Injustement emprisonnée par Patrice Talon depuis mars 2021, Reckya Madougou lance un appel, depuis la prison de Missérété (sud-est) où elle se trouve, à son parti. Sans rien perdre de son engagement pour la démocratie, celle qui fut principale candidate de l’opposition lors de la présidentielle de 2021 souhaite des législatives apaisées. Un message qui tombe à pic d’autant que par la volonté de l’autocrate Talon de contrôler le parlement, les derniers scrutins furent ensanglantés.
Le 22 décembre, alors qu’elle semblait être oubliée dans l’opinion publique, Reckya Madougou sort de son silence. Principale challenger au président autocrate Patrice Talon, elle a été jugée lors d’une parodie de procès par une Cour spéciale et purge vingt ans de prison à Missérété, au sud du pays. Depuis son lieu de détention, elle adresse un message écrit au peuple béninois, qui le porte ardemment dans son cœur pour l’injustice qu’elle subit mais aussi aux Démocrates, le parti politique dont elle fut la candidate lors de la dernière présidentielle ainsi qu’aux acteurs du scrutin prévu pour le 8 janvier 2023. Alors que les dernières élections au Bénin ont été, pour la première fois dans l’histoire du pays ensanglantée, elle les veut « apaisées » cette fois-ci. Un message au grand retentissement.
Un appel retentissant
Reckya Madougou qui est aussi une experte en marketing digital a une forte présence sur les réseaux sociaux. Depuis qu’elle est en détention, plusieurs pages créées pour sa cause ont pris le relai. Du coup, très rapidement, son message a eu grand écho sur le web avant d’être partiellement repris par quelques médias classiques courageux. D’autant que le système en place contrôle la quasi-totalité des médias, qu’il menace de suspension quand ils ne sont pas dociles. Il est donc évident qu’alors que la quasi-totalité des journaux émargent contre des honoraires de corruption à la présidence, le message ne fasse pas grandes unes le lendemain. Mais de nombreux sites internet, notamment à l’extérieur en ont fait leurs choux gras. Idem pour les médias du Togo, pays où jusqu’à son choix pour représenter l’opposition béninoise pour la dernière présidentielle, Madougou était conseillère technique et spéciale auprès du président Faure Gnassingbé. Depuis, alors qu’elle est devenue le symbole d’une lutte contre la dictature et qu’elle s’est opposée à la foi contre la grâce présidentielle ou toute libération contre compromission, sa voix porte loin, à chacune de ses sorties qui sont plutôt rarissimes.
Injustement en prison
L’été dernier, dans la foulée de la visite controversée d’Emmanuel Macron au Bénin et à l’occasion de la fête nationale béninoise du 1er août, des rumeurs de Palais ont fait écho d’une probable libération. Il n’en sera rien. Et pour cause, plusieurs sources concordantes indiquent que l’ex garde des sceaux ne « voudrait pas d’une grâce présidentielle » puisqu’elle « n’a rien à se reprocher » commente son entourage. Elle ne voudrait pas non plus, selon les mêmes sources dont l’un de ses avocats, « renoncer à sa lutte pour avoir la liberté« . Quoi de plus normal pour une femme dont l’engagement politique a pris la moitié de sa vie et dont la détermination est bien connue. Si elle est officiellement accusée de financement de terrorisme et de complot contre la sureté de l’état et condamnée à vingt ans de prison, il est de notoriété publique qu’elle paie pour son audace à affronter Patrice Talon. Au pouvoir depuis 2016, le président béninois a réussi à abolir les principaux principes démocratiques et à recaler son pays qui fut longtemps un modèle démocratique pour toute l’Afrique. Aujourd’hui, il tient toutes les institutions et organes. La justice, l’Assemblée nationale, la totalité des communes du pays en écartant systématiquement l’opposition de tous les scrutins.
Elections troublées, marque de fabrique « Talon »
Pour la première fois depuis l’élection de Patrice Talon, l’opposition pourra participer à des élections notamment les législatives de janvier prochain. En 2018, les élections avaient mis le pays à feu et à sang et occasionné plusieurs morts, une première dans l’histoire de ce pays de 13 millions d’habitants et où la démocratie était bien ancrée. Une fois élu, l’homme d’affaire qui ne veut ni laisser libre cours aux libertés publiques ni abandonner le pillage de l’économie nationale, dont il s’est fait grand acteur, a embrigadé les institutions. Son avocat personnel, Joseph Djogbénou, prend la tête de la cour constitutionnelle, ses sociétés s’emparent des régies financières puis il pousse lentement la presse à la soumission. Si cette fois-ci, il a autorisé l’opposition à participer au scrutin, dans les chancelleries occidentales et chez les observateurs de la politique béninoise, on pense qu’il s’est déjà donné les moyens, déloyaux, de les remporter.
MAX-SAVI Carmel, Afrika Stratégies France