Me Amadou Aly Kane :« L’idée de la justice internationale reste une avancée malgré l’acquittement de Gbagbo »

Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé ont été acquittés et libérés par la Cour pénale internationale (Cpi). Peu avant eux, Jean Pierre Bemba avait été acquitté et a pu regagner son pays, la République démocratique du Congo.  Me Amadou Aly Kane, avocat au barreau de Dakar suit de près ces cas et se confie, dans la foulée, à Afrika Stratégies France qu’il reçoit dans la capitale sénégalaise. Nanti d’une spécialisation en Justice Pénale Internationale, il a été observateur du procès de Hissène Habré, ancien dictateur tchadien devant les chambres africaines extraordinaires à Dakar. Me Kane est dans le pool des avocats de Khalifa Sall, l’ex-maire de Dakar. Il évoque le cas de ce dernier ainsi que celui de Karim Wade.

 La Cour pénale internationale (Cpi) vient de prononcer l’acquittement de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo et de son acolyte Charles Blé Goudé. Comment réagissez-vous à cette décision ?

Je constate que la Cour pénale internationale n’est pas un chemin sans retour. Donc on peut aller à la CPI et revenir. Ce dont je me félicite, c’est qu’elle ait prononcé l’acquittement pour Jean Pierre Bemba d’abord, ensuite pour Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé.  C’est quelque chose de significatif. Ensuite, il faut se féliciter également que seul le droit ait été pris en considération. Les juges ont examiné les preuves de l’accusation.  Ils les ont trouvées légères. Ils n’ont pas regardé des considérations politiques. Je pense que c’est ce qu’un juge doit faire. Même si les faits qui sont intervenus se sont déroulés dans un contexte précis, le juge lui n’est pas un homme politique. Il doit examiner les faits froidement en regardant uniquement la responsabilité ou les responsabilités pénales des acteurs et c’est ce qu’ils ont fait. J’invite donc les juges africains à s’en inspirer également et à arriver à ce niveau de professionnalisme.

 Est-ce que ces diverses décisions de la Cpi en font moins « une justice de Blancs contre des Noirs » comme l’ont voulu faire croire certains ?

 Pour moi, c’est une fausse idée de dire que la Cpi est une justice des Blancs contre les Noirs. Je considère que la Cpi n’est pas parfaite parce que c’est une justice qui est à ses débuts. Mais il vaut mieux une justice imparfaite que l’absence de justice. Parce qu’en vérité, le simple fait que la Cpi existe fait réfléchir beaucoup de tyrans. Beaucoup de dirigeants réfléchissent avant de passer à l’action. De peur d’être inquiété par la justice internationale. Par exemple, aujourd’hui, nous savons que le Conseil de sécurité a le pouvoir de déférer des situations devant le procureur de la Cpi comme elle a le pouvoir d’arrêter les poursuites. Or le conseil de sécurité c’est qui ?

 Effectivement…

 Le conseil de sécurité c’est les grandes puissances et puis 5 grands qui disposent du droit de véto : la France, l’Angleterre, la Chine, les Etats-Unis et la Russie. Ils jouissent d’une forme d’immunité de fait et peuvent protéger leurs alliés. C’est ce qu’on a vu avec la Chine, c’est ce qu’on voit avec Israël. La Cpi doit finir par être universelle.

 En définitive vous récusez l’idée selon laquelle la Cpi ciblerait des dirigeants africains et protègerait les autres dirigeants à travers le monde…

 Je récuse cette idée, en tout cas dans sa formulation abrupte. Maintenant, encore une fois comme je l’ai dit, il y a une dimension politique dans l’action de la Cpi. Je viens de vous le dire. Vous ne pouvez pas poursuivre Israël parce qu’Israël ne fait pas partie du Traité de Rome. Le seul moyen de poursuive Israël, c’est une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies. Et vous savez qu’Israël a un allié qui s’appelle les Etats-Unis  et qui le protège. De même, vous ne pouvez pas déférer la Syrie parce que la Syrie a un allié qui s’appelle la Russie, qui dispose du droit de veto.

 Jean Pierre Bemba, acquitté, est rentré immédiatement au Congo. Pensez-vous que ça va être aussi le cas pour Gbagbo et Blé Goudé ?

 En principe, rien ne s’oppose à ce qu’ils rentrent dans leur pays sauf peut-être pour des raisons tenant à leur propre sécurité. S’ils estiment qu’ils peuvent être en sécurité dans leur pays, qu’ils ne seront pas persécutés, que leur intégrité physique sera sauvegardée, il n’existe pas un obstacle juridique qui les empêche.

 Vous pensez que l’autre camp, notamment Soro et Ouattara doivent être inquiétés par la Cpi ?

 Je ne vais pas citer les personnes parce que je ne connais pas ce que X ou Y a fait. Ce que je sais c’est qu’il y a une situation ivoirienne dans laquelle, il y a eu deux belligérants qui se sont affrontés et où il y a eu des victimes. Maintenant, on doit examiner la situation ivoirienne dans son entièreté. C’est à dire quelle a été la responsabilité de chaque camp et dans chaque camp, qui étaient les principaux responsables.

 La justice ivoirienne peut-elle inquiéter Gbagbo et Blé Goudé une fois à Abidjan ?

 Ils ont été poursuivis pour des faits liés à la situation de la crise post-électorale et ils ont été blanchis. La Cote d’Ivoire Etat-partie ne peut pas aujourd’hui aller à contre-courant de cette décision. Ce n’est pas possible.

 Revenons au Sénégal, Karim Wade et Khalifa Sall sont écartés de la présidentielle du 24 février, cela vous surprend-t-il ?

Du point de vue du droit c’est une décision qui nous surprend dans la mesure où le Conseil motive sa décision en invoquant les arrêts qui ont été rendus dans l’affaire de la caisse d’avance par la Cour d’appel de Dakar d’une part et d’autre part, l’arrêt de rejet et le pourvoi de Khalifa Sall et consort par la cour suprême le 03 janvier 2018. Or comme chacun le sait, la procédure judiciaire n’est pas encore terminée.

Ça veut dire qu’il y encore une lueur d’espoir pour l’ancien maire de Dakar ?

 Je veux dire qu’il y a encore une possibilité pour lui d’exercer un dernier recours. C’est le rabat d’arrêt, qui est un recours suspensif pouvant aboutir à la cassation de la décision du point de vue du droit et sur le plan juridique. Par conséquent, on peut considérer qu’il y a encore de l’espoir pour lui. Puisque s’il s’avère qu’il y a des erreurs de procédures qui ont été commises par la cour suprême, comme nous le pensons, cela peut entrainer la cassation de la décision du 03 janvier rendue par la chambre pénale.

Qu’en est-il du cas Karim Wade pour finir ?

 Pour le cas Karim Wade également, il a été jugé par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei). Et jamais, le procureur de cette cour spéciale n’a demandé que monsieur Karim Wade soit privé de ses droits civiques et politiques. La cour dit : « je ne le prive pas de ses droits d’être éligible, mais il est condamné à 5 ans pour enrichissement illicite ». Or le juge ici dit : – «écoutez, vous êtes condamné à 5 ans donc vous êtes privé de vos droits ». C’est incohérent !

 Propos recueillis à Dakar  par Frédéric Nacère, Correspondant régional

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