Président du parlement de son pays entre 2001 et 2012, cet agrégé de Sciences économiques (Université Aix-Marseille III) fait sien le combat contre le CFA. Sa légitimité sur le sujet, Koulibaly le doit à sa prolifique carrière. En 2000, il aura été ministre du budget puis de l’économie et des finances de la Côte d’Ivoire. Depuis, faisant le tour du monde et de l’Afrique, il pose la problématique du franc CFA (monnaie commune à 14 pays africains de l’ex colonie française) dans son contexte et propose quelques solutions. A Dakar, mi novembre, il présente « L’arme invisible de la françafrique : une histoire du franc CFA ». Le livre, signé de la journaliste de Médiapart Fanny Pigeaud et de l’économiste Ndongo Samba dénonce un deal monétaire, identifie les conséquences et ouvre une voie de sortie possible. Dans la capitale sénégalaise, Mamadou Koulibaly se confie à la rédaction de Afrika Stratégies France. Entretien.
Mamadou Koulibaly, vous avez co-présenté le livre de Ndongo Samba Sylla et Fanny Pigeaud sur le francs CFA. Quel en est le contexte ?
Il faut retenir qu’il y a un an déjà, j’étais à Dakar pour discuter du francs CFA et de ses problèmes. Depuis, ces deux auteurs montrent qu’il y avait une cellule de veille sur la question du CFA. Nous allons continuer à parler, à approfondir la critique et à approfondir aussi les propositions alternatives. Parce qu’il est établi clairement aujourd’hui et dans l’ouvrage c’est bien dit que le CFA est une grosse escroquerie. Il reste maintenant à faire en sorte qu’à défaut de convaincre les chefs d’Etat des pays de la zone franc à s’engager dans la sortie de ce système, à parler aux populations africaines de ces pays pour que cette opinion se soulève. Mais il s’agit aussi de parler à l’opinion européenne, à l’opinion française…, que les populations françaises comprennent bien que leurs dirigeants français ont mis en place un système monétaire dans les pays africains du franc CFA pour exploiter et les empêcher de se développer.
Pourtant Alassane Ouattara, président de la Côte d’Ivoire et ancien gouverneur de la Banque centrale défend de manière décomplexée me CFA comme gage de stabilité…
Oui ! Il a été gouverneur de la Banque centrale. Le franc CFA a ses défenseurs. Mais leurs arguments ne tiennent pas face aux nôtres. La question c’est que ce sont eux (chefs d’Etat) qui décident. C’est pour cela que maintenant notre plaidoyer ne s’arrête plus aux officiels des gouvernements. Nous continuons à leur expliquer parce qu’ils ne peuvent plus dire qu’ils ne sont pas au courant, mais notre plaidoyer s’adresse aux populations africaines et aux populations européennes surtout françaises.
Est-ce que finalement, vous n’occultez pas l’aspect « intégration régionale » que favorise le CFA ?
Vous mettez ensemble les pays qui ont des systèmes productifs différents. Certains ont un système productif compétitif, d’autres ont un système archaïque de production. Et vous placez entre eux un système monétaire avec un taux de change fixe. Résultat, ceux qui sont plus compétitifs pompent la richesse de ceux qui ne le sont pas. Ça se voit au sein de l’Union européenne. L’Allemagne est devenue encore plus puissante depuis l’instauration de l’euro là où la structure industrielle de l’Italie et de la Grèce ont perdu jusqu’à 50% de leurs capacités. Les usines sont Allemagne et puis la pauvreté dans les autres pays. C’est ce que nous vivons en Afrique depuis 1945. Il faut changer ça !
Après avoir fait l’option d’une monnaie indépendante, la Guinée en paie le prix…
Ne prenez pas les mauvais exemples. Il faut regarder la Tunisie, le Maroc, l’Algérie, le Vietnam, Madagascar où les monnaies nationales ont marché. Est-ce que la Guinée en sortant s’est donné les alternatives nécessaires ? Peut-être pas. Aujourd’hui tous les pays peuvent sortir individuellement ou collectivement pour créer leur monnaie. Techniquement, c’est possible, politiquement c’est possible. La France n’a pas d’autres moyens de faire pression. Le monde est global aujourd’hui. Il faut simplement le vouloir.
En lançant un concours pour la création d’un logo et du nom de la future monnaie unique, la Communauté économique des états de l’Afrique de l’ouest (Cedeao) a mis un peu la charrue avant les bœufs. C’est cela ?
C’est une réflexion à haute voix hein ! Parce que dans la stratégie normale de création d’une monnaie, on commence d’abord par conceptualiser cette monnaie commune de la Cedeao. Un document conceptuel doit être produit : – c’est quoi cette monnaie ? ça va servir à quoi ? Comme la commission Delors a produit le traité de Maastricht. Il faut le concept et une fois le concept adopté, on élabore le traité qui crée l’union économique et monétaire en question. Ensuite, ratifier le statut de la banque centrale qui va créer cette monnaie. Il y a enfin les détails techniques sur les questions de parités. Toutes ces étapes sont importantes.
On a donc brûlé des étapes préalables ?
Toutes ces questions devraient être discutées dans un statut dans la Banque centrale avec les problèmes de change, les problèmes de réserves. Après la banque centrale va vous demander nom de cette monnaie. Est-ce qu’elle va s’appeler le sikka ? Est-ce qu’elle va s’appelle wari, est-ce qu’elle va s’appeler le cauris ? Et puis comment ça va se dessiner les billets, les pièces ? Est-ce qu’il nous faut les billets de cents mille, est-ce qu’il nous faut des billets de dix mille, etc ? Où est-ce qu’on ira fabriquer ces billets ? Est-ce qu’on les faits à Guédiawaye, est qu’on les fabrique en Chine ou encore, à Abidjan ? Quel est l’imprimeur qui va fabriquer cette monnaie ? Quand vous commencez à vous habiller en portant votre pantalon, votre costume avant le sous-vêtement, on se demande comment vous allez sortir ?
Avez-vous adressez ces observations à la commission de la Cedeao ?
Je les ai formulées à plusieurs reprises à la commission…
Il se pose aussi la question de l’après CFA en termes de gestion de cette monnaie commune. Est-ce que cette question réglée ?
Ce sont les Etats qui doivent le régler. Mais théoriquement cette question est réglée, en termes de recherche. L’ouvrage dont on vient de parler trace les voies qui sont connues. On peut aussi s’inspirer des autres. Le Ghana, la Tanzanie, le Libéria ont fait comment ? Quand on n’a pas envie de bouger, on trouve des alibis. La monnaie c’est un objet de souveraineté. C’est aux hommes politiques de décider. Qu’ils fassent leur travail au lieu de commencer à crier déjà aux difficultés qui, elles, sont inévitables.
Propos recueillis à Dakar, par redaction@afrikastrategies.fr