Au Mali, cela fait presque trois semaines que le gouvernement de transition a annoncé l’interdiction dans le pays des ONG recevant un appui financier, technique ou matériel de l’État français. Une mesure radicale, qui a pris de court tout les acteurs du développement et de l’ aide humanitaire, et que Bamako avait justifié en dénonçant une aide « déshumanisante », un « moyen de chantage » et un « soutien aux groupes terroristes » au Mali. De nombreuses ONG avaient immédiatement suspendu leurs activités, totalement ou partiellement. Toutes les organisations travaillant au Mali attendaient également les précisions de Bamako sur les modalités d’application de cette interdiction. Où on est-on aujourd’hui ?
« Nous avons stoppé les programmes financés par la France, nous poursuivons les autres ». Ce cadre d’une ONG malienne explique chercher « dans l’urgence » de nouvelles sources de financement pour l’avenir : « Certains programmes devaient être financés par l’AFD (Agence française de développement) donc nous avons annulé nos demandes et nous cherchons des bailleurs de remplacement. Si nous ne trouvons pas, ce sera très dur. »
Certaines ONG françaises, financées partiellement seulement par de l’argent public français, mais qui avaient par précaution suspendu immédiatement la totalité de leurs activités et, pour certaines, initié le rapatriement de leur personnel français, font machine arrière : « On voit que les ONG françaises peuvent continuer à travailler, explique une source humanitaire française, ce qui est ciblé pour le moment ce sont les financements de l’État français. »
« Combler ce vide »
Mais de nombreux programmes, mis en oeuvre par des ONG de toutes nationalités, sont toujours à l’arrêt, pénalisant des milliers de bénéficiaires en situation de détresse, par exemple des déplacés internes dans les régions du Nord. Le gouvernement malien de transition s’est engagé, mais après seulement avoir annoncé sa décision, à en évaluer « les effets sur les populations » et à « prendre les mesures nécessaires pour les accompagner ». « On attend de voir, commente encore un associatif malien, on se demande comment ils vont pouvoir combler ce vide. »
« Nous ne leur répondrons pas »
Les ONG présentes au Mali, de toutes nationalités, ont reçu un courrier de leur ministère de tutelle (qui varie selon leur secteur d’activité) leur demandant de préciser leurs sources de financement. Les gouverneurs de chaque région ont formulé la même demande, et le ministère malien des Affaires étrangères a sollicité les ambassades présentes à Bamako sur le même motif. « Nous ne leur répondrons pas », indique un diplomate européen, « nous n’allons pas les aider à traquer les ONG ». Et de rappeler que toutes les ONG sont soucieuses de leur indépendance – elles sont précisément « non gouvernementales » – et qu’elles sont par surcroît enregistrées au Mali et en contact direct avec les autorités.
« Ils nous demandent de répondre à leur courrier sur nos sources de financement, mais ils ne répondent toujours pas à nos questions », déplore le dirigeant d’une ONG malienne, qui s’interroge par exemple sur la « légalité » de fonds multilatéraux auxquels la France participe, comme ceux de l’aide européenne. D’autres questions plus techniques demeurent également sans réponse.
Apaisement et crainte
Les acteurs interrogés, qui redoutaient des mesures répressives de plus grande ampleur, jugent unanimement le climat « plus apaisé ». « Ca se tasse et ça arrange tout le monde », analyse l’un d’entre eux, qui estime que les ONG veulent continuer de travailler et que cette volonté est largement partagée par les représentants locaux des autorités maliennes, qui ressentent plus directement les conséquences directes sur le terrain des arrêts d’activité.
Mais tous partagent également la même crainte : que les autorités maliennes de transition n’utilisent le flou encadrant toujours l’application de cette mesure d’interdiction pour contrôler leurs activités et disposer, le cas échéant, d’un moyen de pression. Les ONG travaillant dans des secteurs sensibles comme ceux du dialogue intercommunautaire ou de l’aide d’urgence dans des zones où l’armée malienne et les jihadistes s’affrontent sont les premiers à s’inquiéter de cette nouvelle « épée de Damoclès ».
Enfin, cet intéressant commentaire d’un cadre d’ONG française, relatif à la politique intérieure du Mali : « On verra si le Premier ministre Choguel Maïga, de retour à la Primature, se saisit du dossier ou s’il laisse la patate chaude à son prédécesseur », le colonel Abdoulaye Maïga, lui-même titulaire du portefeuille de l’Administration territoriale et donc directement concerné par la mise en oeuvre de l’interdiction qu’il avait personnellement annoncée.
Afrika Stratégies France avec RFI