Bravant une répression qui a déjà fait vingt-neuf morts et la coupure, désormais, totale des communications, des manifestants ont afflué par milliers, mercredi 17 novembre, dans les rues de Khartoum, au Soudan, contre le coup d’Etat militaire. Après que deux manifestants ont été tués par balles, trois d’entre eux ont également été abattus par les forces de sécurité, a fait savoir un syndicat de médecins prodémocratie. Ce chiffre porte à cinq le nombre de morts pour cette nouvelle journée de mobilisation.
Depuis le putsch du 25 octobre, les militants ont appris à mobiliser par le biais de SMS plutôt que sur les réseaux sociaux, mais depuis mercredi à la mi-journée, ils ne peuvent même plus s’écrire sur leurs téléphones ou s’appeler. Le 25 octobre, le général Abdel Fattah Al-Burhane a rebattu les cartes d’une transition qui battait de l’aile depuis des mois. Il a fait arrêter la quasi-totalité des représentants civils au sein du pouvoir et mis un point final à l’union sacrée entre civils et militaires qui avait renversé en 2019, sous la pression de la rue, le dictateur Omar El-Bechir. Deux cent cinquante manifestants avaient péri lors de cette révolte.
Depuis le dernier putsch, vingt-neuf personnes ont été tuées, parmi lesquelles trois adolescents, note l’Unicef qui s’inquiète d’un usage « excessif » de la force contre des manifestants pacifiques. Les organisations de la société civile peinent de plus en plus à communiquer au monde le bilan des violences, même si un syndicat de médecins prodémocratie est parvenu, mercredi, à annoncer sur les réseaux sociaux deux nouveaux morts et des « dizaines de blessés par balles » à Khartoum.
Les forces de sécurité, elles, assurent ne pas ouvrir le feu et la télévision d’Etat a même annoncé l’ouverture d’une enquête sur la journée de manifestations de samedi, la plus meurtrière depuis le putsch avec huit morts, selon le syndicat de médecins.
Washington multiplie les appels du pied
Outre Khartoum, des défilés conspuant le général Burhane se sont également déployés mercredi à Port-Soudan (est), a constaté un journaliste de l’Agence France-Presse.
Alors qu’aucune solution politique ne semble en vue après le coup de force qui a mis à l’arrêt une transition battant de l’aile depuis des mois, Washington a multiplié les appels du pied. Après les sanctions, Washington a annoncé être prêt à soutenir de nouveau le Soudan, si « l’armée remet le train [de la transition] sur les rails », a prévenu le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken, lors d’une visite à Nairobi, au Kenya.
Son émissaire à Khartoum ces derniers jours, la vice-secrétaire d’Etat pour les affaires africaines, Molly Phee, a fait la navette entre civils – comme le premier ministre Abdallah Hamdok toujours en résidence surveillée – et militaires, notamment le général Burhane, pour tenter de relancer le projet de transition démocratique au Soudan, qui s’était affranchi, en 2019, d’un régime de dictature militaire quasi permanent depuis l’indépendance en 1956.
Mais le chef de l’armée semble ne pas envisager de retour en arrière : il s’est replacé à la tête de la plus haute institution de la transition, le conseil de souveraineté. Et a reconduit tous ses membres militaires ou pro-armée, remplaçant uniquement quatre membres partisans d’un pouvoir entièrement civil par d’autres civils, apolitiques.
« Non au pouvoir militaire » et « Le peuple a choisi les civils », répondent, mercredi, les manifestants qui accusent le général Burhane d’être un partisan de l’ancien régime, une alliance entre militaires et islamistes qui était restée au pouvoir durant trente ans.
Arrestations jusque dans les hôpitaux
Pour endiguer le mouvement, les rafles continuent et des centaines de militants, de passants ou de journalistes ont été arrêtés, à l’instar du chef du bureau d’Al-Jazeera, Al-Moussalami Al-Kabbachi, finalement relâché mardi. Selon un syndicat de médecins prodémocratie, les forces de sécurité sont même allées jusqu’à arrêter médecins et blessés dans des hôpitaux de la capitale.
Sur le plan politique, les militaires tardent à nommer les nouvelles autorités qu’ils promettaient depuis des jours de façon « imminente ». Mme Phee a plaidé pour le retour de M. Hamdok, dont les quelques ministres libres affirment être toujours l’unique cabinet « légitime » et refusent de négocier avec les généraux depuis le putsch du 25 octobre.
Le général Bourhane, lui, continue de promettre des élections en 2023 et assure n’avoir agi que pour « corriger la trajectoire de la révolution », comme il l’a redit, mardi, à Mme Phee.
Afrika Stratégies France avec Le Monde Afrique