Un mois après la présidentielle et à la suite des violences qui ont embrasé tout le pays, Emmanuel Macron qui s’est entretenu deux fois au téléphone ce weekend avec Alassane Ouattara suit la situation de près. Le président français insiste sur la mise en place, dès le lendemain du 14 décembre, d’un gouvernement de large union. Kouadio Konan Bertin (Kkb) et de personnalités proches de l’opposition radicale pourraient y faire leur entrée. La piste des pro-gbagbo est scrupuleusement scrutée.
Depuis vendredi dernier, le président ivoirien séjourne en France, première visite depuis la présidentielle de fin octobre pour laquelle sa candidature a suscité des manifestations ayant engendré un peu moins d’une centaine de morts. Il ne devrait pas, à priori, rencontrer Emmanuel Macron même si les deux hommes entretiennent de très amicales relations depuis l’arrivée au pouvoir du locataire de l’Elysée. Le président français insiste auprès de son homologue pour qu’il ouvre son gouvernement à l’opposition et ne trouve pas d’inconvénient à ce que « un membre du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci) prenne la primature ». Cette dernière option a été écartée par les barons de la majorité présidentielle qui préfèrent une « simple ouverture ». Lors de leurs deux entretiens téléphoniques ce weekend, s’il a été longuement question de Guillaume Soro, ancien allié de Ouattara dont le départ de la France « est vivement souhaité » par le président ivoirien, la question du gouvernement a été longuement évoquée. Macron pense qu’en l’élargissant aussi bien à ceux qui étaient candidats qu’à d’autres personnalités, la voie de la réconciliation sera amorcée. Si Bédié écarte pour l’instant toute participation au gouvernement et que Pascal Affi Nguessan, l’autre candidat « boycottard » est détenu depuis le 7 novembre en un lieu secret depuis son arrestation, Kouadio Konan Bertin semble être celui à qui reviendrait la part de lion.
Bédié hésitant, l’opposition radicale contre
Il est à la tête de l’opposition radicale unifiée. Quelques jours après le scrutin, il a rencontré, à l’hôtel du Golf, le président ivoirien. Henri Konan Bédié, 86 ans, a été l’un des deux candidats qui ont boycotté la présidentielle même si, pour le ridiculiser, la Commission électorale indépendante (Cei), à la solde du président sortant qui s’est arrogé 94,27%, lui a attribué un peu plus de 1%. Déjà, lors de leur tête à tête le 11 novembre, Henri Konan Bédié à qui ses pairs de l’opposition reproche « une souplesse à l’égard du pouvoir » n’a pas voulu répondre dans l’immédiat à la proposition d’un gouvernement d’union nationale de Ouattara. Mais pour un leader qui s’est souvent accommodé de compromis, « rien n’est écarté » même si Jean-Louis Billon, l’un de ses lieutenants et putatifs successeurs pousse le principal parti de l’opposition ivoirienne à se radicaliser. La branche Front populaire ivoirien (Pfi) de Pascal Affi Nguessan ne veut pas entendre parler d’une entrée au gouvernement ainsi que les proches de Simone Gbagbo, l’ex première dame. Sauf que ces dernières semaines, Laurent Gbagbo, l’ancien président en exil à Bruxelles a eu plusieurs entretiens téléphoniques avec des proches de Ouattara dont Hamed Bakayoko, le premier ministre. Profitant de son séjour à Paris, le président ivoirien s’est dit prêt à envoyer des émissaires rencontrer en Belgique son prédécesseur avant d’être confronté au refus de ce dernier. En même temps, la présidence ivoirienne a encouragé l’ancien président à renouveler sa demande de passeport auprès des autorités consulaires ivoiriennes. Selon plusieurs sources concordantes, pour les fêtes de fin d’année, l’ancien pensionnaire de la Cour pénale internationale pourrait recevoir son passeport diplomatique.
Kkb et des modérés attendus
Hamed Bakayoko sera encore, au lendemain de la prestation de serment prévue le 14 décembre, toujours Premier ministre de Côte d’Ivoire. Le maire d’Abobo a succédé à Amadou Gon Coulibaly, mort brusquement d’un arrêt cardiaque début juillet. Depuis, quelques coups de froid entre l’ancien journaliste et le président de la République, au point où, celui qui était censé mener la campagne électorale en octobre dernier n’a fait que quelques apparitions. Mais compte tenu de sa culture du pouvoir et de son hyper-occupation du terrain politique et social, il devrait être reconduit même s’il préfère, au cas où une démission de Alassane Ouattara pourrait intervenir dans les prochains mois ou avant 2022, être vice-président. Dans son gouvernement, plusieurs personnalités non politiques mais aussi des modérés du Parti démocratique de la Côte d‘Ivoire (Pdci) devraient faire leur entrée. Actuellement, le président ivoirien multiplie des contacts pour, à défaut de rallier l’opposition, en débaucher quelques membres emblématiques. Mais la stratégie peine à payer. Kouadio Konan Bertin, dissident du Pdci qui a pris activement part au scrutin devrait entrer dans le nouvel exécutif avec 2 à 4 de ses proches. A défaut de gros poissons de l’opposition, quelques proches de Guillaume Soro sont consultés. Soro Mamadou Kanigui, un proche de l’ex chef rebelle a déjà dit à Ouattara qu’il était prêt à entrer au gouvernement. Vincent Toh Bi Irié, ancien préfet d’Abidjan fait aussi partie de la liste d’attente pour le prochain gouvernement, une entrée que ne souhaite pas Hamed Bakayoko.
Une majorité fragilisée
Cette présidentielle a été celle qui a connu le plus grand taux d’abstention. « Moins de 10% selon Guillaume Soro ». Le chiffre de 53,9% avancé par la Commission électorale indépendante est totalement ubuesque d’autant que le tiers des bureaux de vote n’ont pas ouvert. Cette élection, l’une des plus catastrophiques qu’a connues la sous-région a dégradé sensiblement l’image de la Côte d’Ivoire et fragilisé une majorité qui a pourtant réussi sur les questions économiques. Abidjan craint surtout un regain d’attentats terroristes pour le premier trimestre 2021 d’autant que les services secrets accumulent des signaux alarmants. Alassane Ouattara a notamment peur que Guillaume Soro, porté disparu depuis le scrutin et qui avait annoncé que « la présidentielle n’aura pas lieu » ne tente de déstabiliser le pays. Il s’en est ouvert à Emmanuel Macron, le pressant d’arrêter et d’expulser l’ancien président de l’assemblée nationale ivoirienne. Sauf que, mieux que le pouvoir ivoirien, l’ancien chef rebelle dispose de solides contacts dans l’entourage du président français. Soro a quitté temporairement la France, est passé par la Belgique et l’Espagne avant de disparaître. Il a été aperçu en Grande Bretagne avant d’être signalé, sans que cela ne soit confirmé, en Turquie où il a de bonnes amitiés ou encore en Europe de l’Est. Une certitude tout de même, avant plusieurs mois voir une année, Guillaume Soro n’a rien à craindre. La justice française ne l’expulsera probablement jamais, « toutes ces affaires n’étant que manipulation et politique » selon son avocate principale.
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