Ils sont trois. Une musicienne engagée originaire de la Côte d‘Ivoire, un consultant financier venu du Bénin et une jeune entrepreneure qui investit au Sénégal. Ils ont en commun d’être de jeunes élites de la diaspora africaine en France (pays où sont édités les billets CFA) mais aussi et surtout, de venir de pays qui ont en commun une monnaie éponyme. Dans le cadre d’une série de dossiers que publie, en rapport avec l’actualité, Afrika Stratgies France, ils se prononcent sur cette monnaie qui lie depuis 1945 leurs pays à la France. Des liens aux relents parfois scandaleux, paradoxaux et incestueux, tous tirés de l’ADN de la françafrique, cette tumultueuse relation, sans cesse incriminée, qui lie l’ancienne puissance coloniale à ses territoires indépendants. Créé en 1945 la zone franc a été réorganisée en 1959.Ces dernières années, des voix se font de plus en plus fortes et nombreuses pour demander l’abolition ou au moins, la remise en cause du CFA, imprimé en France et garanti par Paris auprès de la Banque centrale européenne. Des citoyens des 14 pays qui l’ont en partage veulent avoir la souveraineté sur leur monnaie. Nous avons donné donc la parole à la diaspora africaine pour en parler. 3 réactions. Chaque texte est original par l’angle, la subtilité, les illustrations… Mais ils partagent une conclusion commune, la remise en cause de cette monnaie « économiquement inefficace, politiquement illégitime, socialement inéquitable et historiquement indigne » selon l’économiste Kako Nubukpo qui coordonne les états généraux du CFA et alternatives.
Ôlechka K. Tchalova : « Un long chemin… »
Musicienne originaire de la Côte d‘Ivoire et de la Russie, Ôlechka est aussi traductrice « russe-anglais » à Paris où elle vit. Très engagée sur la défense de l’identité noire, elle multiplie des post sur les réseaux sociaux pour défendre l’Afrique.
Un long chemin a été parcouru pour arracher les indépendances des anciennes colonies françaises. Mais les indépendances africaines ont-elles réellement été acquises? Que ce soit par la départementalisation pour les Caraibes ou par des relations françafricaines opaques, les relations de la France avec ses anciennes colonies restent encore très étroites. Des relations basées sur l’exploitation des ressources africaines au profit de l’Occident et non pas des Africains. Tout ce qui fait la souveraineté d’un état reste encore du domaine de l’inaccessible pour de nombreuses anciennes colonies françaises, souvent qualifiés de pays en voie de développement ou «émergents».
Mais pourquoi sommes-nous toujours en voie de développement? Et pourquoi les anciennes colonies anglophones sont-elles plus prospères ? Quels sont les freins au développement des anciennes colonies françaises? Et quels sont les outils de domination et de soumission d’un état par un autre état? Il y d’abord le secteur-clé d’un état, la défense: l’armée française n’a jamais quitté le sol africain. Que fait l’armée française dans ses anciennes colonies pourtant souveraines ? Puis, il y a l’économie – les économies des anciennes colonies françaises sont paralysées par le FCFA, une monnaie directement héritée de l’époque coloniale, le temps de la puissance de l’empire colonial Français. C’est ainsi que les économies de pays africains souverains en voie de développement sont soumises au contrôle permanent de la France, du FMI, de la Banque Mondiale et de la communauté internationale. Peut-on, dans ces conditions, parler d’indépendance, quand la monnaie d’un état est fabriquée à l’étranger, en région parisienne, par l’ancien état colonisateur ?
Je suis pour l’abolition du FCFA car l’argent est le nerf de la guerre. C’est par l’argent qu’une communauté s’émancipe, c’est par le contrôle de sa monnaie qu’un pays peut bâtir une économie prospère. Le contrôle de la monnaie, des ressources et de l’armée sont les garants d’une réelle souveraineté d’un pays. Et, à l’évidence, cette indépendance, cette souveraineté n’est pas encore acquise par les anciennes colonies françaises même si un long chemin a été parcouru depuis les indépendances. Peut-être parce que l’Afrique sous-estime ses richesses, dont la valeur est, pourtant, évidente … Le chemin à parcourir est encore long.
Dîne Eric Adéchian : « La polémique CFA se fonde sur une légitimité souverainiste, anticolonialiste et populiste »
Consultant financier originaire du Bénin, Eric est blogueur économique et analyse politique. Souvent présent sur des médias africains, il fait de la libération économique du continent un défi.
Pour faire une analyse pertinente de la question du franc CFA avec la France et les 14 états subsahariens d’Afrique francophone qui l’utilisent comme monnaie, je nous exhorte à nous départir de toutes les considérations évoquées supra. Pourquoi? Parce que beaucoup de non-dits ou de fausses informations participent à la désinformation sur le franc CFA. Je prends pour preuves les déclarations des officiels italiens notamment le vice premier ministre du Conseil italien, Luigi Di Maio qui a affirmé je cite «Il y a des dizaines de pays africains où la France imprime une monnaie, le franc des colonies, et avec cette monnaie, elle finance la dette publique française.»
La problématique du franc CFA devrait être appréciée sous un angle holistique. Le Franc CFA est avant tout, une monnaie, un instrument de politique économique (au même titre que le budget ou les revenus) gérée par les banques centrales. Le rejet de cette monnaie par les anti franc CFA ne porte pas simplement sur la dénomination mais sur la pertinence du compte des opérations logés au niveau du Trésor français dans lequel les 14 états de la zone franc abondent pour 50% de leurs avoirs. Sans m’apesantir sur des développements techniques nous nous rendons compte que la question du franc CFA est un débat économique technique mais qui se confond avec des enjeux politiques, géopolitiques voire même géostratégiques. Si les 14 états de la zone franc souhaiteraient se libérer de cette « monnaie de servitude », la responsabilité leur incombe plutôt qu’à la France. Les activistes africains voulant l’abolition de ce contrôle monétaire de la France sur ses anciennes colonies doivent faire pression sur leurs responsables politiques afin que les lignes bougent.
Le maintien ou la sortie du franc CFA relève des prérogatives nationales des dirigeants des 14 états membres de l’UMOA. S’en prendre à la France ne changera en rien le sort des jeunes populations qui aspirent à une gouvernance monétaire continentale.
Fanta BAYO : « Cette monnaie impacte négativement sur les transferts de fonds entre l’Afrique et sa diaspora ».
Fanta Bayo n’est pas qu’une africaine originaire du Sénégal, elle est une combattante aux côtés de Ousmane Sonko, contre le CFA. Son engagement auprès du candidat de Pastef pour la présidentielle du 24 février est aussi motivé par l’envie de contribuer à la « libération économique de l’Afrique ».
La prononciation du nom de la monnaie « Franc CFA » soulève en elle-même une grande interrogation et doit par conséquent pousser à une réflexion mûre ! Quelle est l’origine de l’appellation de cette monnaie ? Le « Franc CFA » : Franc des Colonies Françaises d’Afrique avant de devenir Franc de la Communauté Financière Africaine pour les pays de l’Uemoa et Franc de la Coopération Financière en Afrique Centrale pour les pays de la Cemac est une devise créée par l’Etat français pour ses colonies. On comprend très rapidement que cette monnaie n’est pas la monnaie propre d’un Etat africain mais une monnaie qui a été imposée lors de la colonisation. Un pays qui se dit indépendant comme le Sénégal par exemple, est censé dans la logique des choses avoir sa propre monnaie aujourd’hui et la gérer elle-même.
On « menotte » les personnes vivant dans le pays mais pas seulement, des milliers de jeunes de la diaspora veulent créer des entreprises en Afrique et se retrouvent malheureusement pris au piège. Je peux vous témoigner de mon expérience, je me suis lancée dans le commerce de cosmétiques il y a 1 an à Dakar dans la capitale du Sénégal et je me suis tout de suite rendu compte que cette monnaie, le Franc CFA, ne me permettait pas d’avoir de bénéfices remarquables (au vu des dépenses réalisées en euros).Vivre à l’étranger avec un revenu moyen et avoir un commerce dans ces pays où le Franc CFA prend place, n’apporte pas de gain.
Actuellement, les réelles questions qu’il faut se poser sont : Qu’attendons-nous pour prononcer la sortie du Franc CFA ? Pourquoi tant de réticence alors que les résultats nous montrent que cette monnaie nuit à l’économie africaine? La sortie du Franc CFA est possible si nous le souhaitons réellement … Le Rwanda et le Ghana sont deux pays africains à titre d’exemple qui n’ont jamais eu le Franc CFA et sont pourtant des modèles économiques sur le continent.
Pour conclure, nous devons reconnaître que cette monnaie ne nous est pas favorable et ne mènera jamais un pays vers son émergence. Un plan de travail minutieux doit certes être élaboré et exécuté pour l’avant et l’après retrait du Franc CFA mais retenons que c’est la colonne vertébrale du développement des nations africaines qui en jeu d’où l’urgence de passer à l’action sans plus attendre.
Propos recueillis par Yasmina Fadhoum, Paris, Afrika Stratégies France