Il est 18 heures passées ce lundi 24 janvier et Prosper, 19 ans, ne tient plus en place. Ce fan de ballon rond et sa mère se dirigent vers le stade Olembé de Yaoundé, la capitale, où doit se tenir la rencontre entre le Cameroun et les Comores, un match des huitièmes de finale de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) de football.
Mais, à l’entrée sud de cet édifice de 60 000 places, « il y a déjà trop de monde, beaucoup trop de monde », se souvient cet élève du lycée bilingue de Nkosoa. Les policiers peinent à contenir les supporteurs qui crient et se bousculent. La pression est telle que la bousculade vire au drame.
« Des personnes tombaient. Elles étaient inconscientes. Certaines sont mortes. D’autres leur marchaient dessus », raconte Prosper qui s’en sort grâce à sa force physique. Mais sa mère est « compressée » dans la foule. Emmenée à l’hôpital central de Yaoundé, elle souffre de douleurs à la tête et à la poitrine.
Dans un communiqué paru ce mardi matin, René Emmanuel Sadi, ministre de la communication et porte-parole du gouvernement camerounais, annonce qu’au moins huit personnes sont décédées dans la bousculade et trente-huit autres ont été blessées, dont sept gravement.
« C’est la folie »
Les vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux montrent des corps inertes, couchés à même le sol, dans un centre hospitalier de Yaoundé. Tout autour, des cris et des pleurs éclatent. « Je t’en supplie. Maman compte sur toi, mon frère », implore une femme. Plus loin, une autre, agenouillée, tient un homme entre ses bras. Sur des photos relayées abondamment sur la Toile, des secouristes font du bouche-à-bouche à des victimes.
« Quand les Lions [Lions indomptables, nom de l’équipe nationale camerounaise] jouent, c’est la folie. C’est ce qui a créé la bousculade à Olembé », déplore une source policière qui avoue que les forces de sécurité, « en sous-effectif », « ont été très vite débordées » par la foule. A l’en croire, depuis l’annonce de la « gratuité » des billets pour entrer au stade, « de nombreux Camerounais viennent. Dans les quartiers, on leur dit que l’entrée est gratuite. Ils se mélangent à ceux qui ont acheté leurs tickets. Chacun veut entrer ».
En effet, à l’exception du match d’ouverture le 9 janvier et des rencontres qui ont eu lieu à Garoua dans le nord du pays, les premiers matchs de la CAN ont montré des gradins vides. Face à cette situation, le gouvernement a annoncé le 15 janvier, l’arrêt des activités scolaires, académiques et professionnelles à partir de 13 heures pour inciter les élèves, étudiants et fonctionnaires à remplir les stades.
Des milliers de tickets d’entrée sont depuis distribués gratuitement. Quant aux mesures édictées par la Confédération africaine de football (CAF) et les autorités camerounaises – vaccination contre le Covid-19 et test négatif obligatoires –, elles ont été officieusement assouplies.
« Le poids de tout ce monde »
Le phénomène ne touche pas seulement Yaoundé. « Allons tous massivement au stade Japoma (Douala) », exhortait récemment Samuel Ivaha Diboua, le gouverneur de la région du Littoral, au cours d’une cérémonie dans la capitale économique. Dans les établissements scolaires, les responsables distribuent des billets d’entrée gratuits aux élèves et enseignants. Prosper et sa mère enseignante en ont bénéficié.
Parmi les victimes, blessées ou décédées, figurent de nombreux fonctionnaires comme Vanessa, 30 ans, mère de deux enfants et enseignante au lycée d’Obala, qui souffre de douleurs à la poitrine, à la tête et au bassin. Son amie Véronique, elle, est morte.
« Je tenais ma copine par la main. Elle n’a pas pu supporter le choc, le poids de tout ce monde », raconte en pleurs Vanessa qui a été secourue par un policier. « Quand on l’a sortie de la foule, on a dit que son pouls battait encore un peu », poursuit l’enseignante. Conduite à bord d’une voiture de police, elle décédera à l’hôpital. « Le problème n’était pas les tickets ou les tests. Le problème était lié à la foule », sanglote Vanessa.
Lundi, une demi-heure avant la fin du match et malgré la bousculade survenue plus tôt, des supporteurs camerounais continuaient à vouloir entrer dans le stade coûte que coûte. Lorsqu’une grille s’ouvrait – pour laisser partir du public –, s’ensuivait immédiatement un mouvement de foule. Ce soir-là, l’arène d’Olembé était presque pleine.
Difficile de dire si la jauge des 80 %, instaurée lors les matchs de l’équipe du Cameroun (60 % pour les autres équipes) pour faire face à la propagation du variant Omicron, a été respectée. Dans la foule, d’après deux témoignages recueillis par Le Monde Afrique, certains n’avaient pas de tests.
« Afin que toute la lumière soit faite sur cet incident tragique », Paul Biya, le président de la République, a demandé l’ouverture d’une enquête. Lors d’une conférence de presse exceptionnelle, mardi 25 janvier à Yaoundé, Patrice Motsepe, patron du foot africain, a indiqué que le quart de finale prévu dimanche à Yaoundé sera déplacé dans le second stade de la capitale camerounaise, le stade Ahmadou Ahidjo. Il a également annoncé qu’il attendait un rapport sur les circonstances de la tragédie pour vendredi.
Afrika Stratégies France avec Le Monde Afrique