Il y a certes une opposition de styles au sommet de l’Etat en Tunisie. Mais, ce n’est pas très anodin, si le président de la République, Kaïs Saïed, fait ses prières du vendredi dans les mosquées populaires de la cité Ettadhamen ou de Mnihla, deux cités très populaires.
Le Président se permet également de s’inviter de manière inopinée à la rupture du jeûne dans une caserne de l’Armée ou de la Garde nationale. Il est clair qu’il se veut proche des quartiers populaires et des forces armées. Le chef du gouvernement, Hichem Mechichi et le président du Parlement, Rached Ghannouchi, ne peuvent pas se permettre pareilles présences publiques.
En plus et en l’absence d’une Cour constitutionnelle, qui n’a pas encore été désignée dans l’année suivant les élections, comme le prévoit la Constitution du 27 janvier 2014, le président Saïed est, selon les articles de la Constitution, «l’interprète» des litiges constitutionnels.
Ainsi, lorsqu’il a refusé de publier le remaniement ministériel, annoncé par Mechichi le 27 janvier dernier, toutes les instances juridiques ont appelé à l’élection des membres de la Cour constitutionnelle, soulignant que le président de la République est désormais la référence, de par sa fonction, en l’absence de ladite Cour.
Véritable imbroglio !
Le pire, c’est que la Tunisie traverse une réelle crise économique et financière. Elle a besoin de sept milliards de dollars pour boucler le budget 2021. Elle est très mal notée par les instituts internationaux (B : tendance négative), et doit parvenir à un accord avec les instances financières internationales. Le vice-président de la Banque mondiale, Farid Belhaj, a passé une dizaine de jours en Tunisie en mars dernier.
Il est rentré à Washington avec le désagréable constat de ces graves dissensions au sommet du pouvoir en Tunisie. Le président de la centrale patronale (Utica), Samir Majoul, considère que «si l’on ne parvient pas à adopter un plan de sauvetage pour le pays, nous sommes appelés à organiser des élections anticipées».
Mechichi déstabilisé
Pour Majoul, c’est le peuple qui décidera alors qui va le gouverner, face à cet échec. Mais, les forces politiques formant la ceinture parlementaire de l’actuel chef du gouvernement, Hichem Mechichi, refusent cette option de retour aux urnes. Les sondages les donnent perdants face au Parti destourien libre, la continuité de l’ancien régime de Ben Ali. Le président Saïed a également le vent en poupe.
Le système politique tunisien, issu de la Constitution de 2014, donne un pouvoir exécutif bicéphale. Le président de la République est élu au suffrage universel. Mais, il n’a de regard que sur la Défense et les Affaires étrangères. C’est le chef du gouvernement, nommé par l’Assemblée, qui préside l’administration et décide de la politique générale. L’Assemblée des représentants du peuple (ARP) incarne le pouvoir législatif.
Avec ces dispositions, le chef du gouvernement est très occupé par la gestion des affaires courantes, surtout avec un pays secoué par une crise socioéconomique et financière, doublée d’une crise sanitaire. Hichem Mechichi, car c’est de lui qu’il s’agit, peut rarement aller publiquement dans une mosquée, comme il l’avait fait pour commémorer le 17e jour du Ramadhan à Kairouan. Et c’était une cérémonie officielle.
A l’opposition de Hichem Mechichi, trop pris par les engagements de son poste, le président Kaïs Saïed, moins chargé par sa fonction présidentielle, s’est déjà permis de faire plusieurs sorties pour rompre le jeûne auprès des sécuritaires. La dernière de ses sorties fut avant-hier à Kasserine, dans la zone militaire fermée du Mont Chaâmbi, où il y a des maquis de groupes terroristes.
Le président Saïed fait également sa prière hebdomadaire de la Jomaâ dans des mosquées populaires. Il exploite ses sorties pour parler des différends qu’il a, avec les autres composantes politiques du pouvoir, sur l’interprétation de la Constitution.
Ainsi, devant l’état-major de l’armée à Chaâmbi, Saïed a rappelé qu’il est le chef suprême de toutes les forces portant des armes, y compris celles du ministère de l’Intérieur, bien que son prédécesseur, feu Béji Caïd Essebsi, ne s’est jamais prévalu de cette attribution.
Pareils agissements du président Saïed déstabilisent le chef du gouvernement, Hichem Mechichi, qui ne cesse d’appeler à se concentrer sur les réponses aux diverses crises traversées par la Tunisie. Mais, Kaïs Saïed ne l’entend pas de cette oreille.
Afrika Stratégies France avec El Watan