Alors qu’il boucle la moitié de son mandat, le sulfureux homme d’affaire élu avec plus de 2/3 de l’électorat brutalise les fondamentaux démocratiques et séquestre les derniers relents d’une démocratie béninoise habituellement libertine et réfractaire. Depuis, plus rien ne compte pour Patrice Talon, si ce n’est sa famille, ses acolytes et ses complices d’affaires qui rongent l’économie jusqu’à la moelle. Autopsie d’un président obsédé par son narcissisme excessif et son outrecuident machiavélisme !
A Rome fin mai, courtois et délicat, sommé d’une élégance qui le caractérise, le président du Bénin écoute, presque copieusement le Pape François. On aurait donné Bon Dieu sans communion à ce chef d’Etat qui, quelques mois plutôt, a malmené la conférence épiscopale qui a peiné à obtenir avec lui une audience d’une demie heure au cours de laquelle Talon n’a pas pu lever l’ambigüité qui plane sur ses relations peu catholiques avec l’église locale de Banamè, une secte qui a le soutien infaillible de son épouse. La duplicité de l’homme, son ambivalence naturelle et son goût de la manipulation, le Souverain pontife en sait mieux que quiconque d’autant que peu avant l’audience, la Nonciature apostolique à Cotonou lui a fait parvenir des notes secrètes sur « un président qui ne fait que ce qu’il a en tête » et que même Dieu peinerait à dissuader d’aller au bout de ses dangereuses obséquiosités.
Garde-à-vous !
Lors de son dernier discours sur l’état de la Nation, l’ambiance était d’une docilité « bon enfant » au parlement. Les députés dont certains ont été des anciens ministres portant de lugubres casseroles n’ont pas osé lever le petit doigt. Puisque les dispositions réglementaires ne permettent pas de débattre avec le chef de l’Etat en marge de son discours, ils se sont succédé comme des enfants de chœur en aubes bigarrées, pour lui serrer solennellement la main, avec pour les uns un sourire narquois, pour les autres le sourire de la courtoisie et d’autres encore, celui de la culpabilité. Car, en deux ans et demi, ils l’ont tous compris, le président ne veut être ni critiqué, ni contesté et surtout, il ne faut pas lui désobéir. Hinnouho Atao, en sait quelque chose. Sans que son immunité parlementaire ne soit levée, il s’est vu recru à la prison civile de Cotonou où, en uniforme de détenu, il fait pieds et mains pour bénéficier d’une indulgence présidentielle qui tarde à venir. Lehady Soglo, fils de l’ancien président béninois en a appris à ses dépens. Sa taille de 2 mètres et ses yeux de félins ne lui permettent pas de se dissiper dans les transports publics à Paris où exilé, il vient, comme d’autres anciens dignitaires de perdre son passeport. Les récriminations de sa prolixe députée de mère, Rosine Vieyra, et les négociations sous cap de son ancien chef d’Etat de père, Nicéphore, n’y feront rien. Après l’avoir destitué de la tête de la capitale économique du Bénin, Talon entend le tenir loin. « Il est très arrogant, ça lui servira de leçons » chuchote, sadique, le Jupiter béninois à ses visiteurs de soir. Chez Talon, Dieu n’existe pas et le pouvoir s’exerce à l’abus entre bonapartisme d’image et napoléonité scélérate. On ne pardonne qu’à celui dont on a encore besoin. Depuis, aucun parlementaire n’ose dire non, sauf quelques résistants qui n’ont pas quelque résidu de cadavre dans leur placard. Et dans un pays où corruption et délinquance économique sont religion d’Etat, peu sont immaculés. Tous les autres sont au pas. Le truculent syndicaliste Mètognon en sait quelque chose, l’ancien ministre de l’économie Komi Koutché, depuis exilé aux Etats Unis n’en ignore rien. Et de Valentin Djenontin à Idrissou Bako, tous deux parlementaires à l’immunité fébrile et bientôt levée, aucun n’échappera à la règle de cette antienne d’Horace, « l’ennemi, ça se tue sans pitié ». Depuis, même la société civile est prudente. Le peuple d’habitude bouillant et frondeur est plongé dans une torpeur dont les températures rythment au gré de l’humeur présidentielle.
Démocratie en abolition
La cour constitutionnelle, ultime garant de la démocratie est sous l’éteignoir. Aux mains de Joseph Djogbénou, disciple assidu qui ne raisonne plus qu’avec les neurones égarées du président. Depuis l’installation de la nouvelle équipe, elle multiplie la remise en cause si ce n’est l’annulation pure et simple de plusieurs décisions importantes de l’équipe défunte. Pour plaire au président à qui l’ancien garde des sceaux devenu un seau à sots a déjà garanti une victoire au premier tour lors de la prochaine présidentielle, la Haac n’a pas attendu des injonctions avant de se mettre aux pas du chef de l’Etat. Son président, Adam Boni Tessi ne manque aucune occasion d’interdire tout média « opposant », ce qui fait de la presse béninoise qui émarge dans sa presque totalité au Palais, un ensemble de bulletins d’informations au service du président. Pour avoir tenté de garder son indépendance, La Nouvelle Tribune est rayée de l’espace médiatique. Embourgeoisée par des réformes juteuses et des avantages succulents, l’armée ne fait plus peur qu’à ses dernières sentinelles, ébahies dans des guérites aux entrées de camps militaires. Détenant le pouvoir exécutif, ayant à ses pieds le pouvoir législatives au point de faire passer comme une lettre à la poste son code électoral taillé sur mesure, disposant du lot de milliards nécessaires pour s’arroger le pouvoir financier et clouant le bec au 4e pouvoir (les médias), Talon n’a à craindre qu’un coup de force de la nature. Il n’a d’égard pour personne d’autant que la plupart des hommes politiques ont été engraissés dans son oratoire de manigance sous Kérékou et Yayi. En attendant, le Bénin chute dans les divers classements mondiaux liés à la démocratie et à l’état de droit au point où, avec la taxation à l’excès de l’accès à l’internet, reporters sans frontières et Internet sans frontières en sont ouvertement inquiets.
Issues improbables
Habitué à une opposition syncrétiste qui mange dans les marmites du Palais présidentiel, le Bénin a du mal à faire émerger une vraie force alternative. Ajavon, hasardeux milliardaire à la générosité pétillante semble mis à l’épreuve par des redressements fiscaux constants. Yayi Boni ne veut pas sortir ses milliards dissipés en Afrique du Sud et aux Emirats, Candide Azanaï n’a que les idées et est sans sous, Soglo en bon vieux pingre fait peu de calculs alors que 8 décennies de vie lui arrachent des plumes et de l’énergie, Komi Koutché, une alternative acceptable ne sait pas quand il reviendra au pays. Il ne reste que Lionel Zinsou. Economiste fin et percutant, visionnaire constant et nanti d’une ambition sincère et presqu’innocente, ce « français » (il a la double nationalité) est l’unique recourt pour 2021. S’il n’intervient pas, la démocratie sera inhumée, bafouée et le pays rendu invivable. Sauf que montant de grotesques coups contre lui avec la fameuse histoire de prêts de 15 milliards qu’il aurait contractés chez Ebomaf, un autre insassiable truand, Talon le tient à l’œil. En attendant, Patrice Talon, Joseph Djogbénou, Olivier Bocco, Johannes Dagnon, Romuald Wadagni et dans une moindre mesure, Agbénonci peuvent, avec la complicité de Adrien Houngbédji, patron du perchoir, savourer le champagne de requiem d’une démocratie devenue leur dernier épouvantail.
MAX-SAVI Carmel*, Contributeur libre
*Diplômé de l’Ecole Supérieure de Journalisme (ESJ-Paris), MAX SAVI Carmel est journaliste d’investigation et écrivain béninois. Collaborateur de multiples médias français, il est contributeur libre à Afrika Stratégies France.