Professeur émérite à l’Université d’Abomey Calavi (près de Cotonou, la capitale économique) il aura été le Coordinateur national des Forces cauris pour un Bénin émergent (Fcbe) pendant une décennie (2008-2018). Ancien maire d’Agbangnizoun (sud-ouest du Bénin), Eugène Azatassou a été successivement directeur de cabinet du ministre de la décentralisation puis du président de la République. Depuis, avec l’exclusion d’une grande partie de la classe politique, il est, comme la plupart de ses camarades d’antan, à la touche. A 68 ans, il n’a pas la langue de bois. La question de la conformité, la participation de Fcbe, dont il est encore conseiller politique, aux prochaines élections, la reprise des législatives, la gestion et la méthode Talon, il évoque tout. Avec lucidité. fermeté et un brin de regret. La fermeture de la frontière avec le Nigeria voisin, « dommage! » lance-t-il, y trouvant une raison politique. L’avenir du président Yayi, aucune question ne semble de trop dans cette interview spontanée et très orale. Lecture.
Patrice Talon a réussi à écarter tous ses adversaires, il est seul représenté au parlement. Après le temps des contestations et avec un peu de recul, que vous inspire cette situation?
Je n’ai été qu’à demi surpris par cette situation parce que ça correspond à un niveau vraiment insoupçonné de toute la politique qui est menée depuis le 6 avril jusqu’ici, une politique d’accaparement de tous les leviers importants de l’économie nationale, une politique de mainmise sur toutes les institutions, une politique de l’enrichissement au profit d’un clan par rapport à l’enrichissement globale de la population. Dans la dernière législature, dès l’avènement de la rupture, Patrice Talon pu mettre la main sur une soixantaine de députés, ça n’a pas suffi pour avoir tout ce qu’il voulait. Par exemple une minorité de blocage à la révision de la constitution s’était constituée au sein des députés suite à l’indignation populaire qu’a soulevée cette révision. Les députés de la minorité parlementaire de l’époque ont accompagné cette indignation et avaient bloqué le passage en force. Le président de la République n’a pas supporté cela et il a manœuvré maintenant pour que les 83 députés soient de son obédience. C’est ahurissant, on ne peut que s’en indigner. Parce que, vu le niveau atteint par la démocratie béninoise qui est saluée de partout, qu’on a tenté de copier un peu partout en Afrique, vu que l’on tombe à ce niveau, c’est inadmissible tout simplement, mais c’est le peuple béninois qui pourra apprécier et prendre les décisions qu’il faut le moment venu.
Le Bénin semble être un pays en crise, quelle solution selon vous, pour s’en sortir?
La solution, la meilleure pour en sortir, c’est de se mettre ensemble et de réfléchir à l’avenir de la nation. Cela s’était fait en 1990, quand la crise avait atteint un sommet tel qu’il n’était plus possible de continuer de diriger de façon convenable. Le peuple béninois toute tendance confondue s’était assis autour d’une table, avait réfléchi et a trouvé le modèle qu’il fallait, un modèle qui a duré presque 30 ans maintenant, avant de s’essouffler à nouveau. Cela appelle que l’on se rasseye. Mais pour se rasseoir vraiment et réfléchir, il faut beaucoup d’humilité de la part des dirigeants, ce qui ne me semble pas se profiler à l’horizon. Ce sont des gens qui savent tout, qui ne sont prêts à rien concéder et qui jouent à la ruse et à la rage, comme ils l’ont dit eux-mêmes. Le président de la République avait annoncé un dialogue dans le sens qui est le sien. Pour lui tout simplement, ce sont les partis, ceux qui sont conformes,comme on l’a dit et ces partis-là devraient discuter tout simplement de la révision de la charte et du code électoral, pour pouvoir faire une nouvelle monture qui permette d’aller de l’avant. Nous, on a pensé que c’était de la ruse encore, parce que si le code et la charte étaient mauvais, pourquoi les avait-on utilisés alors qu’il y avait une crise manifestement, et qui appelait à ce que l’on puisse les réviser en ce moment-là, par consensus.
Est-ce qu’il est possible, aujourd’hui encore, de reprendre les élections législatives?
Les élections législatives doivent être reprises, pour apaiser la situation qui prévaut là. Parce qu’une élection législative dans ces conditions, où on a écarté tout autre parti que les siens n’en sont pas. Ce n’est pas une élection. Nous ne considérons pas nous, que cette législature puisse porter le nom de législature réellement. Et ce qui moi me surprend, c’est que des personnalités de haut rang, des gens qui ont connu le Renouveau démocratique, des gens qui ont pratiqué le Renouveau démocratique, se satisfassent de cette législature sous cette forme, je trouve que c’est tout simplement inconcevable. Donc, pour apaiser la vie politique nationale, revenir à la norme, une des conditions, c’est la reprise, mais dans des conditions plus inclusives, parce que toutes les institutions ont été noyautées, vous avez vu tout ce qui a été reproché à ces listes là et pourtant ce sont des listes qui ont été validées. En réalité on a grossi la participation, mais elle n’a pas pu dépasser 30%, malgré tous les efforts faits. Cette participation ne dépasse pas, en vrai, 10%.
Fcbe dont vous être cadre n’a pas encore reçu son certificat de conformité, comment prendra-t-il part aux municipales dans quelques mois?
Non c’est la même chose qui se poursuit. Depuis février 2019, nous avons rempli toutes les conditions pour avoir notre certificat de conformité et participer aux élections. Mais on nous a fait faire quelques corrections et puis blackout total, plus rien. On n’a plus rien entendu jusqu’en juillet dernier, où le Chef de l’État nous invités au titre des partis qui ne sont pas en règle, pour échanger avec nous. On y est allé, mais rien n’était précis, on nous a renvoyés au ministère de l’intérieur pour ces papiers-là. Nous sommes allés au ministère de l’intérieur et on nous a recommandé de renaître à nouveau et d’enlever de la tête de notre parti, un certain nombre de militants qui soit disant, auraient de problèmes avec la justice. Or, il n’ya aucune loi qui indique que lorsqu’on a des problèmes avec la justice, on ne peut pas être chef de parti. Aucune loi ne l’indique, peut-être que si on est condamné, si on est condamné à une peine infamante, peut-être qu’on peut examiner cela. Aucun de nos camarades n’a été condamné, ils sont contraints à l’exile, parfois pour les jeunes contraints à la prison. Nous ne pensons pas que ce soit un motif pour leur denier le droit et puis nous ne sommes pas d’accord que ce soit le pouvoir qui nous indique qui et qui peuvent être à la tête de notre parti parce que si on veut, n’importe qui peut avoir des problèmes avec la justice. Il suffit de s’adresser au procureur pour n’importe quelle raison, le procureur convoque et dès que vous avez une convocation, vous avez des problèmes avec la justice. Et le juge d’instruction à qui on confie le dossier peut renvoyer jusqu’àce que toute élection éventuelle passe, avant que cela ne soit tranché. Non, nous n’avons pas effectivement ce papier, mais ce n’est pasde notre faute. Tout ce qu’on nous a demandé là, ça ressemble, comme je l’ai dit par le passé, aux grains de maïs que l’on jette à la poule pour l’attraper et la mettre en casserole. C’est exactement cela parce que tout ce qu’on nous a reproché auparavant, on avait fait, on nous dit bon… on vous accorde de ne pas reprendre vos dossiers, ce qui veut dire que les dossiers n’ont pas de problème, mais il suffit de renaître à nouveau, il suffit d’enlever de votre direction, un certain nombre, cela n’est dans aucune loi, cela n’est nulle part, nous avons constaté qu’on voulait détruire de l’intérieur le parti, après avoir essayé par des méthodes brutales de le faire et ils n’y sont pas parvenus, et maintenant ils veulent utiliser la destruction par nous-mêmes de l’intérieur, en instaurant un débat sur qui peut être à la tête et qui peut ne pas l’être. Et en définitive, si on les suit, c’est ceux que eux ils veulent qui seront à la tête du parti et ce n’est pas possible, c’est inimaginable dans une démocratie, non nous sommes un parti, nous existons, nous avons rempli toutes les conditions de la loi pour exister et nous considérons qu’il faut nous donner tout simplement nos récépissés pour continuer de participer à tout, au niveau de la vie politique nationale. Ne pas le faire, c’est poursuivre dans la logique de continuer de nous bloquer et c’est indigne d’une démocratie.
Le Nigeria a fermé sa frontière. Pensez-vous que c’est pour une raison plus politique que ce qu’avance Abuja?
Je pense que les raisons évoquées sont des raisons économiques.C’est vrai, le Bénin sert de passoire pour un certain nombre de produits, mais les raisons économiques reviennent à des raisons politiques en réalité. C’est vrai que ce n’est pas d’aujourd’hui que date la situation avec le Nigéria, mais peut-être que en prenant le port, avec la politique menée d’enrichir un clan, c’est clair que ça se fait au dépend du Bénin et au dépend du Nigéria et si nous autres ici qui avons amené la rupture, nous sommes encore hésitants, le pouvoir du Nigéria ne pourra pas continuer d’hésiter pour régler ses comptes, c’est que qui s’est passé en définitive. Donc ce sont les raisons économiques qui sont évoquées, mais même si on ne s’en tient qu’à cela, il va de soi que les raisons sont politiques et d’orientation de développement. On ne peut pas en vouloir au Nigéria de nous intimer l’ordre de relancer notre production nationale et que si nous produisons ici, il n’y aura pas de problèmes, ça passera. Mais c’est dommage que cette politique d’enrichissement d’un clan, ne permette pas cela. Et c’est pour cela que nous sommes depuis longtemps opposés à cette politique. Les opérateurs économiques du Nigéria tapent du poing sur la table, on a écouté Dangoté (milliardaire investi dans le ciment et l’agroalimentaire, Ndlr), et que le pouvoir nigérian renchérisse et pose les actes, je pense que c’est dommage qu’on en arrive là, et je ne vois pas les efforts qui sont faits du côté du gouvernement, pour que le problème soit réglé. Malheureusement, c’est la population qui en souffre et qui est torturé.
Le président Yayi Boni revient au pays quand, et Talon ne l’empêchera-t-il pas?
Ah, ça je ne sais pas, il est aux soins, il est en train de se soigner. Il était déjà malade avant. Mais le fait d’avoir été immobilisé 52 jours et avec le stress, le mal a repris. Il devait aller faire des soins dans la période, à un moment donné son médecin même a été empêché d’aller le avoir, donc c’est comme si c’était un assassinat programmé tout simplement. Il en a souffert, heureusement, il en est sorti. Il est aux soins et ça va mieux, c’est vrai. Mais c’est quand il va être vraiment capable de revenir au Bénin, qu’on saura quelle décision il a prise. Mais jusqu’ici, il n’y a rien qui puisse l’empêcher de revenir dans son pays, c’est ce qu’il nous a dit en tout cas.
Le président de l’Autorité nationale de lutte contre la corruption, Jean-Baptiste Elias a attaqué Cena et Cour constitutionnelle de n’avoir pas été justes lors des dernières législatives. Quelles actions vous inspirent de telles accusations?
Nous avons déjà perçu que c’était injuste, mais c’est nous seuls qui crions à l’époque. Et par conséquent, la sortie du président de l’Anlc prouve que nous avons parfaitement raison et que ce pouvoir est un pouvoir injuste, n’obéissant à aucune règle, à aucune norme, c’est mon camp ou rien. Tous les présidents passés auraient voulu nommer leur avocat personnel à la cour constitutionnelle, rien ne les en empêchait, ils avaient la possibilité de le faire, mais ils ont compris que la démocratie est un jeu et qu’il faut jouer le jeu. Donc ils ont joué le jeu pour permettre les transitions pacifiques jusqu’ici, ils ont joué le jeu pour que le Bénin continue de progresser à son rythme jusqu’ici. Mais lui, il arrive et il a bouleversé toutes les règles, il ne joue pas le jeu, il s’accapare de tout. C’est impossible et le peuple béninois doit réfléchir et voir qu’il y a quand-même eu un problème. Tout le consensus hérité de la conférence nationale est mis à terre. Quelles actions cela nous inspire ? Nous allons participer au sein du peuple béninois à son éveil et à son organisation, pour se défaire de cette gouvernance qui est indigne de nous, indigne du peuple béninois actuel.
Propos recueillis à Cotonou, par Thomas Azanmasso, Correspondant Afrika Stratégies France