CHINAFRICA : Défis et dessous de cartes

40 dirigeants africains, 300 ministres, 1 millier d’hommes d’affaires et d’opérateurs économiques africains se bousculent à Pékin pour la clôture, demain, du 3e forum sino-africain placé sous le signe de l’investissement avec un plan triennal 2018-2021. Le désintérêt des partenaires traditionnels du continent ravive les ambitions de la Chine dont le président lie le destin « solidement » à celui de l’Afrique.

Xi Jiping a mis la bouchée double. Il a reçu personnellement, avec une forte délégation chinoise, chacun des chefs d’Etat africain pour « une large séance de travail » en amont. Ce qui a contribué à entretenir une ambiance de confiance rare lors des sommets entre les puissances occidentales et les pays africains. Mohamed VI, Macky Sall, Alassane Outtara, Mahammadu Buhari, Beji Caid el Sebsi, Paul Biya, Cyril Ramaphosa, Ali Bongo, Paul Kagamé, Idriss Deby, ils sont tous au rendez-vous. La fragilisation en douce de l’influence économique et politique des puissances coloniales renforce la présence chinoise d’autant que Pékin est moins regardant sur la démocratie et les droits de l’homme. Ses dirigeants successifs depuis deux décennies ont réussi, chacun à sa manière, à créer des liens particuliers avec les dirigeants africains qui multiplient des visites officielles au pays de Mao. Placé sous le thème de la solidarité, ce sommet aura un volet très économique avec une grande rencontre prévue en marge, entre les industriels et entrepreneurs africains et chinois.

Grande mobilisation africaine

Aucun autre rendez-vous n’aura autant mobilisé l’Afrique. Tous les 54 pays sont représentés, même les rares qui entretiennent des relations diplomatiques avec Taïwan notamment le Swaziland  (dont le roi, Mswati III sera absent mais qui est représenté) et l’Afrique du Sud qui héberge deux bureaux de liaisons avec Taipei. Ce qui se justifie par la forte présence diplomatique de l’Empire du Milieu sur le continent avec 52 représentations. Pour une fois, la Chine met de côté les querelles diplomatiques, elle vise loin. Avec deux grands piliers, l’Onu et l’UA dont le secrétaire général, Antonio Guterres et le président de la commission Moussa Faki sont des invités d’honneur. Pékin veut un plan de développement solide (déclaration de Pékin) et convaincant qui fasse une jonction réaliste entre l’agenda onusien 2030 de développement durable et celui 2063 de l’Union africaine. Une centaine de sociétés chinoises (dans les Bâtiments Travaux Publics et les mines essentiellement)  présentes en Afrique sont de la partie ainsi que plus de 900 entrepreneurs et industriels africains. « Ce rendez-vous est avant tout celui de l’Afrique » a déclaré Paul Biya. Tout comme Paul Kagamé du Rwanda aussi présent, le président camerounais qui ne participe aux sommets internationaux qu’exceptionnellement et qui est candidat à sa propre succession pour un 8e mandat n’a voulu rater l’occasion pour rien. Preuve de l’influence de la Chine en Afrique.

Une présence dopée

60 milliards de dollars d’investissements promis. Comme pour lancer un appel aux pays occidentaux qui peinent à atteindre l’objectif de 0,7% de leur PIB qu’ils se sont eux-mêmes fixés pour l’aide au développement. La Chine cible les domaines  prioritaires pour les Etats africains notamment l’agriculture, les infrastructures routières, l’industrie, la santé, l’éducation et la lutte contre la pauvreté. « Nous nous sentons écoutés » par la nos amis Chinois a fait remarquer Patrice Talon lors de la séance de travail entre Jiping et la délégation béninoise. Le Bénin qui a confié la construction de son nouvel aéroport, joyau fort du Plan d’action du gouvernement (Pag) à une entreprise chinoise a déplacé ses ministres des finances ainsi que celui des travaux publics. Une opportunité d’autant plus stratégique que Talon peine à démarrer les grands projets du Pag, faute de financements. La Chine, c’est aussi une forte présence dans les pays les plus improbables du continent comme la Somalie mais aussi le Lesotho ou l’Erythrée, des Etats dont on entend peu parler dans les coopérations bilatérales avec les pays développés. Premier investisseur en termes de capitaux devant la France et les Etats Unis, les entreprises chinoises accordent une large part à des employés locaux, 90% de leurs mains d’œuvre en 2017. Si le commerce sino-africain a été  multiplié par 20 en en deux décennies, les entreprises chinoises génèrent dans le seul secteur manufacturier qui représente 12% de leurs activités, 500 milliards de dollars par an. Qui pis est, en ce qui concerne les infrastructures, 50% du marché des constructions sont aux mains des Chinois.

Le Togo organise son sous-sommet à Hangzhou

Le Togo organise un sous-sommet, l’occasion pour Lomé qui s’est sensiblement rapproché de Pékin ces dernières années de déplacer son Plan national de développement (Pnd)  à Hangzhou pour quelques jours. Avec le business forum qu’il organise dans la province de Zhiejan en marge du sommet, ce pays de 8 millions d’habitants secoué par une méga crise politique depuis un an, veut s’imposer comme point focal du Belt and Road (route de soie littéralement), cadre et initiative stratégiques de développement que porte la Chine. A la suite d’un travail de lobbying en amont, Faure Gnassingbé qui aura été reçu par deux fois en 3 jours par Xi Jiping, mise sur toutes les opportunités.  Alors que la situation tendue dans son pays lui rétrécit des portes en Occident, Emmanuel Macron se refusant pour l’instant de le recevoir, la Chine est une débouchée stratégique. La rencontre de Hangzhou permettra au Togo de mobiliser une partie des 7 milliards d’euros indispensables à l’ambitieux Pnd dont l’un des instruments, le Mifa est déjà opérationnel. Si les 500.000 emplois et la croissance économique à 7,6% en 2022 ont convaincu le FMI (Fonds monétaire international), rien n’est encore gagné quand 80% des PME/PMI se disent « pénalisés » par la crise. Ce forum bipartite de Hangzhou devient un défi pour le Togo qui a vu l’inflation grimper à 1,2% cette année contre 0,8 en 2017 du fait de la morosité économique engendrée par la crise politique.

Perspectives !

La plupart des chefs d’Etat sont arrivés en Chine plusieurs jours avant le 03 septembre, date d’ouverture du sommet. Et pour cause, la cagnotte, plus de 60 milliards de dollars, est colossale et chacun espère rentrer avec ses promesses. Déjà principal partenaire au développement, le dragon de l’Asie confortera sa position d’ici 2021 où se tiendra le prochain sommet. Xi Jiping devrait, d’ici là, multiplier des visites sur le continent et notamment, lancer quelques grands projets régionaux impliquant plusieurs pays tout en insistant sur des initiatives « proche de la réalité et au service des populations ». Face aux critiques sur la dette colossale d’Etats africains à l’égard de la Chine, 113 milliards de dollars, il a annoncé 15 milliards de dons et de prêts sans intérêts d’ici 2021 et promis un réaménagement des plans de remboursement pour ne pas étouffer les économies africaines dont plusieurs traverse des périodes délicates. Ce sommet sonne définitivement l’arrivée de la Chine en Afrique. « Une nouvelle ère que l’histoire n’a jamais connu s’ouvre pour nos peuples » s’écrie Wang Qishan, le vice président de la Chine depuis le 17 mars dernier, qui aura, tout comme Xi Jiping, reçu presque toutes les délégations.

redaction@afrikastrategies.fr

 

 

 

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