Appelés à la rescousse par l’Afrique, les Européens accélèrent leurs efforts pour sortir les stocks de céréales bloqués en Ukraine, notamment en négociant avec Moscou un accès sécurisé au port d’Odessa afin d’éviter une crise alimentaire mondiale. « La situation est préoccupante et le pire est peut-être devant nous », a averti le président de l’Union africaine Macky Sall par visioconférence aux chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne (UE) réunis en sommet à Bruxelles.
Alors que l’ONU craint « un ouragan de famines » dans des pays africains qui importaient plus de la moitié de leur blé d’Ukraine ou de Russie, le président sénégalais a exhorté les Vingt-Sept à tout faire « pour libérer les stocks disponibles ».
Face au blocus imposé par l’armée russe dans la mer Noire, paralysant le port stratégique d’Odessa, l’Ukraine cherche désespérément à exporter les quelque 20 millions de tonnes de céréales entreposées dans ses silos, et ce d’ici les prochaines récoltes cet été qui nécessiteront à leur tour d’être stockées.
Les Européens ne cessent de répéter que les sanctions occidentales contre Moscou ne sont « pas responsables » des tensions sur les marchés alimentaires, entraînées par l’offensive de la Russie – accusée mardi 31 mai par le premier ministre belge Alexander De Croo de « prendre en otage les céréales mondiales ». Outre le blocus des ports, Moscou « bombarde délibérément entrepôts et champs », a affirmé la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen.
Lever le blocus du port d’Odessa ?
Pour autant, « gagner la bataille pour la sécurité alimentaire est important d’un point de vue stratégique » pour les Européens car, dans le cas contraire, les pays africains déjà peu enclins à soutenir les Occidentaux face à Moscou « se sentiront trahis », a mis en garde le premier ministre italien Mario Draghi.
Le président français Emmanuel Macron a annoncé mardi avoir proposé à son homologue russe Vladimir Poutine le vote d’une résolution à l’ONU pour lever le blocus d’Odessa. Avant de déminer le port pour permettre aux vraquiers d’y accoster, « il faut des garanties de sécurité aux Ukrainiens » – l’assurance que les Russes n’en profiteront pas pour attaquer –, a souligné M. Macron.
« Il n’est pas question que, sous couvert d’un corridor maritime, il y ait une fragilisation de la situation sécuritaire de l’Ukraine », a renchéri Charles Michel, président du Conseil (organe représentant les Etats membres de l’UE).
M. Macron a mis en avant « le rôle important » de la Turquie, membre de l’OTAN et qui détient une position stratégique en mer Noire. Mais « il faut éviter qu’un pays de l’OTAN puisse se retrouver, sans le vouloir, pris dans un incident débouchant sur un conflit », s’inquiète un responsable européen. Selon Mario Draghi, Vladimir Poutine a déjà indiqué qu’il pourrait ouvrir l’accès à Odessa « à condition que les navires ne transportent pas d’armes », ce qui suppose des « contrôles ».
Mise en place de « voies prioritaires »
Dans l’immédiat, les dirigeants des Vingt-Sept veulent accélérer la mise en place de « voies prioritaires » pour sortir les céréales ukrainiennes par route, chemin de fer, voire par péniche sur le Danube. « C’est compliqué pour des raisons logistiques et plus onéreux », a cependant noté Charles Michel. Ces voies permettront au mieux de transporter un tiers des stocks de blés, selon une source européenne.
Les wagons ukrainiens ne sont pas compatibles avec les réseaux ferroviaires de l’UE, en raison d’un écartement des roues différent, ce qui oblige à la frontière à transborder les céréales dans des camions ou des wagons au standard européen.
Macky Sall s’est aussi alarmé des conséquences des sanctions européennes sur le commerce de céréales, alors que l’UE va exclure la principale banque russe, Sberbank, du système financier international Swift, une messagerie sécurisée cruciale pour les transferts de fonds. « Quand le système Swift est perturbé, cela veut dire que même si les produits [à acheter] existent, le paiement devient compliqué, voire impossible », s’inquiète-t-il.
Le président sénégalais a également averti que la flambée des prix des engrais – principalement produits en Russie, en Ukraine et au Bélarus – pourrait provoquer un effondrement « de 20 à 50 % » des rendements céréaliers en Afrique cette année. « Les mécanismes sont en place pour aider à ce que les paiements puissent être faits et qu’il y ait la possibilité de faire acheminer ces engrais », a assuré Emmanuel Macron.
Avant la guerre, Russie et Ukraine assuraient à elles deux 30 % des exportations mondiales de blé. L’Afrique, qui en est extrêmement dépendante, comptait en 2020 quelque 282 millions de personnes souffrant de sous-alimentation, selon l’ONU.
Afrika Stratégies France avec Le Monde Afrique