L’extrême pauvreté recule à l’échelle mondiale, mais la trajectoire est très inégale selon les régions. L’Afrique subsaharienne concentre désormais à elle seule plus de la moitié des personnes vivant avec moins de 1,90 dollar par jour. Soit 413,3 millions d’individus sur un total de 736 millions de pauvres dans le monde, en 2015, selon un rapport de la Banque mondiale (BM) publié mercredi 19 septembre.
Comme le souligne l’institution phare du développement économique, « le combat mené pour éradiquer la pauvreté (…) sera gagné ou perdu en Afrique subsaharienne ». L’échéance pour remporter cette lutte a été fixée à 2030. Le premier des dix-sept objectifs de développement durable (ODD), adoptés par les Nations Unies en 2015, prévoit de faire passer le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté à moins de 3 % de la population mondiale. Un dessein voué à l’échec ? « Il est encore possible d’y arriver mais ce sera difficile », estime Carolina Sánchez-Páramo, directrice de l’unité pauvreté de la Banque mondiale. Les données de l’institution révèlent pourtant quelques bonnes nouvelles. En 2015, dernière année pour laquelle des statistiques vérifiées sont disponibles, le taux de pauvreté est tombé à 10 % de la population mondiale, un plus bas historique. Selon des chiffres préliminaires, il aurait continué à diminuer, depuis, pour s’établir à 8,6 % cette année. En 1990, ce taux était encore de 36 %. Dans l’intervalle, plus de 1,1 milliard d’individus sont sortis de la grande misère grâce à l’amélioration de leurs conditions de vie. Malgré ces progrès incontestables, les experts de la BM notent avec inquiétude que le mouvement a ralenti ces dernières années. Et, surtout, qu’il masque de profondes disparités géographiques.
Développement spectaculaire de la Chine
Il y a un quart de siècle, la pauvreté extrême affectait majoritairement l’Asie orientale et le Pacifique. Le développement spectaculaire de la Chine a radicalement changé la donne. En 2015, ils n’étaient plus que 2,3 % parmi les habitants de cette région à vivre sous le seuil de 1,90 dollar par jour. Dans l’intervalle, le phénomène s’est de plus en plus concentré en Asie du Sud, et surtout, depuis 2010, en Afrique subsaharienne. Certes, en pourcentage, le taux de pauvreté y a diminué depuis 1990. Il y était alors de 54,3 % contre 41,1 % en 2015. Mais le nombre de déshérités n’a cessé d’augmenter, en même temps que la croissance démographique. Et si l’Inde était encore en 2015 le pays abritant le plus de pauvres dans le monde (170 millions de personnes), le gigantesque Nigeria, avec ses 190 millions d’habitants, est en passe de lui ravir cette triste place. Sur les 27 pays affichant les taux de pauvreté les plus élevés à travers le monde, 26 se trouvent sur le continent africain. Sans surprise, les pauvres sont plus nombreux dans les Etats en proie à des crises politiques ou des conflits armés. Beaucoup se situent en Afrique mais pas uniquement. Ainsi, les guerres en Syrie et au Yémen ont entraîné un doublement de la masse d’individus pauvres dans la région Proche-Orient et Afrique du Nord, entre 2013 et 2015, pour atteindre 5 % de la population.
Croissance inégalitaire et peu créatrice d’emplois
L’augmentation des chiffres du dénuement en Afrique tient aussi largement à des causes économiques, à la fois conjoncturelles et structurelles. « La croissance dans la région a été plus faible ces dernières années, rappelle Mme Sánchez-Páramo. A cela s’ajoute la nature de cette croissance. » De nombreux pays africains sont des producteurs de matières premières dont les phases d’expansion économique profitent peu aux ménages situés tout en bas de l’échelle des revenus. La croissance y est inégalitaire et peu créatrice d’emplois. Résultat, selon les experts, « le taux de pauvreté devrait se maintenir à deux chiffres d’ici à 2030, faute de véritable changement de politique ». Ce constat, insiste Mme Sánchez-Páramo, doit être interprété au sens large : « Etre pauvre, cela ne concerne pas seulement le niveau de revenu et de consommation. C’est aussi faire face à toutes sortes de privations touchant l’accès à l’éducation, aux services de santé ou à l’eau potable, et être davantage exposé aux fragilités climatiques. »
Marie de Vergès, Le Monde