Une croissance économique proche de 8%, un taux d’endettement maitrisée à 43% et une inflation plus ou moins stable mettent au vert tous les signaux de l’économie ivoirienne. Malgré une augmentation de 8,6% par rapport à 2018 culminant à 7,334 milliards le budget 2019, le panier de la ménagère n’en ressent pas les effets. Dans les rues d’Abidjan, les grognes montent contre un gouvernement « qui privilégie les infrastructures et les réformes au social » selon une partie de l’opinion. Reportage !
Abidjan n’aura jamais été aussi coquette. Des immeubles qui poussent partout, de géants échangeurs dispersés aux grands carrefours, l’asphaltage de la quasi-totalité des routes, la capitale ivoirienne se modernise avec ses 6 millions d’habitants. En mars, lancement des travaux du 5e pont, 6 semaines plus tard, le premier ministre ivoirien se rend début mai sur les chantiers de la Cité Ado à Yopougon et en annonce la livraison pour septembre. Plusieurs centaines de logements sociaux presqu’achevés. Depuis les réunions de printemps de la banque mondiale (Bm) et du Fonds monétaire international (Fmi) en avril à Washington et où son gouvernement a été adoubé pour ses performances, le chef de l’exécutif affirme vouloir « faire profiter à tous les retombées de la croissance« . Sa priorité, renforcer les acquis sociaux et étendre sensiblement la classe moyenne. Une classe moyenne estimée en 2017 à 27% des 23 millions d’habitants selon une étude conjointe de l’Agence française de développement et l’Ecole nationale supérieure de statistique et d’économie appliquée (Ensea). Mais le gouvernement peine à convaincre bien qu’il multiplie des initiatives. A Kumassi où elle tient un maquis à l’ivoirienne depuis 4 ans, Larissa n’y croit plus. « Ca fait neuf ans que nous attendons que le social soit pris en compte » dénonce cette ancienne commerciale convertie à la restauration. Si les chantiers se multiplient dans le pays avec notamment le 4e pont entre Plateau et Yopougon et le 5e devant relier le quartier administratif à Cocody, le social semble avoir encore du retard. Mais l’exécutif tente de se racheter, « rapidement » selon Amadou Gon Coulibaly qui a conscience « qu’il faille faire encore vite et plus« . Et même si les 734 milliards du Plan social du gouvernement ont permis un pas de géant, les populations attendent encore plus dans le panier de la ménagère. Un défi d’autant plus important qu’à un an de la prochaine élection présidentielle, l’opinion ivoirienne se plaint de ne pas ressentir au quotidien les effets d’une croissance qui ne cesse de grimper. Pourtant, l’économie n’aura jamais été aussi bien en forme au pays d’Alassane Ouattara.
Une économie plus en forme que jamais
« La principale force de l’économie ivoirienne est la constance de sa croissance » se réjouit le Premier ministre, malgré un léger ralentissement en 2018. « Nous allons aussi continuer à maitriser la dette » assure Amadou Gon Coulibaly. Le taux d’endettement, à 43% est le plus bas au sein de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa) où la moyenne dépasse 70%. Ce qui permet au pays de maintenir et d’augmenter à volonté, au besoin, ses investissements structurels et macroéconomiques. La Côte d’Ivoire a donc « une réserve sur nos capacités d’endettement » constate le chef du gouvernement. En dépit de sa vulnérabilité aux chocs externes et des incertitudes politiques face à l’élection présidentielle de 2020, « la croissance sera épargnée » insiste celui qui représentait le pays aux rencontres de printemps des institutions de Breton wood. En passant à la 122e place du Doing business en 2018 et en maintenant la même place dans le classement de 2019, le pays gagne tout de même 17 places par rapport à 2017. Mieux, la Côte d’Ivoire se positionne dans le Top 10 des grands réformateurs. Mais la force du pays, ce sont ses matières premières et ses produits de rente. Après un bon de 92,3% passant de 39 802 tonnes en 2017 à 76 539 tonnes l’année suivant, le café dont la Côte d’Ivoire est 3e exportateur en Afrique n’aura jamais connu une telle explosion. Quant au cacao dont le pays est premier producteur mondial, la production 2018/2019 qui connaîtra une augmentation de 10% devrait dépasser les 2,2 millions de tonnes, records historiques. Le pays pourra ainsi compenser la crise mondiale du pétrole qui représente 4% de son PIB et 15% de ses exportations et surtout, la chute drastique engendrée de sa production nationale. Mais malgré tout cela, l’économie ivoirienne reste la plus luisante et fait du pays la première puissance économique de l’Afrique de l’ouest francophone. « Il faut maintenant que les performances se ressentent dans le pouvoir d’achat des ivoiriens » promet celui qui est à la tête de l’exécutif depuis 2017.
Chiffres vertigineux
Bien que la Côte d’Ivoire présente de bons résultats en matière économique, les populations n’en profitent pas suffisamment. La pauvreté estimée à 42 % pour 2019 aura tout de même régressé de 5% les deux dernières années. Et c’est le prochain combat du chef du gouvernement. Maintenir la pente vers le bas pour la baisse du taux de pauvreté et renforcer les acquis sociaux. Pour cela, le gouvernement peut compter sur deux instruments, le Plan national de développement (Pnd) 2016-2020 valant 30 000 milliards CFA et le Programme social gouvernement (Psg) 2019-2020 pesant 724 milliards. Il entend aussi multiplier des cités de logements sociaux. Celle de Yopougon qui compte 2 172 logements, une école primaire, un collège, un centre commercial, un centre médical, des aires de jeux et un foyer des jeunes « sera livrée en septembre prochain » selon Gon Coulibaly. Il doit aussi assurer l’accès à l’eau potable à moindre coût, élargir la couverture de l’assurance universelle (Cmu) tout en maitrisant l’inflation et en contrôlant les prix. Ceux de logements, eau, gaz électricité ayant augmenté de 3,8% pour la seule année 2018, heureusement que celui des produits alimentaires et boissons non alcoolisé n’a progressé que de 0,5%. « La lutte contre la pauvreté et l’amélioration du panier de la ménagère sont nos priorités » précise le Premier ministre qui travaille à un plan social ambitieux. Pour y arriver, le pays doit compter sur ses traditionnels bailleurs de fonds pour lesquels il reste un bon client. La Banque africaine de développement (BAD) a engagé, en 2018, au total 802 729 milliards de francs CFA pour des projets inscrits au portefeuille de la Côte d’Ivoire. Et la Banque mondiale qui lui a octroyé près de 638 milliards de francs CFA l’année dernière a déjà promis, lors des réunions de printemps en avril dernier de doper son apport pour 2019. Le pays doit aussi davantage tirer de la plus value de sa production avec la transformation d’une partie de ses produits de rente. Les 25 % de sa production de café transformée localement et exportée en café en poudre sont insuffisants, « il faut multiplier par deux d’ici 5 ans » s’époumone Gon Coulibaly. En attendant, la réorientation des répercussions économiques au profit du quotidien de la population et donc du panier de la ménagère est le plus grand défi.
Le défi de la redistribution
Plusieurs projets arriveront à terme d’ici la fin de l’année notamment de grandes œuvres. « Electoraliste ! » esclaffe Charly, ciblant l’échéance électorale de 2020. A 38 ans, ce burkinabé installé depuis deux décennies en Côte d’Ivoire doit faire face à un chômage technique du fait de la perturbation de la filière de la viande. En effet, une augmentation des frais d’abattoir ont chuté la production de viande bovine lui imposant 1 mois de rupture de travail. A Bassam, autour de cette table où règnent quelques drogba « géantes bouteilles de bière de 100 cl », la discussion est plutôt musclée. A 45 ans, Alain n’est pas qu’un ancien pro-gbagbo converti au ouattaraisme, c’est aussi l’un des principaux défenseurs de la politique du gouvernement. « Avant, l’argent circulait sans travailler, maintenant, il travaille sans circuler » insiste ce professeur d’anglais. Pour lui, « l’argent ne peut pas faire deux choses à la fois« . Une rhétorique persistante dans l’entourage du pouvoir. A 46 ans, Yacouba craint de vieillir sans finir sa maison. « J’ai perdu tous mes revenus » pendant les 5 dernières années. Débrouillard comme on le dit ici, ce racoleur au Port d’Abidjan gagnait jusqu’à 600.000 f Cfa par mois (1000 dollars). Mais il déclare se contenter désormais des 100.000 (150 €). « La différence n’était pas légale« , lui rétorque Alain. Pour ce dernier, « il n’y a que les profiteurs de l’argent sale qui se plaignent, sinon tout le monde a son salaire » conclut cet ancien militant du Fpi (Front populaire ivoirien de Laurent Gbagbo, Ndlr). « Mais on préfère avant, c’était mieux » murmure Charly. A son secours, sur la table voisine, Anne, commerciale chez Orange temporise, « il faut serrer la ceinture à 50% pas à 100% comme le fait Ouattara » intervient, impromptue celle qui a toujours voté Rhdp (Rassemblement des houphouetiste pour la démocratie et la paix). Comme dans la plupart des pays voisins, la Côte d’Ivoire repose en partie sur une économie de la débrouille. Débrouille rimant souvent avec petites corruptions et faux frais. Mais sans vouloir ouvrir les vannes de ce qu’on appelle ici l’argent parallèle, le gouvernement entend accélérer sa politique sociale. Par la maitrise de l’inflation et surtout, l’augmentation du pouvoir d’achat mais aussi l’extension de la classe moyenne. En attendant le pouvoir veut en découdre avec l’extrême pauvreté par les facilités d’accès à l’eau potable et aux soins médicaux. Et même si au cours des trois dernières années, la pauvreté a reculé de 7 points, les attentes, « légitimes » selon le Premier ministre, sont encore énormes. Si Rivera-Golfe ou encore Berverly Hills affichent des signes extérieurs d’une forte aisance, de fortes concentrations de misères à Adjouffou, Adjamé ou encore Gobelet renforcent la résignation des quartiers populaires, souvent hostiles à l’exécutif. « Mais la politique de modernisation n’écarte aucune région« , jure le gouvernement qui table déjà sur un géant plan social en gestation qui succèdera à celui en cours.
MAX-SAVI Carmel, Envoyé spécial à Abidjan, Afrika Stratégies France