Pour la première fois depuis la normalisation entre les deux États, le chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, s’est rendu en Israël. Une visite inédite pour un sommet historique entre les Israéliens, les Américains et quatre pays arabes.
« J’espère qu’on se reverra bientôt dans un désert différent mais avec le même esprit ». Ce 28 mars, à l’occasion d’un point presse pour clôturer les travaux du Sommet du Néguev, en Israël (un désert situé dans le sud de l’État Hébreu), le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, a fait sensation dans les médias en faisant un clin d’œil non dissimulé au désert du Sahara.
Son souhait pourrait bien devenir réalité puisque, selon le chef de la diplomatie israélienne, Yaïr Lapid, ce sommet, organisé à la dernière minute par les Israéliens dans le cadre de la tournée du secrétaire d’État américain, Antony Blinken, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, est voué à devenir un forum annuel.
Un sommet historique sous tension
« Historique », « symbolique », les mots ne manquent pas pour décrire « le coup » réalisé par les autorités israéliennes. Pour la première fois, l’État hébreu a accueilli sur son sol quatre membres de la Ligue arabe simultanément, ces 27 et 28 mars : l’Égypte mais aussi les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Maroc, trois signataires des Accords d’Abraham, en 2020, tous considérés comme « les nouveaux alliés d’Israël dans la région ». Plus d’un an après la normalisation des relations israélo-marocaines, c’est la première fois que Nasser Bourita se rend officiellement en visite sur place, ce qui fait de lui la “guest star” de l’événement.
Du côté israélien, tout a été pensé minutieusement : le sommet a eu lieu dans le désert du Néguev, à Sde Boker, l’un des derniers kibboutz du pays, où David Ben Gourion, fondateur de l’État israélien, a vécu les vingt dernières années de sa vie, avant d’y être enterré.
Hasard du calendrier : le 27 mars 2002 – il y a exactement vingt ans –, la seconde Intifada était arrivée à son paroxysme et l’Arabie saoudite, dans le cadre de la Ligue arabe, proposait un accord de paix préconisant la reconnaissance d’Israël par le monde arabe en échange de la solution à deux États. À cette époque, le roi Mohammed VI – au pouvoir depuis plus d’un an – avait rompu toutes relations avec Israël.
RENFORCER LA LÉGITIMITÉ RÉGIONALE D’ISRAËL ET FAIRE LA DÉMONSTRATION D’UN FRONT UNI ANTI-IRAN
Pour amplifier la dramaturgie, un attentat terroriste a frappé Hadera, une petite ville située entre Tel-Aviv et Haïfa, dans la soirée du dimanche 27 mars. Une fusillade revendiquée par Daech, dans laquelle deux policiers ont été tués et plusieurs Israéliens blessés. Yaïr Lapid et ses hôtes arabes étaient en train de dîner. »Tous les ministres des Affaires étrangères ont dénoncé l’attaque terroriste et demandé d’envoyer leurs condoléances aux familles et leurs vœux de rétablissement aux blessés », a déclaré le ministre israélien dans un communiqué.
La forme plutôt que le fond
Organisé dans un contexte inédit – les guerres en cours au Yémen et en Ukraine –, le Sommet du Néguev a un double objectif : renforcer la légitimité d’Israël et son importance régionale pour les pays arabes signataires des Accords d’Abraham et faire la démonstration d’un front uni anti-Iran, considéré comme une menace pour la stabilité de la région. Selon plusieurs experts, l’image – celle de quatre ministres arabes reçus dans un cadre chaleureux et intimiste par les autorités israéliennes – a semblé plus importante que le fond. Les détails des discussions de travail n’ont d’ailleurs pas encore été révélés.
RABAT ACCUSE RÉGULIÈREMENT LE “RÉGIME DES MOLLAHS” DE SOUTENIR ET D’ARMER LE POLISARIO
Sur place, le Maroc et Israël ont affiché des positions similaires, particulièrement sur la question iranienne. Rabat, qui a rompu ses relations avec Téhéran en 2018, accuse régulièrement le “régime des mollahs” de soutenir et d’armer le Polisario, et de vouloir ainsi déstabiliser l’Afrique du Nord, le tout avec la complicité de l’Algérie.
Un discours qui plaît aux Israéliens, dont l’intérêt est de renforcer les sanctions à l’égard de l’Iran. Cette convergence peut servir les intérêts du Maroc, qui verrait Israël servir d’intermédiaire entre Rabat et Washington afin de convaincre l’administration démocrate américaine de prendre définitivement position pour le royaume dans le dossier du Sahara.
Coopération militaire
Autre point d’accord entre Rabat et Tel-Aviv : la guerre menée par la Russie en Ukraine. Là encore, Israël, à la fois proche du bloc occidental et du Kremlin, ambitionne de se positionner comme un médiateur. Une ligne suivie par Rabat, qui évite soigneusement de se fâcher avec les deux adversaires pour conserver toutes ses cartes dans un contexte géopolitique incertain.
Jeudi 25 mars, trois hauts gradés de l’armée israélienne étaient en visite dans la capitale marocaine pour signer un protocole d’accord de coopération militaire avec les Forces armées royales (FAR), qui comprend notamment la création d’une commission militaire conjointe. Au cours du Sommet du Néguev, Yaïr Lapid a évoqué la nécessité de mettre en place une « architecture de sécurité régionale » entre Israël et les quatre pays arabes hôtes.
Afrika Stratégues France avec Jeune Afrique