qualifier les médias.
Jusqu’au moment où un manifestant, vêtu d’un bob aux couleurs du drapeau allemand, décide de héler des policiers qui se tiennent à proximité. Il accuse les journalistes de commettre un délit en le filmant, invoquant son droit à l’image. C’est alors que les policiers accèdent immédiatement à la requête du militant xénophobe, et retiennent pendant 45 minutes les journalistes, avec contrôle d’identité à la clef. L’un des reporters a ensuite diffusé sur Twitter et Facebook la vidéo suivante, accusant les forces policières saxonnes d’avoir agi comme de parfaits «exécutants de Pegida».
«C’est une ingérence injustifiable à la liberté de la presse», a réagi le président de l’Association des journalistes allemands (DJV), Frank Überall.
Quelques jours plus tard, la polémique enfle : on apprend que le manifestant de Pegida en question n’est pas n’importe qui. C’est un employé de la police criminelle du Land de Saxe, la LKA. Certes, il n’était pas en service ce jour-là, mais tout de même. On s’interroge : quels sont les liens entre la police saxonne et les militants d’extrême droite ? Sur Twitter fleurit le hashtag #Pegizei, contraction ironique de «Pegida» et «Polizei». Le ministre-président de Saxe, le démocrate-chrétien Michael Kretschmer (CDU), prend alors la parole et rejette ces accusations, qualifiant le hashtag #Pegizei «d’irresponsable». Selon lui, les seules personnes «sérieuses» dans cette histoire, ce sont les policiers. Ces propos suscitent aussitôt une vague de protestations : le politique est accusé de ne pas soutenir les journalistes, qui furent pourtant empêchés de faire leur travail.
Ce n’est pas la première fois que la police saxonne se montre complaisante avec des militants d’extrême-droite. Voici deux ans, le pays s’était ému de ce que les journaux ont appelé «la honte de Clausnitz». Rappel des faits : le 18 février 2016, un bus amène des réfugiés dans cette petite ville de la Saxe. C’est alors que l’on voit, sur une vidéo largement diffusée sur les réseaux sociaux, un «comité d’accueil» d’une centaine de personnes hurler «Nous sommes le peuple !» et «Dehors !» face à des femmes terrorisées, un garçon en larmes, des hommes acculés… Et des policiers parfaitement placides. L’un des «manifestants» mime une gorge tranchée. Et lorsqu’un réfugié, un adolescent, répond par un doigt d’honneur à cette foule haineuse, il est extirpé du bus par un policier. Comme si le criminel, c’était lui.
Cette affaire de Dresde a suscité de nombreuses réactions politiques, bien au-delà des frontières de la Saxe. Jeudi, en déplacement en Géorgie, Angela Merkel s’est montrée bien moins ambiguë que le ministre-président de Saxe : «Je veux ici expressément plaider en faveur de la liberté de la presse», a-t-elle déclaré, ajoutant : «Quiconque participe à une manifestation doit partir du principe qu’il peut être observé et filmé par les médias». Vendredi, sa porte-parole adjointe, Ulrike Demmer, affirmait que cette affaire devait être éclaircie par les autorités compétentes, ajoutant : «Naturellement, cette affaire est un signal pour tout le pays. Nous ne pouvons pas détourner le regard lorsqu’un employé du Land et des autorités de sécurité de ce pays se détourne ainsi des principes de liberté et de démocratie de notre société». Le vice-président des Libéraux (FDP), Wolfgang Kubicki, par ailleurs avocat de formation, en appelle à des sanctions disciplinaires vis-à-vis de cet employé. Arguant qu’il n’est pas anodin pour un employé de l’Etat d’appartenir à Pegida, en cela que le mouvement n’est pas seulement «une organisation qui veut s’exprimer par la protestation», mais qu’elle remet en cause «le système démocratique en Allemagne dans son ensemble». De son côté, la ministre de la Justice (SPD) Katarina Barley décrit l’incident comme «préoccupant».
Johanna Luyssen, Berlin