Le syndrome du 3è mandat est devenu prégnant en Afrique de l’Ouest. Après la sonde envoyée par Alassane Ouattara qui n’a pas reçu un accueil favorable, un autre coup de force se signale du côté de Conakry. Alpha Condé dont le dernier mandat arrive à échéance fin 2019 semble plus que tenté par les prolongations, mijotant une révision constitutionnelle pour «moderniser des institutions». Mais pour l’opposition, c’est le verrou de la limitation des mandats que vise ce projet et qu’elle promet d’empêcher.
Alpha Condé a-t-il l’intention de tripatouiller la constitution guinéenne pour s’offrir un troisième mandat en 2020 ? La question vaut son pesant d’or au vu de certains signes qui ne trompent pas. En effet, le mandat des députés guinéens, arrivé à terme le 13 janvier 2019, a été illégalement prorogé par décret. Ce fut l’acte premier qui a mis la puce à l’oreille, à l’opposition. Pour sûr, celle-ci n’a nullement l’intention de se faire surprendre par le pouvoir. Elle est sur ses gardes. Prêt à en découdre ! D’ailleurs, des soupçons nourris à l’endroit du régime ont donnée naissance, dans la foulée, au Front national pour la défense de la constitution (Fndc). Et ces dernières semaines, les militants hostiles au troisième mandat, réel ou imaginaire, ont multiplié des mouvements de protestations. Un message clair lancé à Alpha Condé qui n’a pas manqué de réagir. Mais comment ?
Gare aux trouble-fêtes !
Le président guinéen ne veut, en aucun cas, faire cadeau aux protestataires qui croient devoir le sevrer, de sitôt, des délices et des coulisses du pouvoir. En dépit du caractère pacifique des manifestations, celles-ci sont brutalement réprimées. Les manifestants sont arrêtés pour faire l’exemple et étouffer toute protestation. Récemment, ce sont 7 membres du Fndc qui ont été interpellés dans la ville de Kindia, à 135 km de Conakry. Jugés, ils ont été condamnés début mai à 3 mois de prison ferme et à une amende de 500 000 francs guinéens (31 788,36 FCFA). «C’est une condamnation injuste qui ne repose sur aucune base légale», s’indigne Me Salifou Beavogui leur avocat. Il se dit «surpris»et «écœuré» que le juge ait une main aussi lourde sur des innocents qui n’ont fait «qu’exprimer comme tout le monde leur opinion». Mais pas sûr que l’opposition recule.
L’opposition influencée ?
Lorsque le projet d’Alpha Condé se précisera, les tensions risquent de se cristalliser dans ce pays sensible et fragile. Puisque l’opposition compte s’ériger en rempart contre ceux qui voudraient«imposer une nouvelle dictature à la Guinée». «La Guinéens ne demandent pas une nouvelle constitution. Il y a juste une manipulation du pouvoir qui voudrait modifier les dispositions relatives au nombre de mandats et l’aspect intangible de la constitution pour permettre à un président vieillissant de rester encore éternellement au pouvoir, sous prétexte que c’est le peuple qui le demande», récuse Aliou Bah, président du Mouvement démocratique libéral. Et selon Oumar Sylla du Fndc, les manifestations du pouvoir sont autorisées tandis que celles de l’opposition sont interdites. «Quand on sort dans la rue, ils nous arrêtent. Notre démocratie est menacée par celui qui, pendant toutes ces années a lutté pour le respect de la constitution».
Alpha Condé tel Gnassingbé, Deby, Sassou, Biya…
Alpha Condé n’a rien inventé. Il a vu faire un club de dirigeants africains. L’appétit venant en mangeant, M. Condé a l’intention de suivre les pas d’Idriss Deby (Tchad), Denis Sassou Nguesso (Congo), Obiang Nguema (Guinée Equatoriale) et Paul Biya (Cameroun). En clair, le président guinéen veut un nouveau mandat. Position âprement défendue par son clan. Pour l’anien journaliste Rachid Ndiaye, ministre d’État, conseiller à la présidence, le débat n’est pas de savoir si Alpha Condé briguera un nouveau mandat ou pas. En revanche, il s’agit de «mettre en place une nouvelle constitution qui serait en mesure de mettre la Guinée au diapason de nouveaux enjeux qui se posent à la société». M. Ndiaye poursuit en expliquant que cette nouvelle loi permet au pays d’aller vers une modernisation des institutions». Pourtant, l’histoire politique de la Guinée aurait pu inspirer une certaine retenue à Alpha Condé. Une pudeur. Car le pays a connu de longues décennies de dictatures et des massacres de Guinéens.
L’art de provoquer les vieux démons
Universitaire et surtout juriste de formation, Alpha Condé est la personne de qui on attendait le moins, ce jeu dangereux. Étant donné l’histoire et son propre parcours politiques, c’est un paradoxe. Le Pr. d’histoire n’a pas manifestement tiré les leçons de ce passé difficile de son pays. Après les sanglantes dictatures des présidents Sékou Touré (1958-1984), puis de Lansana Conté (1984-2008) et le passage très mouvementé de Dadis Camara (2008-2010), avec en toile de fond les tueries du 28 septembre dans le stade de Conakry, l’élection d’Alpha Condé a été un grand espoir pour les Guinéens. La Guinée retrouvait sa stabilité politique et devrait s’engager résolument sur la voie de la démocratie, préalable du développement. Mais la tentative de réveiller des vieux démons chez Alpha Condé est grande. Mais cela risque de saper les efforts que lui-même a fait pendant ses deux mandats et qui ont été salués par les partenaires au développement ces dernières années, met tout en péril.
Une croissance robuste tirée par les mines
Entre 2016 et 2017, la Guinée a atteint une croissance de 10% avant de retomber à 5,8% en 2018. Mais grâce aux Investissement directs étrangers, (Ide), elle «demeure robuste» tout de même.Un embonpoint à mettre sur le compte de l’industrie minière qui a d’ailleurs connu une croissance d’environ 50 % par an en 2016 et 2017. D’après les données officielles, la croissance du secteur non minier a pour sa part atteint 5,6 %, l’investissement dans les infrastructures et la croissance des secteurs primaire et tertiaire restent solides. Cette relative bonne santé de l’économie guinéenne pourrait prendre un coup fatal du fait de la situation politique. Des partenaires comme la Banque mondiale craignent que ces élections qui se profilent à l’horizon ne plombent les efforts de la Guinée. Des craintes bien justifiées étant donné le projet de modification de la constitution du pouvoir et les réaction de refus de l’opposition.
Les législatives annoncés pour la fin 2019
Les membres de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) installés depuis janvier, ont «analysé les recommandations» relatives à l’audit du fichier électoral lors d’une retraite à Kindia. C’est après cette rencontre qu’ils ont annoncé, début mai, la tenue des élections législatives. «Nous nous sommes donné un délai de sept mois pour organiser les législatives, 235 jours qui doivent nous permettre de tenir les élections dans de bonnes conditions, entre fin novembre et début décembre 2019», a indiqué Ibrahima K. Diakité, chargé de communication de la Commission la Ceni, cité par Jeune Afrique. Cette annonce bien qu’elle fût très attendue, est loin de convaincre l’opposition, alors même que la Ceni pris la résolution de corriger les imperfections. «Nous allons éliminer dans le fichier électoral les 25% d’électeurs fictifs ou en doublon qui y figurent, soit 1 500 000 de personnes », apromis M. Diakité.
L’opposition veut bien croire, mais…
Après détection des failles, la Ceni promet corrections puis élections. Elle envisage notamment de procéder dans les prochains mois à un recensement des quelques six millions d’électeurs guinéens. Mais pour l’opposition la tenue du calendrier est de la volonté ou non du régime en place. D’ailleurs, elle a des réserves sur la sincérité du calendrier annoncé. D’après Cellou Dalein, leader de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (Ufdg) chef de file de l’opposition, «en réalité, c’est l’exécutif qui est maître du calendrier électoral. Le respect du chronogramme dépendra de sa volonté (Ndlr : Alpha Condé), car il tient les cordons de la bourse». Ce scepticisme entretenu par le principal opposant au régime d’Alpha Condé, n’a pas l’air de plaire dans le camp présidentiel. «Je peux comprendre que certains expriment des soupçons, mais c’est irrationnel d’être catégorique. Pendant la retraite – de la Ceni à Kindia-, toutes les mouvances politiques étaient représentées, s’offusque Damaro Camara, président du groupe parlementaire RPG-Arc-en-Ciel (majorité).
Opposant historique, Alpha Condé a fait face aux régimes dictatoriaux qui ont dirigé ce pays depuis les indépendances en 1958. En 2010, il va gagner les premières élections démocratiques du pays. Réélu en 2015, il semble contaminer par le syndrome du 3è mandat. Mais son opposition est prête à lui barrer la route.
Frédéric NACÈRE, Dakar, Paris, Afrika Stratégies France