Soixante ans après, Emmanuel Macron a commémoré, samedi 16 octobre, la nuit sanglante du 17 octobre 1961, au cours de laquelle au moins 120 Algériens ont été tués par la police française lors d’une manifestation à Paris.
Le chef de l’Etat « a reconnu les faits : les crimes commis cette nuit-là sous l’autorité de Maurice Papon sont inexcusables pour la République », a souligné un communiqué de l’Elysée.
« La répression fut brutale, violente, sanglante. Près de 12 000 Algériens furent arrêtés et transférés dans des centres de tri au stade Pierre-de-Coubertin, au Palais des sports et dans d’autres lieux. Outre de nombreux blessés, plusieurs dizaines furent tués, leurs corps jetés dans la Seine. De nombreuses familles n’ont jamais retrouvé la dépouille de leurs proches, disparus cette nuit-là. Le président de la République rend hommage à la mémoire de toutes les victimes. »
Geste inédit pour un président français, M. Macron a participé à un hommage sur les berges de la Seine, à la hauteur du pont de Bezons. Ce pont avait été emprunté, il y a soixante ans, par les manifestants algériens qui arrivaient du bidonville voisin de Nanterre à l’appel de la branche du Front de libération nationale (FLN) installée en France. Le président est allé déposer une gerbe, puis a observé une minute de silence, avant de s’entretenir avec des proches de victimes. Il n’a, en revanche, pas fait de discours.
Dans le communiqué diffusé par l’Elysée, il est mentionné que « la France regarde toute son histoire avec lucidité et reconnaît les responsabilités clairement établies. Elle le doit d’abord et avant tout à elle-même, à toutes celles et ceux que la guerre d’Algérie et son cortège de crimes commis de tous côtés ont meurtris dans leur chair et dans leur âme ». En 2012, le prédécesseur de M. Macron, François Hollande, avait, lui, évoqué une « sanglante répression », dans un communiqué.
Contexte tendu
Après la remise du rapport de l’historien Benjamin Stora sur la colonisation et la guerre d’Algérie (1954-1962), en janvier, le chef de l’Etat s’était engagé à participer « à trois journées commémoratives et emblématiques » : la première a eu lieu autour du 25 septembre, journée nationale d’hommage aux harkis et la seconde ce samedi. La troisième, ce sera le 19 mars pour les 60 ans des accords d’Evian, qui ont mis fin à la guerre d’Algérie. « Il faut que la France reconnaisse cette tragédie comme une tragédie inexcusable, comme une sorte de crime qui a été décidé », avait estimé un peu plus tôt, samedi, Benjamin Stora sur Europe 1 et Cnews. « Il y a une responsabilité de l’Etat sous l’autorité de Maurice Papon », préfet de police de Paris de 1958 à 1966.
Cette cérémonie s’est déroulée dans un contexte tendu entre Paris et Alger, après des propos de M. Macron rapportés par Le Monde, le 2 octobre. Le président français accusait le système « politico-militaire » algérien d’entretenir une « rente mémorielle » en servant à son peuple une « histoire officielle » qui « ne s’appuie pas sur des vérités ».
« Quel que soit l’état de nos relations avec l’Algérie et quelles que soient les positions des autorités algériennes sur la question, nous le faisons pour nous-mêmes, pas pour des raisons franco-algériennes », assure-t-on à l’Elysée.
Le chef de l’Etat, qui a entrepris un travail de mémoire inédit sur la guerre d’Algérie, souhaite avant tout « regarder l’histoire en face », comme il l’a fait au Rwanda en reconnaissant les « responsabilités » de la France dans le génocide des Tutsi de 1994. « Mais cela ne signifie pas réécrire l’histoire ou la réinventer », prévient l’Elysée.
« Le président de la République a décidé de mener cette bataille mémorielle de manière méthodique et organisée. Il y a eu Maurice Audin, Ali Boumendjel, le pardon aux harkis… On a plus avancé sur le chantier mémoriel en quelques mois qu’en soixante ans », assure M. Stora.
Afrika Stratégies France avec Le Monde Afrique