Ces derniers jours et après des manifestations qui ont fait plusieurs morts au centre du pays, les relents xénophobes entretenus par Henri Konan Bédié et sa caste refont surface. Face au tribalisme, Kouadio Konan Bertin (Kkb) et candidat à la présidentielle contre l’ancien chef d’Etat joue le rassemblement et ratisse large. Il multiplie des déplacements dans plusieurs localités du pays.
C’est le candidat qu’on voit le moins à la télévision en ce moment, car le fils de planteur est dans des régions reculées du pays où il enchaîne ses meetings de proximité. Partout, son message est le même, « donner une chance à la jeunesse » qui constitue, quoiqu’on dise, 70% de la population ivoirienne et qui a souvent été victime des errances des aînés. Pour le moment concentré sur le sud et le centre du pays, il prévoit aussi une grande tournée vers le septentrion, plutôt bastion du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (Rhdp) au pouvoir. Tout en tirant profit du nauséeux débat tribaliste, visant de près la jeunesse et proposant un cohérent projet de société, Kkb pourrait être la surprise de cette présidentielle de toutes les incertitudes.
Tirer profit du débat tribaliste
Il fait partie des rares cadres du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci) à combattre tout relent xénophobes dès le départ. Ouvert et sympathique, il a de bonnes relations avec des ivoiriens de toutes les régions et a toujours évité de s’en prendre au président Alassane Ouattara, principale pomme de discorde dans le débat tribaliste. Le plus ancien parti de la Côte d’Ivoire dont l’actuel chef de l’Etat a été membre et pour le compte duquel il fut Premier ministre a, poussé par Bédié alors que ce dernier était à la tête du pays, entretenu une haine généralisée contre les ressortissants de la partie septentrionale du pays. Ces derniers jours, ces ressentiments sont réapparus dans les débats. Après le scandale des orpailleurs étrangers qui « pilleraient le pays », Henri Konan Bédié a lancé ses chiens de garde dans l’arène pour s’en prendre aux « étrangers venus de partout » stigmatisant les populations nordistes dans un pays cosmogonique où les peuples sont venus de partout, notamment de pays voisins. Pour Kkb « il faut éviter les discours qui divisent« . Lors d’un entretien avec Afrika Stratégies France en décembre 2019, il promettait se battre contre « les vieux démons qui menacent la paix » et ses propos insistants convient à éviter de répéter les erreurs de 2010. Il pourra ainsi compter sur les aigris et déçus de la majorité présidentielle ainsi que l’électorat plausible de Guillaume Soro dans le nord, l’ancien président du parlement ivoirien étant écarté du fait de son exil en France.
Campagne de proximité
Accueil pompeux, celui d’une reine mère qui salue « les efforts inoubliables de Kkb dans l’ombre de Bédié » et l’exhorte à « tout confier à Dieu » comme si la mère baoulé compatissait à ses déboires de ces derniers jours au sein du Pdci. « Tu as beaucoup fait pour ce parti » a insisté la souveraine sous les applaudissements de la cour. Il l’a débuté depuis début juillet. Des sorties dans plusieurs localités du pays. Si cette semaine, il s’est donné une pause et un repli sur Abidjan pour des contacts politiques, Kouadio Konan Bertin reprendra son bâton de pèlerin. Coins et recoins, il n’entend rien lâcher car l’électorat de ce planteur, ce sont aussi de petits paysans et les ruraux, grands oubliés d’un pays qui a connu de géants exploits économiques tout de même. Ce mois d’août, la région de Bouaké (350 km d’Abidjan) était à l’honneur. Après Bamoro et Koumounoukro, Kkb a fait un détour à Sakassou, chez le reine mère, chef suprême des baoulé, son ethnie. Devant Nanan Akoua Boni II et ses interlocuteurs, le message du député est le même, « la paix doit être notre leitmotiv » insiste le trublion. Pour Kkb, « aucun ivoirien ne doit prendre une arme contre un autre, quoiqu’il arrive« , un message apprécié par la reine mère mais surtout applaudi par les populations aussi bien à Djebonoua qu’à Sabassou, localités proches de Bouaké. Très attaché à l’éducation à laquelle il donnera ainsi qu’à la santé une place de choix une fois élu, Kkb a échangé longuement avec des étudiants de l’Université Alassane Ouattara de Bouaké avant de rallier Abidjan, la capitale économique. Une tournée dont l’effervescence pourrait bien cacher une grande surprise lors de la présidentielle de fin octobre.
Une surprise en vue ?
Les circonstances s’y prêtent, à son avantage. Déjà, auprès des sympathisants de son propre parti, il fait face à un vieillard de 86 ans qui va du coq à l’âne, fait des promesses qu’il dédit au gré de ses humeurs. Avec un âge trop avancé, le Sphinx de Daoukro (centre) aura tout le mal à tenir physiquement face à une machine d’Etat qui se mobilise derrière le président sortant. Le Front populaire ivoirien (Fpi) de Laurent Gbagbo est divisé entre les très radicaux restés loyaux à son épouse qui, compte tenu de la condamnation dont elle fut objet ne sera candidate à rien et Pascal Afi Nguessan, qui s’est habilement rapproché du parti au pouvoir à plusieurs reprises. Dans une telle situation et compte tenu de ce que la plupart des candidats sont des vieux de la vieille épopée électoraliste, Kkb peut bien provoquer la surprise. Pour cela, il lui faut à la fois un butin, nerf de la guerre, conséquent et surtout, un message qui rassemble la jeunesse, lassée par un espace politique qui peine à se débarrasser de ses vieux loups.
Et le pays a tout intérêt à voir émerger Kouadio Konan Bertin d’autant que modéré et non tribaliste, ce pragmatiste ne laissera aucune chance à la violence. Pourtant, avec le drame que constitue la présidentielle de 2010, la peur des vieux démons hante tous les esprits. Chancelleries et communautés internationales en craignent le retour plus que jamais.
Afrika Stratégies France