*Après la première chronique qui fut un succès, Afrika Stratégies France a demandé, en collaboration avec Le Tabloid et Togmedia24, au truculent écrivain togolais de signer, au moins pour chacun des trois prochains weekend-ends (espérant que la pandémie ne sévira pas trop longtemps) une chronique sur le confinement. Non pas seulement sur la pandémie mais aussi et surtout, sur sa vie d’écrivain, confiné, hélas en Allemagne, loin de son pays d’origine. Il s’agit de montrer, de façon décalée mais aussi amusante, le confinement vécu de l’intérieur, par un écrivain qui, au-delà, raconte, écrit, décrit, fait vivre cet « isolement de soi » qui est aussi un repli de survie dans un monde dépassé par la frayeur du COVID-19. Ce texte est publié simultanément par Le Tabloid, Togomedia24, Tribune d’Afrique et Afrika Stratégies France. Bonne lecture !
Supposons un instant que le virus corona soit visible à l’œil nu ; quelque chose de lumineux par exemple, comme ces lucioles que l’on voit dans la nuit africaine. Nous n’aurions pas besoin de nous confiner à ce point, de porter un masque, puisque nous serions à même de l’éviter et surtout de le combattre avec précision dans l’espace. Nous n’aurions sans doute pas besoin d’entrer dans des pharmacies pour trouver de quoi le pulvériser. J’enfonce une porte ouverte en parlant ainsi, je sais, mais je souhaite observer par là à quel point vivre ou exister nous contraint d’être dans la fiction ou dans l’imaginaire. Comme autrefois, nous sommes, ces jours-ci, des aveugles traqués par de microscopiques ennemis que nous ne pouvons qu’imaginer disséminés, répandus partout. Éviter de se serrer la main, de se faire la bise, de se retrouver à plusieurs, ainsi de suite relève de la précaution. Ce sont des réactions à ce que nous imaginons possible logiquement plus que des actes dus à la certitude que les autres et les lieux que nous fréquentons sont contaminés. Un historien béninois du nom de Félix Iroko a écrit un très bon ouvrage sur l’histoire des moustiques en Afrique de l’Ouest à l’époque précoloniale ; il est intitulé Une histoire des hommes et des moustiques en Afrique, et c’est édité chez L’Harmattan. Vous y apprenez, entre autres, qu’à certaines périodes de l’année, les nuits étaient si invivables à cause des moustiques que nos ancêtres ont inventé des rites de danses nocturnes qui, en vérité, visaient à les faire « bouger » toute la nuit afin de ne pas être piqués par les moustiques. Nous savons bien que le moustique, sournois et cynique, attend que nous soyons au repos pour nous piquer. Félix Iroko compte pas moins d’une vingtaine de divinités créées pour « combattre » ce fléau saisonnier et la forte mortalité qui va avec. Dans la nuit africaine, nos ancêtres ne comprenaient pas d’où provenaient ces minuscules et tenaces ennemis et cela provoquait l’imagination humaine plus que la vue, par exemple, d’un lion ou d’un éléphant. A l’heure actuelle, nous sommes comme dans l’obscurité, nous aussi. Ceux qui viendront après nous au cours des prochains siècles diront : « En 2020, face à la pandémie du COVID-19, dans le monde entier, les humains ont cessé toute activité, ont accumulé des provisions et se sont claquemurés pendant des semaines. Ils disaient que cela n’était pas moins qu’une guerre qui survenait. » Restons prudents jusqu’à ce que soit trouvée une vraie réponse – scientifique – à cette pandémie ; mais il faut secrètement se réjouir toujours de ce qui égratigne l’égo humain. Quelques exemples :
- J’ai vu sur Internet une photo de Donald Trump entouré de gens aussi sérieux que lui en train de prier à la Maison-Blanche. Le même Trump qui, Dieu sur Terre, faisait assassiner un ennemi ou adversaire par drone, en février dernier. Une Journée nationale de prière évangélique face à une calamité sans solution immédiate n’est pas différente d’une nuit d’incantation vodoue contre les moustiques et le paludisme mortel. Ne nous croyons pas au-dessus de ça. A bord d’un avion d’Air France qui a failli se crasher au-dessus du Gabon, j’ai vu tout le monde se mettre à prier à haute voix.
- D’abord, je n’y ai pas cru. Mais quand même, des journaux sérieux ont rapporté plusieurs informations similaires ! Des cargaisons de masques en transit dans des pays où règnent le droit et la liberté du commerce sont purement et simplement « réquisitionnées ». Ah ! Par temps de confinement, il y a donc un autre mot pour qualifier mon voisin qui intercepte la pizza que j’ai commandée ?
- Il y a quelques jours, un ami, très malade – pas du coronavirus –, m’a prié de venir aider sa femme à rentrer un réfrigérateur que les livreurs, intransigeants sur le respect des précautions anti-coronavirus, ont refusé de porter plus loin que sur le palier devant l’appartement. En temps normal, il m’aurait demandé de venir passer l’aspirateur dans leur salon que cela m’aurait moins ennuyé. Nez et bouche recouverts d’un mouchoir en tissu à la manière d’un desperado qui attaque une diligence dans le Far West, je suis quand même allé aider à placer l’appareil dans la cuisine. Puis, en repartant au plus vite, je n’ai pas pu m’empêcher de ressentir le ridicule de ces craintes réciproques que nous impose cette pandémie de….
C’est fait de beaucoup de fiction et d’illusions, la vie quotidienne des humains. La peur dans l’obscurité, la peur de ce qu’on ne voit pas produit toujours les mêmes réflexes chez les hommes. Au fil des siècles, nos prédécesseurs, subissant des effets sans en comprendre les causes, ont imaginé, ont dû recourir à la fiction pour tenter d’expliquer ce qui se passait et de se protéger à peu près. Moins c’est visible pour lui, plus l’homme doit imaginer afin de pouvoir survivre. L’imagination, a dit l’écrivaine danoise Karen Blixen, est « la faculté à laquelle l’humanité est le plus redevable pour son évolution. » Se confiner, déserter les rues, se tenir à au moins un mètre de son prochain sont des précautions de bon sens certes, mais aussi des gestes commandés par notre imagination du danger tout comme autrefois. Il se peut qu’il n’y ait aucun risque dans mon quartier, et que nous nous claquemurions tous ainsi pour rien ; mais il est prudent d’imaginer que le virus est dans le corps de tel ou tel voisin, suspendu dans l’air confiné du supermarché, prêt à pénétrer en moi. Mon Dieu ! Que serions-nous si nous ne pouvions pas imaginer ? Sans doute, l’humanité aurait pris fin aussitôt après avoir commencé. Il faut aimer et admirer l’imagination chez l’humain, cette faculté qui lui est propre, je pense. La vie, le salut est dans cette faculté. Il faut craindre ceux qui n’en ont pas. Ceux-ci d’ailleurs, me semble-t-il, détestent volontiers ceux qui en ont (de l’imagination). L’imagination contient les idées de solution aux problèmes, d’horizon, d’espoir… Karen Blixen encore : « Je crois que la première condition pour se comporter en être pratique est d’avoir de la fantaisie. » (Ces citations sont tirées de ses écrits en relation avec l’Afrique rassemblés par Gallimard sous le titre Afrique.) Ajoutons juste, privilège de notre époque d’après Koch et Pasteur, que l’imagination n’est pas du tout en contradiction avec la raison, bien au contraire. C’est la combinaison des deux qui fait que, malgré tout, nous ne sommes plus paniqués comme les gens d’autrefois.
Théo Ananissoh
Né en Centrafrique de parents togolais, Théo Ananissoh étudie à Paris III où il obtient un doctorat en littérature générale et comparée. Après avoir enseigné quelques années en France, l’écrivain né en 1962 rejoint l’Université de Cologne en 1994 où il a dispensé, des cours de Littérature africaine francophone. Il a publié plusieurs romans à succès dont 4 chez Gallimard. Alors que l’auteur de « Delikatessen » et « Ténèbres à midi » boucle son prochain romain (toujours chez Gallimard), il a accepté de porter son regard sur le confinement que le COVID-19 impose à presque tous les pays du monde.
*Le texte introductif et la biographie express sont de la rédaction de Afrika Stratégie France.