La convocation est datée du 20 avril et signée par le juge d’instruction Mahamoudou B.Dicko qui officie au pôle économique et financier du tribunal de grande instance de la Commune III du district de Bamako. En quelques lignes, il « invite » Jean-Yves Le Drian à « se présenter à son cabinet » le 20 juin à 8 heures « pour une affaire le concernant ».
« L’affaire » en question a été ressuscitée en février dernier par une plainte du mouvement Maliko. Regroupant plusieurs organisations de la société civile, il accuse le ministre français des Affaires étrangères d’avoir porté « atteinte aux biens publics aux dépens de l’État ». Thomas, le fils de Jean-Yves Le Drian, est également visé par la plainte.
Le dossier remonte à 2015, lorsque Ibrahim Boubacar Keïta, alors au pouvoir, confie à Oberthur Technologies, aujourd’hui Idemia, la fabrication des passeports biométriques au Mali. Une décision que Maliko considère comme « illégale » car prise sans appel d’offres.
À l’époque déjà, ce choix fait polémique : pourquoi avoir choisi l’entreprise française alors que la Canadian Bank Note (CBN), la société canadienne qui détenait le marché depuis 2001, proposait des conditions financières plus avantageuses pour l’État malien ?
Dans une longue enquête de Jeune Afrique parue en juin 2021, plusieurs acteurs et témoins affirmaient que l’ancien maire de Lorient, très impliqué dans la politique de sa région, avait fait un lobbying intense auprès d’Ibrahim Boubacar Keïta pour que l’entreprise bretonne soit choisie. « Le Drian y tenait tellement qu’il a mentionné l’engagement militaire français au Mali lors des négociations », révélait alors un des proches collaborateurs d’IBK. Des accusations que le ministre français a toujours niées.
Affaire politique ?
Joint par Jeune Afrique, son service de communication affirme que le ministre « n’a jamais eu connaissance » et « n’a jamais reçu » aucune convocation de la justice malienne. Une source dans son entourage dénonce « une manœuvre politique ». « On sait de quoi est capable la junte malienne pour s’en prendre à la France », lâche-t-elle.
Fin de l’impunité ou justice aux ordres ? La convocation de Jean-Yves Le Drian intervient dans un contexte de relations exécrables entre la France et le Mali. Près de deux ans après la chute d’IBK et l’arrivée de la junte d’Assimi Goïta au pouvoir, chaque semaine semble marquer un nouveau pas dans l’escalade. Si bien que l’ancien ministre préféré des présidents africains fait désormais figure d’ennemi public à Bamako.
Pour Jean-Yves Le Drian, ce démêlé judiciaire arrive à un moment délicat. Après la réélection d’Emmanuel Macron pour un second mandat, la place de cet élément central de la politique française dans le nouvel exécutif semble remise en jeu.