Si le premier scrutin, plutôt artisanal, remonte à 1925 avec moins de 500 électeurs, le Bénin a depuis pris, notamment à partir de la conférence nationale de 1990, l’habitude des urnes. A la veille de législatives qui bousculent la démocratie et déchainent des tensions, un passage en revue des élections dans l’histoire de la démocratie béninoise s’impose. Des repères et quelques décryptages.
Ouidah. Abomey. Porto-Novo. Trois villes qui ont, aussi bien l’une que l’autre, une importance stratégique et symbolique dans la vie de Patrice Talon. Le président Bénin, au pouvoir depuis avril 2016, est né à Ouidah en 1958 d’une mère princesse venue d’Abomey puis épousera, dans les années 1980, Claudine Gbénagnon (mère de ses deux enfants, Lionel et Karen), originaire de Porto-Novo. Ces trois villes sont à l’avant-garde de l’histoire électorale au Bénin. Elles ont été les trois seules, à avoir organisé, en 1925, les premières élections pour la mise en place du Conseil administratif du Dahomey. Un cercle de notables chargés de représenter une Nation qui naissait à peine. On ne l’aurait jamais imaginé mais la première élection date de plus de trois décennies avant l’indépendance, une pratique plutôt rare dans les colonies françaises. Le Bénin fera l’exception, à l’instar des colonies anglaises. A la veille de législatives qui excluent l’opposition et auxquelles ne prennent part que deux blocs jumeaux assimilés au président de la République, Afrika Stratégies France fait une pause et revient sur l’histoire des élections. Dans un pays qui en a connues pas mal. Et qui en a fait la cheville ouvrière d’une démocratie vite devenue modèle !
Une démocratie construite autour des élections
Tout a commencé avec la création, au début des années 1890, d’un conseil administratif dahoméen basé à Ouidah. Il s’agit, avec l’autorisation du colon qui en sera l’instigateur, d’élire des chefs plutôt administratifs autour desquels des notables, choisis par eux, constitueraient la base de ce qui sera plus tard le pouvoir public autochtone. En 1925, la première élection. Un vote censitaire avec seulement 470 électeurs. 3 élus en résulteront, Augustinho Olympio, Casimir d’Almeida et Pierre Johnson, devenu célèbre à cause de son opposition, contrairement aux deux autres, aux colons. Des élections auront lieu tous les deux ans, notamment en 1928, 1930, 1932, 1934 et 1936. Deux journaux, La voix et le Phare du Dahomey apparaissent comme les deux pôles d’influences autour desquels se constituent les candidats, à défaut de partis politiques bien organisés. En 1934, les élus donneront la couleur des indépendances. Les élus sont tous proches du Phare du Dahomey et surtout, anti colons. En 1936, la donne change et des enjeux interviennent. Casimir d’Almeida bat Augustin Nicoué à Porto-Novo et Richard Johnson remporte face à Ambroise Dossou-Yovo à Ouidah. Jusque-là inconnu, Victorin Féliho, est élu à Abomey. La série d’élections de conseillers au Conseil administratif s’arrête. L’administration coloniale craint l’émergence d’une vague d’anti-colons qui basculent dans des exigences indépendantistes précoces. Il a fallu attendre 1945 pour que reprennent des scrutins dans la plupart des colonies françaises. Mais le Bénin a une longueur d’avance et surtout, une bonne expérience électorale qui aura bâti, d’une manière ou d’une autre, le socle démocratique qui en découlerait. Mais pour cela, il a fallu attendre 1990 et la fameuse conférence nationale. Avec un historique référendum qui fera adopter, à plus de 93% la constitution encore en vigueur ( et jamais modifiée) dans ce pays de 11 millions d’habitants. Tout comme dans la plupart des pays, quelques élections ont précédé l’indépendance. La première, en 1945, connaîtra l’élection d’un représentant des colons, Père Francis Aupiais et un des nationaux Sourou Migan Apithy. L’année 1947 ouvrira une série d’élections avec des élus, tous africains. Le 17 juin 1951, Hubert Maga (liste du Groupement ethnique du nord Dahomey, Gend) et Sourou Migan Apithy (liste d’Union Française) sont élus députés à la deuxième législature de la Quatrième République. Les choses deviennent plus sérieuses avec l’élection du 31 mars 1957 pour l’Assemblée territoriale et une large victoire au PRD de Sourou Apithy qui obtient la majorité des sièges. En 1958, cette position permet à Apithy de devenir le président du conseil de gouvernement avant de démissionner 5 mois plus tard pour être remplacé par Maga. Ce qui fera de ce dernier le premier président du Dahomey indépendant, en août 1960. Très vite, des coups d’Etat se mêlent aux élections s’ils ne les ont pas remplacées. La conférence nationale de février 1990 relance la démocratie et avec elle, le retour aux urnes.
Scrutins modernes dans l’histoire récente du Bénin
Le Bénin a l’habitude des élections. Le top a été donné, en quelque sorte, avec la conférence nationale des forces vives de la Nation, dans la foulée de laquelle sera installé le premier parlement démocratique de l’air moderne. Depuis 1990, le Bénin connaîtra, le 28 avril 2019, son 8e scrutin législatif et en mars 2016, sa 6e élection présidentielle, celle qui a connu l’arrivée au pouvoir de Patrice Talon. La plupart des élections, depuis la conférence nationale se passent pour le mieux et ont imposé le pays comme un modèle démocratique, notamment face à la fragilité électorale de ses voisins. Le Togo multiplie, depuis l’échec de sa conférence nationale, des élections frauduleuses et contestées qui ont souvent été sources de tensions et de violences. Le Niger s’habitue aux alternances après de longs règnes dictatoriaux. Quatre alternance au sommet de l’Etat en 30 ans, des élections municipales depuis 2002, le Bénin, qui n’a pas l’habitude des référendums a l’histoire électorale la plus dense des colonies francophones de la sous région depuis l’avènement de la démocratie. Avec des résultats rarement contestés. L’élection qui a sans doute le plus marqué les esprits est celle présidentielle de 1996. Alors qu’il est candidat à sa propre succession (et par ricochet organisateur du scrutin) Nicéphore Soglo, soutenu par la France à son arrivée au pouvoir en 1991, a fait dos à Paris. Jacques Chirac, fraichement arrivé à l’Elysée, a donc choisi de soutenir l’ancien dictateur, mis à l’écart par la conférence nationale. Mathieu Kérékou sera élu dans des conditions encore floues et pour la première fois sur le continent, un président sortant aura perdu une élection. Depuis, le respect de la limitation des mandats, l’une des plus anciennes des colonies françaises en Afrique est une réalité. Kérékou et Yayi ont bien voulu tenter une modification mais y ont renoncé à cause d’une opinion nationale active et d’une société civile intransigeante. Mais aussi, grâce à des institutions dont une cour constitutionnelle qui a toujours su se soustraire au contrôle du chef de l’Etat. Depuis l’élection de Patrice Talon, les Béninois sont de plus en plus nombreux à douter de ce que ces verrous constitutionnels soient maintenus. Le nouveau président est accusé par l’opposition d’avoir aboli l’indépendance des institutions. D’autant que les premières élections qu’organise le nouveau locataire du Palais de la Marina aura été la plus contestée de l’histoire du Bénin avec la participation de deux listes cousines qui lui sont toutes acquises.
2019, législatives de tous les risques
Elles peuvent être celles de toutes les régressions. Dans un pays à la pratique démocratique évidente et pour la première fois depuis 30 ans, l’opposition sera exclue d’une élection. « Elle a choisi de ne pas y prendre part » lance Jean-Michel Abimbola, député de la majorité. Elle dit pourtant avoir tout fait pour y prendre part et alors que les proches du chef de l’Etat défendent la détermination de Patrice Talon à voir l’opposition aux législatives, le parti du renouveau démocratique (Prd) accuse l’exécutif d’avoir « évité la compétition« . Le parti d’Adrien Houngbédji(président de l’assemblée nationale) qui ne fait pas partie des deux seules listes autorisées à concourir dit « payer pour son refus à se fondre dans l’une des deux branches de la majorité » comme précédemment voulu par Talon et crie à « la fin de la démocratie« . Quant au président de la République, il accuse l’opposition d’avoir choisi de ne pas être en conformité avec le nouveau code électoral. Faux ! Rétorque Léonce Houngbadji qui indexe le certificat de non-conformité. « Cette pièce n’est prévue nulle part dans la loi » insiste cet opposant en exil à Paris. Une chose est certaine, alors que la campagne électorale a pris fin depuis hier, il est plus que certain désormais, que seul l’Union progressiste et le Bloc républicain iront aux législatives de demain, donnant ainsi au président la totalité des sièges. Occasion en or pour celui qui a été éprouvé par le blocus de sa révision constitutionnelle par la législature sortante de toiletter à loisir la loi fondamentale. Une situation dénoncée par la société civile, l’Eglise catholique mais aussi des organisations internationales. Les médiations de la Communauté économiques des états de l’Afrique de l’ouest (Cedeao) et de l’Organisation des Nations unies (Onu) n’ont pas amené le président à faire usage de l’article 62 pour permettre, comme le souhaitait son prédécesseur Yayi Boni, à « tout le monde d’y prendre part ». Un précédent qui aura une énorme répercussion sur la démocratie d’autant que toutes les tentatives de contestations ont été réprimées par une armée qui a pris d’assaut les principales villes du pays. Mais dans la majorité, on relativise, « il aura une opposition au sein de la majorité » promet Abraham Zinzindohoué, proche de Talon. Sans convaincre !
Même si le scrutin arrive à avoir lieu sans l’opposition et sans incidents majeurs, la démocratie en aura pris un coup. Elle mettra du temps pour s’en remettre.
MAX-SAVI Carmel, Envoyé spécial à Cotonou, Afrika Stratégies France