La diva de la musique malienne a été arrêtée le 10 mars dernier, alors qu’en provenance de Bamako, elle se rendait à sa convocation par la justice belge à Bruxelles. Depuis, la justice a confirmé une semaine plus tard sa détention à la prison de Fleury-Mérogis (près de Paris). Alors qu’elle est française, disposait d’un passeport diplomatique, et surtout, se rendait « librement » à cette comparution, des questions se posent sur le bien fondé d’une telle détention. Pour y répondre, Afrika Stratégies France vous explique toute l’affaire en cinq questions-réponses.
Une affaire qui aurait eu plus d’échos si le coronavirus n’avait pas sur-occupé l’actualité. Une artiste de renommée internationale, qui accuse son ex compagnon d’attouchement sexuel sur sa fille a été arrêtée alors même qu’elle tentait, selon son avocat, de « protéger la gamine ». Sur fond d’accusations de racisme, le procureur de la République en France a appliqué à la lettre les deux mandats d’arrêt tous émis (en octobre 2019 et en janvier 2020) par la justice belge alors que la chanteuse dispose de « garanties de représentation » en France et n’avait aucune raison de fuir la justice. Malgré une tribune signée par d’éminentes personnalités et la pétition initiée par le Collectif des Mères veilleuses (Mère monoparentales en Belgique) qui a recueilli près de 30.000 signatures en quelques jours et l’implication de l’Etat malien, elle reste en prison. Des questions sans réponses se succèdent sur les forums de discussion. Pourquoi est-elle maintenue en détention ? La législation de quel pays doit-elle être appliquée ? La France peut-elle extrader une ressortissante ? Quel rôle joue l’Etat malien dans cette affaire et que risque Rokia Traoré ?
1– Pourquoi a-t-elle été arrêtée et détenue en France ?
Alors qu’elle était mère d’un garçon issu d’une précédente liaison (âgé aujourd’hui de 14 ans), la musicienne s’est mise en couple avec un belge dont elle a une fille aujourd’hui âgée de cinq ans. Lors de leur séparation, elle a décidé de garder, unilatéralement, la petite dont le père saisira la justice de son pays, la Belgique. Comme généralement en de pareils cas, la justice du pays a donné gain de cause à « son » citoyen. Rokia est accusée de « séquestration, enlèvement et prise d’otage » de mineure selon Me Kenneth Feliho, son avocat. En 2019, la justice belge avait rendu un jugement confiant la garde de l’enfant à son père. La malienne n’a pas daigné respecter cette décision alors qu’elle a promis, « dans un délai d’un mois » de présenter la petite à la justice à Bruxelles le 22 janvier 2020. Passé le délai, la justice belge a émis le mandat d’arrêt. C’est ce qui a motivé son arrestation à l’aéroport Charles de Gaulle alors qu’elle y était en transit vers la Belgique.
2- Quelles résidences et quelles nationalités sont prises en compte dans l’affaire ?
Rokia Traoré réside officiellement à Bamako, au Mali. Elle a une résidence secondaire (accessoire) en France mais ses enfants sont scolarisés dans son pays d’origine où, depuis quatre ans, elle les a déclarés, ainsi qu’elle-même, au consulat de France. Elle peut faire prévaloir, à la fois sa nationalité française ou malienne, la loi dans les deux pays autorise la double nationalité. Mais sa résidence officielle reste Bamako. Elle dispose d’ailleurs, en tant qu’ambassadrice de bonne volonté pour le Haut commissariat aux réfugiés (Hcr), d’un passeport diplomatique malien dont le procureur français a refusé de tenir compte. « C’est du racisme pur et simple » clame l’artiste qui bénéficie d’un énorme élan de solidarité. L’arrestation de Rokia Traoré viole la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 158 avril 1961 qui confère à son détenteur une immunité. Sauf que le passeport étant délivré par le pays pour lequel travaille son bénéficiaire, le pays de mission n’en respecte les dispositions qu’au cas par cas. Alors que la France ne doit pas extrader ses ressortissants, pourquoi Rokia Traoré pourrait-elle être remise à la justice belge ?
3- La France peut-elle extrader une ressortissante ?
Le principe de non extradition de ses ressortissants par la France (datant d’une loi du 10 mars 1927) est inviolable sauf exceptionnellement. Cette tradition, reprise par de nombreux pays, ne tient pas face au mandat d’arrêt européen avec l’espace Schengen. Mais malgré sa grève de faim et le risque selon son avocat qu’elle contracte le Covid-19 « compte tenu de son état d’affaiblissement », la justice française va statuer sur son extradition le 25 mars, vers la Belgique. Une exception imposée au niveau de l’Union européenne qui contraint les Etats membres à livrer leurs ressortissants aux pays tiers membre qui en font la demande. A une condition, que l’infraction dont est accusé le délinquant soit également punissable dans le pays d’origine, dans le présent cas la France. Et comme la loi française punit l’enlèvement, la séquestration et la prise d’otage, Rokia Traoré risque une extradition sauf si le Mali arrive à faire respecter le principe de l’immunité diplomatique.
4- Le Mali soutient-il la diva ?
Le Mali soutient ardemment sa star. Le ministère malien des affaires étrangères a protesté auprès de Paris du « non respect » du passeport diplomatique malien dont elle était détentrice au moment de son arrestation. Jean-Yves Le Drian qui est un ami personnel du président Malien a promis à Ibrahim Boubacar Kéïta de faire « tout ce qui est de son pouvoir ». Mais dans la pratique, l’appréciation de la validité de l’immunité que confère un tel passeport est au pouvoir discrétionnaire du juge qui ici, selon le témoignage de la détenue, a dit « n’avoir rien à foutre avec son passeport diplomatique », ce que dénonce son avocat qui exprime son « incompréhension ». »Si le passeport diplomatique d’un pays souverain n’a plus de valeur en France, cela est bien étonnant » s’offusque Me Feliho. Plusieurs émissaires de la présidence malienne se sont rendus en France et le président malien a exprimé sa « gêne » au téléphone avec son homologue français selon plusieurs sources concordantes.
5- Que risque-t-elle ?
Cinq ans de prison ferme. En Belgique. Elle pourrait purger une partie en France. Mais Rokia Traoré a porté plainte contre le père de sa fille pour « attouchement sexuel » aussi bien à Bruxelles qu’à Paris et à Bamako. Plus étonnant, la justice malienne avait rendu une décision confiant la garde de la fillette à sa mère et plusieurs conventions internationales protégeant l’enfance confère à la justice du pays de résidence de l’enfant la compétence pour juger d’une telle affaire. Mais pour le juge belge, il s’agit « d’une résidence forcée » dans la commission du délit dont est accusée la star malienne. Si l’artiste est condamnée, elle pourra purger, à sa demande, sa peine en France. La Belgique n’aura aucune raison de s’y opposer.
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