L’UFDD, un groupe rebelle, pose comme préalable à sa participation au futur dialogue national, la réhabilitation de Hissène Habré. La question divise.
« Ça, c’est vraiment de l’injure à mon égard. Je ne peux pas plaider pour ça quand je sais qu’il y a des gens qui souffrent », peste Jacqueline Moudeina, coordinatrice du collectif des avocats des victimes de la dictature de Hissène Habré qui ne dissimule pas sa colère devant cette demande.
Mais pour Mahamat Assileck Halata, premier vice-président, chargé de la communication et porte-parole de l’Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD), du général Mahamat Nouri, l’ancien président mérite d’être réhabilité.
Selon lui, « qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas, Hissène Habré est un fils du Tchad et a les mêmes droits que tout autre Tchadien. Hissène Habré, n’est-ce pas qu’il a été condamné ? N’est-ce pas qu’il a fait la prison ? Est-ce que Habré n’a pas payé ? Le dialogue veut qu’on fasse des sacrifices », dit Mahamat Assileck Halata.
Des sacrifices dont ne souhaite pas entendre parler Jacqueline Moudeina.
« Nous avons obtenu le jugement et la condamnation de Hissène Habré, mais pas l’indemnisation des victimes. Si les gens ne veulent pas s’asseoir à la même table que les autres Tchadiens, qu’ils trouvent d’autres alibis. La page ne sera pas tournée », déclare madame Moudeina.
Un président-dictateur
Hissène Habré n’était pas un président normal, ajoute Migo Natolban, président et animateur du Réseau des citoyens, une web radio très suivie par les Tchadiens.
« Il a régné en tant que dictateur sanguinaire. Il a massacré le peuple tchadien. On ne peut pas réhabiliter un dictateur, un sanguinaire après sa mort », affirme-t-il.
Pour Saleh Kebzabo qui dirige l’Union nationale pour le développement et le renouveau (UNDR), ce débat n’est pas opportun.
« Parce que justement Hissène Habré ne fut pas n’importe qui. Il faut donc que les Tchadiens attendent soit le dialogue, soit même le pouvoir qui sera élu démocratiquement », soutient l’opposant historique à Idriss Déby Itno qui est aussi le premier vice-président du comité d’organisation chargé de préparer la future conférence nationale de réconciliation, prévue d’ici à la fin de cette année.
« Combattant du désert »
« Combattant du désert », « homme des maquis », « chef de guerre »: les qualificatifs abondent pour exalter ses qualités militaires du temps de sa superbe.
Son parcours dans les années 1970 et 1980 s’inscrit dans l’histoire agitée du Tchad indépendant dont il a été le troisième président.
Né en 1942 à Faya-Largeau (nord), Hissène Habré grandit dans le désert du Djourab, au milieu de bergers nomades. Intelligent, il est remarqué par ses maîtres.
Devenu sous-préfet, il part étudier en France en 1963, à l’Institut des hautes études d’Outre-mer. Il étudie ensuite le droit à Paris, y fréquente l’Institut d’études politiques et fait sa préparation à la vie politique en lisant Frantz Fanon, Ernesto « Che » Guevara, Raymond Aron.
De retour au Tchad en 1971, il rejoint le Front de libération nationale du Tchad (Frolinat), dont il prend la tête, avant de fonder avec un autre nordiste, Goukouni Weddeye, le Conseil des forces armées du Nord (Fan).
À partir de 1974, il se fait connaître à l’étranger en retenant en otage – durant trois ans – l’ethnologue française Françoise Claustre, obligeant la France à négocier avec la rébellion.
Il sera ensuite Premier ministre du président Félix Malloum, avec qui il rompra, puis ministre de la Défense de Goukouni Weddeye, président du Gouvernement d’union nationale créé en 1979.
Hissène Habré le nationaliste
Nationaliste convaincu et farouchement opposé au dirigeant libyen de l’époque, Mouammar Kadhafi, qui a les sympathies de Weddeye, il rompt peu après avec son ancien allié, déclenchant une guerre civile à N’Djamena, qu’il doit évacuer fin 1980.
A partir de l’est du Tchad où il a repris le maquis, il combat Goukouni Weddeye soutenu par Tripoli, pour rentrer victorieusement à N’Djamena en 1982.
Son pouvoir, soutenu face à Kadhafi par la France et les Etats-Unis, durera huit ans.
Cette période est marquée par une terrible répression : les opposants – réels ou supposés – sont arrêtés par la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS, police politique), torturés, souvent exécutés.Une commission d’enquête estimera à plus de 40.000 le nombre de personnes mortes en détention ou exécutées sous son règne, dont 4.000 identifiées nommément.
En décembre 1990, Habré quitte précipitamment N’Djamena, fuyant l’attaque éclaire des troupes rebelles menées par Idriss Déby Itno, un de ses généraux qui a fait défection 18 mois plus tôt et envahi le pays depuis le Soudan.
Le président Idriss Déby, tué en avril 2021 par des rebelles venus de Libye, dirigera le Tchad d’une main de fer pendant 30 ans.
Chassé du pouvoir, Hissène Habré trouve refuge à Dakar pour un exil qui sera paisible pendant plus de vingt ans.
Afrika Stratégies France avec Deutsche Welle Afrique