Arrivé au pouvoir à l’inattendu, il y a cinq ans, l’homme d’affaire aura quelques lugubres mérites. Il a aboli la démocratie, instauré un régime de terreur, mais surtout de folie pour ce schizophrène narcissique qui ne voit le monde qu’à travers les prismes de ses limites, de ses obsessions et de ses frustrations de vieux gamin. Pathologiquement lunatique, il ne lâche rien et ne se sent en sécurité qu’en maître absolu, craint et vénéré, un John Bri bonapartien qui veut, toujours et éternellement, tenir les autres à ses pieds. Le seul fait de perdre le contrôle d’une petite localité du pays (une commune, une circonscription électorale) le met hors de lui et alimente chez ce sexagénaire à qui les études n’ont pas réussi, un fourmillement colérique auquel il répond par la violence, la brutalité jouissive qui anime « les petits chefs ». On dit que chaque peuple a le chef qu’il mérite, ici, le chef a un peuple qu’il n’a jamais mérité et la peur de perdre son illusoire puissance lui fait perdre le contrôle de lui-même et des rares moments de lucidité qu’il reste à ce dictateur sans pareille.
Talon, ce n’est pas un stratège fin et stylé comme il en donne l’apparence. Ce n’est pas un despote éclairé (il n’y a rien d’éclairé dans le despotisme), encore moins un révolutionnaire qui, à l’instant de J. J. Rawlings, ancien dirigeant du Ghana, veut construire par l’épuration du pire un monde meilleur. C’est un enfant que la nature a gâté par des millions facilement gagnés et que ses complexes ont exécré dans l’absolu du mal. Il n’est content et heureux qu’en dominant les autres, même les plus fragiles, ceux par rapport à qui sa supériorité ne fait aucun doute. Mais pour un mégalo de ce type, il n’est pas suffisant de se savoir supérieur, il est capital de s’assurer en permanence que les autres resteront inférieurs à soi, ad vitam aeternam. Ainsi donc, la moindre contestation est réprimée dans le sang, sans pitié et sans humanité. Il a maintenu son prédécesseur en résidence surveillée, privé de médecin et de médicaments pendant près de deux mois. La mort de Yayi Boni, en ce temps là, n’aurait en rien touché sa conscience émoussée par la futilité de la triste gloire, car à force de jouir de ses victoires éphémères et égocentriques, il a perdu toute sensibilité et il ne lui reste qu’à ruminer la lie de sa brute bestialité.
Alors que toutes les conditions sont réunies pour une présidentielle à haut risque, avec en amont des violences qui ont embrasé tout le pays, le roi du coton n’entend pas raison. Il veut écraser les derniers viviers de stabilité de ce pays de 11 millions d’âmes qu’il qualifie publiquement « d’État de pagaille ». Et veut, fou de lui, faire succéder aux châtiments de la « récalcitrance » d’un peuple qui n’en peut plus de lui, celui de la barbarie, vile et lâche. Les massacres! Quelle tristesse ? Quelle abomination pour cet élégant homme à qui ont donnerait la bonne foi sans aucun doute ?
Les images tournent en boucle sur les réseaux sociaux et certains médias locaux. Déjà, il a le contrôle de l’essentiel des médias nationaux. De gré ou de force, à l’exception de quelques rares, ils passent à la caisse mensuellement, en contrepartie d’un soutien aveuglé au régime. Ils ont réussi, au fil des années, à croire avec le président fou, que tout va bien dans ce pays dont le principal trésor fut, trois décennies durant, la démocratie, l’Etat de droit et des institutions fiables, en tout cas, si peu contestées. Depuis, plus rien de tout ça. La Cour constitutionnelle est aux mains de Joseph Djogbénou, avocat personnel du président béninois et la Cena (Commission électorale nationale autonome) est entièrement contrôlée par les hommes du président.
Mais depuis que Talon a réussi à faire passer sa révision constitutionnelle comme une lettre à la poste, une nouvelle étape a été franchie dans sa détermination, mortifère et obsessionnelle, à ne rien laisser lui échapper. Grâce à des gymnasties et combines anti-démocratiques, il a le contrôle du parlement dans sa totalité ainsi que de toutes les municipalités de son pays. Cet aigri qui a été si longtemps frustré par le sa stature de faiseur de rois abuse de son statut de roi, triste monarque qui veut marcher dans le sang de ses sujets et qui, à l’occasion, en saisit les cadavres comme de profanatoires trophées pour ce descendant de colon qui, de Pierre Athanase Talon, son aïeul, garde quelques goutes de sang, dominateur et vindicatif.
Quelle souffrance pour ces grands hommes qui ont sacrifié leurs ambitions, leurs carrières et tant d’opportunités pour construire ce beau pays ? Quelle douleur pour chaque béninois qui voit se démolir, sous ses yeux, spectateur impuissant et révolté, cette belle démocratie ? Quelle colère fait tourner et retourner Mathieu Kérékou, père de cette démocratie, dans sa tombe ? Quelle cruauté vit Nicéphore Dieudonné Soglo d’être témoin de la déconstruction machiavélique et perverse de son œuvre ? Il a perdu les élections en 1996 et alors que même l’armée était prête à le maintenir, il est sorti par la grande porte, reconnaissant sa défaite.
Dans les tréfonds de nos entrailles, au plus profond de chaque béninois, bouillonne comme une larve de volcan ce sang de Béhanzin, de Guézo, de Bio Guéra… Quelle trahison ? Quelle abomination ? Que d’un autre Talon, Dieu garde l’Afrique pour toujours.
Triste Bénin, éploré Dahomey, tu t’en remettras !
MAX-SAVI Carmel, Journaliste