L’institution régionale tente une énième tentative de sortie de crise au Mali, sans succès. Deux précédentes interventions de chefs d’Etat étaient restées infructueuses. Une situation qui relance le débat sur la légitimité et les capacités de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) à régler les crises politiques auxquelles font face les pays membres. La duplicité de l’organisation suscite méfiance et hostilité au sein d’une opinion qui ne lui fait plus confiance.
Lundi 27 juillet. La totalité des 15 chefs d’Etat de pays membres de la Cedeao était en vidéoconférence sur la crise malienne. Elle a permis d’obtenir la suspension de siège en ce qui concerne 31 députés maliens dont l’élection a été remise en cause. L’opposition exige le départ du président Ibrahim Boubacar Kéïta (IBK). Ses soutiens, Macky Sall (Sénégal), Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire) et Alpha Condé (Guinée Conakry) sont embarrassés alors que les présidents Mahamadou Issoufou (Niger) et Patrice Talon (Bénin) ne semblent pas hostiles à l’idée d’une présidentielle anticipée, seule issue pour l’imam Dicko, chef de file de la contestation. Si la majorité des chefs d’Etat de la Cedeao n’entende pas évoquer le départ du président, dénonçant « un coup d’Etat civil », la crédibilité de l’organisation communautaire justifie en partie les méfiances. Elle est soupçonnée de soutenir systématiquement les chefs d’Etat et d’être une base-arrière institutionnelle pour les dictatures.
Cuisants échecs
La Cedeao a connu ces dernières années de nombreux échecs sur le continent. Plus récemment, elle n’a pas pu empêcher Faure Gnassingbé de briguer au Togo, contre toute volonté populaire, un 4e mandat alors que sa dynastie est au pouvoir depuis un peu plus d’un demi siècle. En Guinée Conakry, elle peine à suivre de près Alpha Condé. Au pouvoir depuis 10 ans, l’ancien opposant devenu despote fait les pieds et les mains pour rempiler pour un 3e mandat. L’organisation sous-régionale n’a pas non plus réussi à obtenir du Nigeria, la fermeture depuis août 2018 de ses frontières avec le Niger et le Bénin, tous membres de la Cedeao. Au fil des années, l’institution est apparue comme un syndicat au service des chefs d’Etat. Depuis, ils sont de plus en plus nombreux les leaders d’opinions qui lui dénient toute crédibilité. Si elle a réussi plus ou moins la circulation des personnes et des biens ainsi que la mise en circulation d’un passeport communautaire, la Cedeao enchaine des échecs sur le plan politique. Une situation d’autant plus inquiétante que les puissances occidentales (Etats-Unis, Allemagne, France, l’Union européenne…) évite de prendre les contre-pieds de ses choix.
L’indomptable Mali
La crise malienne dure depuis une année. Elle est la résultante d’un ensemble de conjonctures sécuritaires, économiques et politiques. Si, depuis son arrivée au pouvoir et malgré le nationalisme ambiant sur lequel il surfe pour mobiliser l’opinion, Ibrahima Boubacar Keita n’arrive pas à juguler le fléau de terrorisme qui mine une grande partie de son territoire grand comme la France, la dernière élection a été la goute d’eau qui a fait déborder le vase. Elle n’a pas pu se dérouler dans tout le pays et l’organisation, en amont et en avale a été chaotique. Alors qu’il est en campagne dans sa région d’origine, Soumaïla Cissé, le principal opposant a été pris en otage par des groupes islamistes. Le gouvernement n’a pas pu obtenir sa libération, mais il s’est persisté à aller jusqu’au bout de son obstination électoraliste. Finalement, les populations semblent en avoir le ras-le-bol. L’imam Mahmoud Dicko, longtemps chef de la communauté musulmane du pays a réussi avec des partis politiques à déclencher des mobilisations qui ont fait tomber la tête du fils aîné du président dont les images en virée luxueuse à Ibiza ont cristallisé la colère populaire. Karim Keîta a dû quitter la très inefficace Commission défense et sécurité du Parlement qu’il présidait. Depuis, la démission du chef de l’Etat a été exigée par les manifestants. S’ils semblent laisser la voie aux discussions, les opposants du président tiennent à obtenir le départ de IBK sinon une élection présidentielle anticipée, seulement deux ans après celle de 2018 qui a connu la réélection contestée du chef de l’Etat.
La Cedeao pourquoi faire ?
La question vaut la peine d’être posée d’autant qu’elle est l’une des principales institutions régionales. Elle se déchire depuis plusieurs années sur le projet de monnaie unique qui ne cesse de faire l’actualité. L’institution d’Abuja peine à garantir le principe de solidarité et enregistre de plus en plus de divisions en son sein. Alors, la question de son utilité se pose de plus en plus dans l’opinion des pays concernés. Beaucoup ne lui font pas confiance et souhaitent même sa disparition, à défaut, « sa réorientation« . Si pendant les premières années qui ont suivi sa création en 1975, l’institution a réussi sur plusieurs terrains glissants d’intégration, loin devant les autres regroupements régionaux du continent, elle prend de l’eau depuis une décennie. Et les guerres de leadership entre Buhari (Nigeria) et Ouattara (Côte d’Ivoire) n’arrangent rien.
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