CÔTE D’IVOIRE : La réconciliation, coulisses, reflets et susceptibilités d’un chantier délicat

Depuis neuf mois, le gouvernement compte un ministère de la réconciliation. Mais compte tenu des multiples crises tous azimuts qu’a connues le pays depuis 1993 et la mort du président Houphouët-Boigny, ce délicat chantier confié à  Kouadio Konan Bertin (Kkb) ne peut réussir que par l’inclusivité et la discrétion. Un contexte qui éveille parfois et à raison l’impatience des ivoiriens. Coulisses, reflets et susceptibilités d’une mission complexifiée par l’accumulation de crises. Reportage !

 Comme tous les matins, l’accès au Plateau, quartier administratif d’Abidjan, principale ville de la Côte d’Ivoire, est consécutif à un monstre embouteillage. Wororo (taxi collectif), Gbaka (bus de transport urbain desservant des quartiers populaires) viennent encombrer davantage des artères routières déjà inondés de véhicules de fonctionnaire se dirigeant vers ce quartier qui loge une grande partie de l’administration. Le soleil est fort brulant, il est à peine 9h. Depuis plus d’une heure, dans la tour A où règne son ministère au 7e et 8e étage, Kouadio Konan Bertin est au travail depuis 2h de temps. Deux séances de travail, une dizaine d’audiences, quelques coups de fil à des leaders locaux, chefs traditionnels et responsables politique que le, protocole lui rappelle une rencontre avec Miss côte d’Ivoire et ses deux dauphines. « Elles seront de nos meilleurs ambassadrices » lâche l’ancien candidat à la présidentielle qui ne voit en rien sa nouvelle responsabilité « comme une récompense de sa participation à un scrutin » controversé et boycotté par toute l’opposition. « Le président de la République me fait confiance, je travaille en ayant à l’idée la loyauté » ajoute-t-il, « c’est ce qui compte en ce moment » conclut celui qui a mis de côté son ambition présidentielle pour se consacrer à la réconciliation. Et s’il évite de trop communiquer sur ses nombreuses sorties, une centaine en neuf mois, il a bien une raison, « sans la discrétion, la délicatesse de la mission est bafouée et son efficacité à vive épreuve« . Même s’il comprend l’impatience des ivoiriens. 

 Crises multiformes

 « Le défi de la réconciliation est autant délicat que complexe » constate le ministre. Il y a quelques jours, il était dans le centre du pays pour régler des conflits fonciers. « Je suis dans un permanent état d’urgence, je dois essayer d’éteindre les brasiers tout en réglant des problèmes du quotidien » qui menacent la cohésion nationale explique-t-il. La Côte d’Ivoire a connu, depuis le milieu des années 1990 une série de crise. Le coup d’état contre Henri Konan Bédié pour lequel Kkb s’est battu pour le retour, la présidentielle crisogène de 2010 mais aussi des affrontements récurrents entre les populations et les diverses crises de chefferie traditionnelle. « Ma mission est une mission du quotidien, conduire sous la houlette du chef de l’Etat le processus de réconciliation tout en protégeant les acquis fragiles de la cohésion nationale » décrit celui qui, tout au long de sa longue carrière politique, a parcouru tout le pays. Le retour effectif de l’ancien président Laurent Gbagbo, celui en cours de son lieutenant Charles Blé Goudé, tous deux anciens pensionnaires de la prison de la Haye, la rencontre entre le président en exercice et les deux anciens chefs d’Etat encore vivants ou le retour massif de réfugiés et exilés politiques, il est de toutes les sauces même s’il ne veut en parler. Fausse modestie ? « Non, plutôt la prudence » rétorquent ses proches. Kkb ne veut pas non plus que l’urgence de se réconcilier empiète sur l’état de droit, « la justice ne peut pas être sacrifiée pour la réconciliation, le processus doit se faire dans le cadre de l’état de droit » tient-il à préciser. Pour lui, la confiance du chef de l’Etat est la base de cette réconciliation. Une certitude, « je ne doute pas de la sincérité du président Alassane, il me l’a prouvée à bien d’égards » fuite celui qui n’entend, en rien, décevoir la confiance placée en lui, bien qu’il ait été longtemps dans l’opposition. 

 « RTI reçoit » 

A peine finit-il avec le trio des plus belles femmes de la Côte d’Ivoire issu de la dernière élection Miss qu’il reprend, sans pause-déjeuner, avec les audiences. Me Messan, présidente du Mouvement citoyen des personnes handicapées vient l’inviter pour une journée de réflexion et un appel en faveur de la réconciliation. « Je laisse tomber tout mon programme de la matinée et viens vous voir » a promis ce pragmatique de 53 ans. Son interlocutrice, malvoyante en était émue. L’après midi de cette fin de semaine, le ministre de la réconciliation le consacre à une émission grande écoute à laquelle la télévision nationale l’a convié. Et pour cela, experts, conseillers, collaborateurs, tout le gradin du premier cercle est autour de lui, dans la grande salle où il écoute et pose des questions. Studieusement. Mais ce germanique au tempérament spontané est plus à l’aise dans l’improvisation, ce qui n’empêche de se livrer à deux jours de préparation. « C’est aussi l’occasion d’évoquer d’autres aspects de la question de réconciliation » reconnaît-il. L’émission sera un fin succès, même si entre temps, une affaire de viol présumé a tôt fait de la rattraper. Malgré le soutien du chef de l’Etat auquel il a été si sensible ainsi que celui du Premier ministre, à peine cette brillante émission finit, qu’il doit préparer sa riposte contre « cette cabale ignominieuse » qui, à première vue, semble bien ficelée en amont. Si les nombreuses failles, contre-vérités et incohérence de la victime supposée le rassure, il tient tout de même, « pour la sérénité de la mission« , à porter plainte et « laisser la justice aller au bout« . 

 La cabale

 En annonçant cette affaire de viol à la veille de cette émission, « les commanditaires voulaient aussi porter atteinte à ce rendez-vous » déduit un de ses conseillers. Mais  Kouadio Konan Bertin « qui en a vu des murs et des moins murs » comme aime à répéter le Dr Konimi, son directeur adjoint de cabinet, ira jusqu’au bout. Très vite dans la presse locale, cette cabale est interprétée comme une attaque qui vise sa mission mais aussi le chef de l’Etat. L’avatar qui a publié le post étant proche de Guillaume Soro, un dissident de la majorité présidentielle, aujourd’hui en exil. Mais de cette histoire, Kkb veut en parler le moins. « Je travaille aujourd’hui à la livraison des maisons de chefs que nous construisons dans tout le pays et à la stratégie globale de ma mission que je rendrai officielle en décembre » préfère-t-il, « j’ai donc la tête au travail et non à autres choses » esquisse le ministre. De son bureau, ce baoulé (ethnie du centre du pays) sympathique et accueillant traverse, au départ de chaque hôte, son secrétariat pour aller chercher, dans une salle d’attente pleine à craquer, le prochain visiteur. « Je veux rassurer les ivoiriens et rester au service du président de la République » avant d’ajouter  » avec ou sans moi, point de doute, Alassane Ouattara ira au bout de la réconciliation« .

 Compte tenu du fait que plusieurs tentatives de réconciliation ont lieu dans le pays à travers diverses commissions, les Ivoriens sont sceptiques.  « Mais nous n’avons pas le choix » murmure-ton dans l’entourage de Laurent Gbagbo qui, depuis son retour, entretient des échanges réguliers avec Alassane Ouattara. Dans la pensée collective à Abidjan, « si la réconciliation est l’affaire de chaque ivoirien, c’est avant tout celle des principaux leaders politiques ». 

 MAX-SAVI Carmel, Envoyé spécial, Abidjan

 

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